De nombreux écrits de qualité sont disponibles pour analyser le phénomène Soral. Citons en exemple ceux de Malik Tahar Chaouch[3], Fatouche Ouassak[4] ou de Ti Kréol[5] qui défendent un point de vue décolonial. Et ceux de Pierre Puchot et Dan Israël[6], de Quartiers libres[7] qui défendent un point de vue de gauche ou d’extrême gauche.
Tous dénoncent son imposture et son indigence tant sur le plan de la rigueur de l’analyse que sur son ancrage à l’extrême droite de l’échiquier politique. Nous pourrions nous en tenir là et souscrire globalement à l’ensemble des analyses précitées (avec de nombreuses réserves pour ce qui concerne les analyses de gauche). Pourtant, il reste un mystère. Quelle est la mécanique qui rend possible en théorie[8] cette convergence « vert-brun » qui scelle une alliance incongrue entre une extrême droite raciste et anti-immigrés et une partie de l’opinion de l’immigration post-coloniale qu’à priori tout sépare ?
Pour moi, il existe trois éléments d’explication : l’élément national, l’élément juif et l’élément sexuel. En effet, comme nous l’avons souvent souligné au PIR, l’idéologie hégémonique chez les indigènes est l’intégrationnisme. Aujourd’hui, si l’on considère strictement l’offre politique incarnée par Soral, c’est celle qui correspond au plus près au malaise existentiel et politique des 2ème et 3ème générations :
– L’illégitimité dont ils sont frappés qui les empêche de devenir de « vrais » Français;
– leur frustration conséquente au favoritisme républicain dont semble bénéficier la communauté juive à l’ombre du philosémitisme d’État;
– la castration dont les hommes sont victimes depuis l’histoire coloniale à nos jours.
Ce à quoi Soral répond par :
– la reconnaissance d’une citoyenneté dans le cadre de l’État Nation respectant l’islam avec les limites et les conditions posées par le nationalisme soralien;
– la désignation d’un ennemi : le juif en tant que juif et le juif en tant que « sioniste » (selon la définition antisémite qu’il fait du sionisme);
– la réhabilitation « under control » de la virilité arabo-musulmane et noire mise à mal par le colonialisme et le racisme.
Passons ces trois éléments au crible :
1. L’élément national
Plus qu’un simple « élément », il est l’axe autour duquel s’organise la pensée soralienne. « Racaille », « zy va », c’est comme ça que Soral qualifie les jeunes hommes des cités qu’il méprise profondément. Paradoxalement, loin d’avoir altéré son image, cela a souvent renforcé sa stature de « bonhomme ». Mais au-delà de cette qualité, si l’insulte est encaissée par son public, c’est que celui-ci en admet les fondements. Qui n’a jamais entendu les blagues communautaires où l’Indigène joue le rôle du fourbe, du looser, du mesquin, du bête ? Il est très courant d’entendre des indigènes « arabes » dire : « On a inventé le zéro mais on est restés dedans ». L’autodérision est un legs colonial et sa charge sur nos épaules continue de nous maintenir courbés. Oui, les « cailleras » nous font honte, oui, les délinquants altèrent notre image, oui, les incivilités des nôtres nous entachent, oui, il faut être exemplaires pour nous faire accepter des « vrais » Français…C’est ce que nous dit ce personnage fictif, admirateur de Soral, sous la plume acérée de Fatouche Ouassak :
« Si l’islam de France pouvait se débarrasser de tous ces déchets qui le polluent : ces grosses noires qui parlent trop fort dans la rue, ces blédiens qui parlent même pas français, ces racailles dans les halls d’immeuble, ces familles nombreuses qui font la queue à mendier à la CAF et aux Assedic. Quelle honte. J’en ai marre de cet islam de bougnoules qui pue le foyer Sonacotra à plein nez. J’aimerais me dépouiller, m’épurer de tout ça. ».
Soral réussit à nous faire accepter cette image dégradée de nous-mêmes parce qu’au fond on y adhère et que l’intégration passe par l’adhésion au pacte racial de la république, car comme chacun sait, « Français, ça s’hérite ou ça se mérite ». Et Fatouche Ouassak d’enfoncer le clou :
« Même si j’en suis pas, maintenant je parle comme un vrai français de souche ; faut m’entendre parler de la franc-maçonnerie, de la juiverie cosmopolite, de la cinquième colonne… C’est pas les blédiens tout juste débarqués qui pourraient en faire autant. Quand je parle comme ça, j’ai l’impression de m’ancrer dans une France qui me paraissait inaccessible, une France ancienne et profonde, la France de monsieur Soral. »
Alors que l’indigène apatride souffre de n’être chez lui nulle part – il a quitté un pays mais n’en a retrouvé aucun – Soral, contrairement au reste du champ politique blanc, lui propose enfin d’appartenir à une entité nationale, une vraie puisqu’elle a une Histoire et qu’elle est une Puissance. Il propose une promotion. Il n’est pas le seul à faire ce type de proposition. Tariq Ramadan, bien avant lui, avait défriché le terrain avec l’idée d’un islam citoyen, une idée qu’il aurait fallu prendre au sérieux dès le départ et qui a fait à juste titre le succès et l’estime de l’islamologue. L’islam citoyen n’est pas l’islam nationaliste et impérialiste de Soral mais il y a un point commun entre les deux offres : rester soi, retrouver une patrie et en finir enfin avec l’immigration comme stigmate. Comme à l’accoutumée, la gauche a raté le coche et il semblerait qu’une partie de l’extrême droite (bien que très iconoclaste, très minoritaire et en contradiction avec sa base islamophobe) ait été plus futée tout comme Sarkozy au temps de sa splendeur lorsqu’il nous faisait un remake de Charlie et les trois drôles de dames (Fadéla, Rama et Rachida). Ainsi, contrairement à ce que prétend un certain discours de gauche, l’élan qui précipiterait des indigènes dans les bras du nationalisme ne prend pas ses racines dans l’adhésion spontanée aux idéologies racistes mais dans l’hégémonie blanche et l’idéologie de l’intégration. Il n’en reste pas moins que dans la perspective soralienne, les indigènes ne sont que les instruments d’une recomposition politique pour permettre à l’extrême droite de ratisser large et de réussir dans sa stratégie de pouvoir.
2. L’élément juif
La France est la fille aînée de l’église et je le crois volontiers. Les juifs n’y ont jamais eu leur place pleine et entière et malgré l’émergence du concept opportun de « judéo-christianisme», le philosémitisme qu’affiche la république française, ses institutions, ses partis républicains ou protestataires et ses élites est suspect. La promotion de l’antisémitisme comme racisme d’exception élevé au rang de cause nationale n’est ni plus ni moins qu’un subterfuge de la pensée de l’État nation, républicain catho-laïc et blanc. En intégrant les Juifs au récit national à une place subalterne mais choyée, la nation fait d’une pierre trois coups. En élevant l’histoire de la destruction des Juifs d’Europe au rang de religion d’État, elle blanchit la république de ses crimes et sauve le mythe de l’universalisme, elle concède une plus large répartition du pouvoir politique, économique et symbolique à une communauté faible démographiquement ce qui lui coûte peu. Elle consolide ainsi le bloc « Judéo-chrétien » contre les indigènes pauvres des banlieues (qui eux se comptent en millions), enfin elle sous traite les répercussions de ce traitement discriminant à la communauté juive qui se retrouve dans un face à face infernal avec nous. Un conflit qui est alimenté tous les jours par les instances sionistes qui ont tout intérêt à le racialiser pour justifier le projet national juif. Au cœur de ce conflit, les indigènes insoumis mais pris dans les filets du philosémitisme européen, lèvent le voile sur une partie du dispositif national-impérial de la république française. Certes, ils évitent de remettre en cause l’élément blanc, corps légitime de la nation, mais posent à minima une question dérangeante : Pourquoi les Juifs et pas nous ? Les indigènes parcourent une partie du chemin. En creux, ils expriment le rapport opportuniste d’une république qui n’a pas réussi à déracialiser « ses » Juifs. Mais ils échouent à la dénuder complètement en refusant de s’attaquer à la suprématie blanche. C’est ainsi qu’ils peuvent céder à une vision complotiste du rôle des Juifs et c’est à cette jonction qu’ils rencontrent Soral et son antisémitisme. Celui-ci n’a pourtant qu’un objectif, celui de sauver le pouvoir blanc à travers son instance de reproduction principale : l’État nation. Et c’est précisément au croisement d’une soif de reconnaissance (l’histoire de la traite transatlantique) et des idéologies d’État (la « Shoah » comme mémoire officielle et comme solde de tout compte) que Dieudonné rencontre Soral et qu’il s’y perdra. Car s’il existe en effet un privilège relatif en faveur des Juifs, il est indissociable du pouvoir blanc et ne renvoie aucunement à la main mise d’un lobby juif. Elle renvoie au pacte racial/national de la république[9] que Soral tient à préserver. C’est pourquoi il mettra toute son énergie à détourner Dieudonné et son public de l’État. Il y réussira non sans un certain succès.
3. L’élément sexuel
C’est sûrement la question la plus sensible mais aussi la première des trois à avoir attiré l’attention des hommes indigènes sur Soral. C’était en 2004 dans l’émission « Tout le monde en parle » de Thierry Ardisson[10]. Le passage du polémiste a véritablement fait sensation et est devenu une référence télévisuelle pour de nombreux jeunes hommes des quartiers. Au milieu d’une grande diarrhée verbale, il y évoque ces masculinités mises aux marges par le pouvoir de la masculinité blanche hégémonique et y énonce quelques fulgurances qui toucheront la gente masculine indigène en plein cœur. Il est sans doute le premier à avoir exprimé à une heure de grande écoute un profond malaise masculin :
« Il y a toujours la possibilité pour la jolie beurette, celle qu’on a appelé « l’Aziza », de se sortir de la banlieue en allant proposer ses fesses en boite de nuit alors que le mec lui n’y rentre pas. Faut pas oublier toute la souffrance d’être un franco-maghrébin en bas d’un immeuble qui voit que sa sœur peut se faire inviter en boite et lui qui n’a que sa misère à proposer. N’oublions pas que quand t’es un garçon et que tu veux inviter une fille au resto, contrairement au baratin des féministes, il faut pouvoir payer pour toi et pour la fille parce que c’est ça la concurrence des mâles. Il faut pouvoir gagner deux fois plus, et les mecs gagnent plutôt deux fois moins ».
En quelques mots, il évoque un mal être social authentique qu’aucune personnalité publique n’avait tenu avec une telle force et un tel impact au moment où les Ni Putes Ni Soumises sont au sommet de leur gloire médiatique. Il dit en creux : le « lascar » est privé de tout statut social puisqu’il n’a pas de travail et qu’il ne peut même plus jouer son rôle historique de responsable de la famille, que cette privation n’est pas compensée par une autre forme de sociabilité, que les idéologies d’État le mette en concurrence avec les femmes de sa communauté et que ses sœurs sont tout à la fois les vecteurs de son humiliation et des trophées entre les mains des hommes blancs. Plutôt dans le débat, il dénonçait l’amalgame musulman = violeur en tournante. Il fera mouche.
Soyons clair. Soral n’a que faire de la sexualité contrariée de nos frères. En revanche, il est fortement préoccupé par la sienne. A l’instar d’un Houellebecq ou d’un Zemmour, il est le spectateur impuissant du déclin de la puissance occidentale et française en particulier, et vit le déclassement de la France comme une crise de la virilité française supplantée par la terrifiante vigueur des masculinités arabo-musulmanes. En effet, alors que, selon lui, les féministes blanches ont émasculé les hommes blancs, les hommes indigènes, eux, résistent. Leur toute-puissance serait dans leur capacité à contrôler « leurs femmes » qu’ils maintiennent sous leur tutelle grâce à un ordre religieux imperméable à la débauche du temps. Autrement dit, Soral est jaloux de ce que d’autres en d’autres temps avaient appelé «l’Arabe au sexe-couteaux »[11] . En effet, cette sexualité est vécue comme agressive et elle menace sa propre virilité. Aussi lorsque Soral encense la puissance masculine des Musulmans, il est à la fois fasciné et terrorisé. Du coup, pourquoi ne pas utiliser cette énergie à bon escient ? Plutôt que de la laisser exploser de manière anarchique comme lors des émeutes « anti-France » de 2005, pourquoi, tout en l’exaltant, ne pas la canaliser et la détourner contre d’autres ennemis qui menacent les fondements d’une nation de plus en plus « efféminée ». Ne perdons pas de vue, en effet, que selon lui la France est « occupée » par « le sionisme » (cocasse, quand on sait que la Palestine est pour l’antisioniste authentique la seule terre à libérer) et que cette capitulation est aussi une défaite de la masculinité française autrefois coloniale et conquérante. Nous revenons ici à des fondamentaux des pratiques racistes. Les indigènes ne peuvent être envisagés que comme supplétifs. Si Soral exalte la virilité musulmane, celle-ci ne peut se déployer que dans le cadre strict de la nation et bien évidemment à son service. Les indigènes étaient tirailleurs pour combattre les nazis, ils le sont désormais pour conjurer la panique sexuelle de certains hommes blancs face à leur principaux rivaux : les Juifs, étant entendu que pour ce courant de l’extrême droite le « péril juif » est plus dangereux que le « péril musulman », et que le virilisme musulman peut se domestiquer à condition qu’il serve l’intérêt national et que tout le monde reste hiérarchiquement à sa place. Ainsi, le projet soralien de « réconciliation » entre « vrais Français » et Français « d’origine immigrée » est moins un projet égalitaire qu’un contrat de sous-traitance. Il est pourtant des signes qui ne trompent pas. L’un des tweets de Soral à Bintou Bangoura qui a eu l’impudence de repousser ses avances, est très éclairant de ce point de vue :
«Finalement, il ne te reste de sûr que les juifs et les pédés !»; «Les pédés comme amis pour t’écouter chialer que ton destin c’est d’être une pute à juifs».
Être éconduit par une jeune femme noire au profit de Juifs fantasmés, c’est plus qu’une injure à Soral, c’est un affront national!
Partie 2 : Combattre le soralisme
Pour en finir avec le soralisme, les cris d’orfraie, les « plus jamais ça » ou encore les soliloques sur le ventre de la bête immonde ne seront d’aucun remède. Car l’horreur du nazisme est une horreur blanche. L’héritage de La lutte contre l’antisémitisme est un héritage blanc pour les Blancs et n’a que très peu d’effet moral sur les indigènes. Pour défaire la mécanique de l’adhésion indigène au soralisme, il faut se situer dans l’histoire coloniale et de la suprématie blanche tant à l’extérieur qu’à l’intérieur des frontières de l’Etat nation-impérialiste.
Or, aucun logiciel du champ politique blanc et de gauche en particulier n’est aujourd’hui apte à combattre le soralisme efficacement à partir de ces trois fronts : le besoin des indigènes à la fois d’appartenir au corps national et de préserver leurs identités, le besoin d’être estimés au moins autant que les juifs, le besoin pour les hommes non blancs de reconquérir leur virilité. Aucune pensée de gauche n’est aujourd’hui armée pour répondre à ces trois besoins parce qu’ils heurtent certains grands fondamentaux de la pensée progressiste et/ou universaliste. Lorsque la gauche est internationaliste, elle ne comprend pas le besoin de nation, lorsqu’elle est républicaine et universaliste, elle ne comprend pas le besoin identitaire et religieux. Lorsqu’elle est antifasciste, elle ne comprend pas le rejet de la centralité de la « Shoah ». Et lorsqu’elle est féministe, elle ne comprend pas l’oppression des masculinités non hégémoniques. Quel que soit le visage de cette gauche, elle s’obstine à plaquer des analyses et des réponses inadéquates sans prendre en compte de manière sérieuse la singularité des sujets coloniaux en France. Certes, aucune de ces questions n’est simple à traiter car nous-mêmes, militants décoloniaux, ne pourrons jamais décemment défendre un projet nationaliste, anti-juif, ou viriliste car il sera de fait une entrave à notre idéal de justice sociale, voire même sa négation. Mais seule la pensée décoloniale peut tracer des perspectives.
Ainsi, pour combattre le soralisme, il faut comprendre les soraliens. Ils se divisent en deux catégories: une partie des indigènes et un segment les blancs déclassés, prolétaires ou en voie de prolétarisation. Ces deux catégories ont des intérêts en partie divergents et en partie convergents. Ils ne viennent pas nécessairement écouter Soral pour les mêmes raisons. Les premiers recherchent des réponses aux trois questions traitées précédemment, les seconds des réponses à la dégradation de leur mode de vie attribuée à juste titre à la construction d’une Europe technocrate et à une mondialisation sauvage. S’ajoute à cela un refus de l’immigration, pour les premiers parce qu’elle entrave leur intégration, pour les seconds parce qu’elle souille leur identité blanche et chrétienne et qu’elle oblige au partage des richesses. Il va sans dire que la voie décoloniale ne peut en aucun cas céder à ces motifs car ce sont nos systèmes économiques qui créent les conditions de l’immigration et de l’exil. En revanche, nous pouvons envisager d’actionner d’autres leviers en direction des Indigènes et en direction d’une partie des Blancs.
Je ne m’attarderai pas ici sur les perspectives qui concernent les Blancs et leur « insécurité culturelle » car le PIR entend y consacrer une réflexion plus approfondie, ni sur les perspectives stratégiques d’alliance avec les Blancs que Sadri Khiari a appelé « Internationalisme domestique[12] » car elles ont déjà fait l’objet de plusieurs textes d’élaboration politique. Je ne m’attarderai pas non plus, à propos du versant indigène, sur l’idée d’un internationalisme indigène car nous y reviendrons dans les semaines et mois qui viennent. Je me contenterais de déflorer le sujet en affirmant que la demande intégrationniste des indigènes répond à une revendication légitime : être ici chez soi, même si elle prend une forme aliénée par l’identification paradoxale au « corps national » qui les exclut ou les incorpore illusoirement. Le « besoin » qui s’exprime ne peut donc se réaliser que par le dépassement du mirage intégrationniste, non seulement dans un sens nationaliste, mais dans toutes ses variantes car, nous le savons, toute tentative de conciliation avec l’intégrationnisme est vouée à l’échec. Ce besoin ne peut se réaliser que décolonialement. C’est là où se situe le travail idéologique à faire mais celui-ci ne peut pas se réduire à une « dénationalisation » abstraite de l’histoire de la France, d’autant qu’il implique les rapports concrets de races sociales et une perspective historique et globale qui nous engage bien au-delà de la France. État-nation n’est pas un horizon indépassable et il n’existe aucune raison de croire que les peuples y adhèrent naturellement. A l’instar de l’internationalisme prolétarien basé sur la « classe » et qui transcendait les frontières nationales, rien n’interdit de penser un internationalisme des Indigènes du Nord, basé sur la « race » et unis par leur condition de sujet post-coloniaux au sein des démocraties libérales.
Mais cette stratégie globale (autonomie indigène à l’intérieur des frontières de l’Etat, internationalisme domestique, internationalisme des sujets postcoloniaux vivants en Occident doublé d’un internationalisme des peuples) ne pourra se réaliser qu’avec une vision claire et doit à minima répondre à la question : qui est le sujet révolutionnaire ? Je pourrais répondre simplement : l’indigène. Mais une voix me souffle que c’est insuffisant. L’indigène contient des multitudes. Par conséquent, qui dans la société indigène serait au cœur du projet révolutionnaire si les conditions objectives étaient réunies ?
Et pourquoi pas, celui que Soral a eu l’intelligence d’identifier comme la cible privilégiée des États modernes occidentaux à savoir : le mâle indigène, réputé hétérosexuel. Le « lascar » – ce corps en trop – décrié par tous, à qui on reproche tout et à qui on ne pardonne rien. Le « client » privilégié du ministère de l’intérieur. La cible première des crimes policiers. Le principal locataire des prisons de France. La principale victime des contrôles au faciès. Le dernier embauché et le premier licencié. Le paria de l’Éducation nationale préposé aux voies de garage. Le personnage fantasmagorique qui peuple l’imaginaire des médias et les politiques depuis au moins 35 ans et qui n’a de rival que « la femme voilée ». Le « sauvageon » de Chevènement et la « racaille » de Sarkozy. Enfin : L’ennemi principal de sa sœur ou de sa femme.
En d’autres termes, celui qui, à défaut de perspectives positives, remplit les meetings de Soral ou peut se laisser séduire par Daesh ?
And last but not least, l’acteur principal des émeutes urbaines qui ont émaillé la vie des cités depuis les années 80 jusqu’à celles de 2005 en passant par celles de Vaulx-en-Velin et d’Amiens. N’apparaît-il pas soudainement de manière presque aveuglante comme un sujet révolutionnaire sans lequel aucune transformation sociale n’est possible et par voie de conséquence celui dont tout projet contre-révolutionnaire fera sa proie : dans un sens de stigmatisation extrême ou dans un sens de récupération ?
Ses sœurs ne s’y trompent pas pourtant, elles qui, de la fenêtre de leurs HLM observent, tiraillées mais solidaires, la scène d’émeute. On peut disserter autant qu’on veut sur l’incontestable oppression des femmes de l’immigration à laquelle ces hommes participent pathétiquement mais pas sur l’acharnement de l’histoire et sur ses pesanteurs et encore moins sur ce que les femmes non blanches ont toujours identifié comme étant leur ennemi principal depuis le colonialisme à nos jours. Lorsqu’Assata Shakur déclare qu’elle ne sera pas libre tant que les hommes noirs ne le seront pas, c’est l’État qu’elle met en cause et la « totalité[13] » qu’il incarne. Par cette démarche, elle se constitue elle-même comme sujet révolutionnaire. Elle libère ses sœurs du face à face avec les hommes dans lequel elles sont emprisonnées, elle récuse la fatalité de leur violence, tout en rendant possible d’autres schémas de masculinités. En ce sens, elle rejoint James Baldwin pour qui réformer les hommes noirs doit nécessairement passer par une remise en cause radicale de l’Occident. C’est ainsi qu’Assata Shakur rend réalisable la transformation des masculinités dominées et régressives en masculinités révolutionnaires. Et ça c’est bien.
Houria Bouteldja, membre du PIR
Notes
[1] Dominique Albertini, Racisme et menace : une top-model porte plainte contre Alain Soral
[2] Au sens où il n’existe pas de force politique organisée à l’échelle locale et nationale pour défendre efficacement les intérêts des habitants des quartiers.
[3] Malik Tahar-Chaouch, Soral, le petit soldat de l’ »empire »
[4] Fatouche Ouassak, Pourquoi je soutiens Alain Soral
[5] Ti Kréol, Comprendre le colonialisme et le racisme : le cas d’Alain Soral
[6] Pierre Puchot et Dan Israel, Comment Soral gagne les têtes
[7] Quartiers Libres, Soral à nu : gauche du tapin et droite des violeurs
[8] « En théorie » car pour valider la crédibilité politique du projet soralien, il doit être incarné par un mouvement politique organisé ce qui est loin d’être le cas actuellement.
[9] Sadri Khiari, La contre-révolution coloniale de De Gaulle à Sarkozy (La fabrique)
[10] https://www.youtube.com/watch?v=oYDaeyo1v-w
[11] Tribune parue dans Libération en 1977 qui évoquait l’image fantasmée de l’Arabe comme danger sexuel et physique citée par Todd Shepard dans Mâle décolonisation. L’″homme arabe″ et la France, de l’indépendance algérienne à la révolution iranienne. Paris, Payot
[12] Sadri Khiari, « Internationalisme décolonial, antiracisme et anticapitalisme »
[13] Collectif, « Pour un féminisme de la totalité », Editions Amsterdam