Tortures

L’humanité de Bigeard

Henri Guaino, conseiller du Président de la République, salue l’humanité dont aurait fait preuve le général Bigeard durant la guerre d’Algérie.

De quelle humanité s’agit-il ? Il a lui-même reconnu l’usage habituel de la torture et l’a justifiée. Faut-il lui savoir gré de s’en être démarqué en précisant qu’elle n’était pratiquée que rarement et qu’il n’y prenait pas part parce qu' »il n’aimait pas ça » ? Faut-il lui savoir gré d’avoir livré des prisonniers bien vivants aux tortionnaires de la DOP (Dispositifs Opérationnels de Protection) en sachant qu’ils étaient systématiquement torturés puis assassinés ? La famille de Larbi Ben Mhidi, combattant algérien dont Bigeard s’est plu à saluer le courage et la pureté, doit-elle le remercier pour l’avoir livré à Aussaresses qui l’a assassiné ? Quelle différence entre le fait de commettre soi-même un meurtre ou de sous-traiter cette sinistre tâche ?

Ce même Bigeard, recevant les félicitations et les encouragements d’un ministre pour l' »excellence » des résultats obtenus, répond : « Monsieur le ministre, vous pensez bien qu’on n’arrive pas à de tels résultats avec des procédés d’enfant de chœur.  » C’est donc bien qu’il était parfaitement au courant de la nature des méthodes employées par l’armée coloniale et qu’à tout le moins, il les couvrait et les approuvait.

La phrase de Monsieur Guaino renvoie à un arrière-plan aussi sinistre que banal, celui que tisse la négation obstinée des souffrances infligées par la France coloniale à un peuple coupable de revendiquer sa liberté. André Mandouze, indigné de cette surdité, s’exclamait en 1961 : « Si vous aviez su, bonnes gens de la France assoupie, si vous aviez su quoi ? Qu’en votre nom on torture depuis sept ans et que, depuis plus d’un siècle, on essaie d’étouffer la voix d’un peuple, ici déporté sur son propre sol, là emprisonné dans ce pays dont le nom signifiait jadis liberté et dont le symbole est aujourd’hui pour les Algériens Fresnes ou Barberousse ? Si vous aviez su quoi, bonnes gens ? Que, de la droite à la gauche, tous les chefs de nos gouvernements passagers et de nos républiques transitoires ont successivement prétendu qu’il n’y avait d’autre Algérie que française, ce qui était en somme une façon de dire qu’il n’y avait pas d’Algérie du tout ou que, s’il y en avait une, elle ne s’appartenait pas ? Si vous aviez su quoi ? Que malgré tout et malgré vous-mêmes, le peuple algérien a résisté et qu’il a fini par triompher de la calomnie, du mépris et de la mort ? « .

Visiblement, cette apostrophe n’est pas arrivée aux oreilles de M. Guaino. Dommage, il en aurait fait son profit. Peut-être même aurait-il évité le discours de Dakar…

La vérité, c’est qu’il s’inscrit dans le courant qui voit de la grandeur là où il y a la barbarie, incarnée dans les traits des conquérants de l’Algérie, Bugeaud ou Saint-Arnaud, qui ont massacré, pillé, emmuré, enfumé, torturé. M. Guaino, voudriez-vous nous dire votre appréciation sur ces « héros » et sur leurs compagnons, Pélissier, Rovigo, Voirol… ? Ou alors, puisqu’ils n’ont massacré que des gens de peu, des paysans sans défense, des gens de mœurs étranges, cela les absoudrait-il de leurs crimes ?

M. Guaino, vous avez sans doute les Algériens en piètre estime. Vous n’avez sans doute pas songé une seule seconde à l’humiliation que vous leur faites subir en tressant des louanges à l’un des acteurs de leur malheur. Mais peut-être n’en avez-vous pas le souci ?

Brahim Senouci

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