Communiqué

Trappes : le sacrilège comme politique

En banlieue, le scénario est désormais bien rôdé : sous prétexte de verbaliser une jeune fille portant un niqab, les forces de police se sont livrés, à Trappes, à une nouvelle provocation. Celle-ci, particulièrement violente, a entraîné une réaction de solidarité et d’autodéfense de la population. Cependant cette provocation n’a pas été que violente. De toute évidence, elle s’est voulue sacrilège. En effet, une fois de plus, elle a visé des populations musulmanes le mois sacré de ramadan. Une fois de plus elle a visé des mamans, des familles qui ont été malmenées et à qui ni les grossièretés, ni la violence n’ont été épargnées.
Il semble bien que la période du ramadan soit particulièrement propice au déchaînement des forces de police. Souvenons-nous comment en 2005 déjà, à Clichy-sous-Bois, la pression policière avait aboutit à la mort de Zyad Benna et Bouna Traoré. Souvenons-nous comment dans cette même ville, des grenades lacrymogènes furent tirées à proximité et pour l’une d’entre elles à l’intérieur même d’une des mosquées, au cours de la répression qui a suivi.

C’est un simple constat : dans les quartiers populaires, et à Barbès notamment, en période de ramadan, les forces de police se comportent comme une armée d’occupation en zone de guerre. Les véhicules de police ostensiblement disposés, les contrôles au faciès, les insultes et autres vexations se multiplient. Soulignons que la profanation des sanctuaires ou autres lieux maraboutiques est un classique du genre dans la tradition coloniale. Souvenons-nous de l’armée coloniale française en 1947, à Madagascar, précipitant de leur avions vivants les chefs coutumiers au dessus des villages révoltés pour réduire à néant leur prestige auprès de la population. Les exemples de ce type ne manquent pas, hélas.

Mais fermons ici la parenthèse historique et méditons un instant. Pourquoi diable la police s’évertue-t-elle à provoquer les musulmans et habitants des quartiers précisément durant cette période de recueillement et de pardon, période de paix et de sérénité par excellence ? Il y a ici un enseignement qui ne doit pas nous échapper.

En effet, il semble que le resserrement des liens familiaux et communautaires, la fréquentation massive des mosquées, les rythmes de vie particuliers, propres à cette période soient vécus comme une véritable provocation par l’Etat. Lui qui pourtant organise la ségrégation sociale et spatiale des populations issues de l’immigration entend dans le même temps réaffirmer sur elles sa souveraineté absolue. Dans la pensée orientaliste classique, l’arabe n’a pas de patrie, c’est l’islam qui en fait office. En cela, l’islam établit une concurrence intolérable car il y a conflit de loyauté. La déclaration de ce Trappiste évoquée dans Le Monde du 20 juillet 2013 : « On n’a pas la haine par hasard. On se battrait pour la France, mais il faut arrêter de venir toucher à la religion tout le temps », dans son extrême ambivalence – à la fois profondément intégrationniste mais dévouée au sacré – peut témoigner de cette tension.

Ainsi, l’islamophobie de l’Etat témoigne d’une chose :
Sa volonté de réaffirmer son empire sur 6 millions de musulmans. Il exprime aussi sa crainte que ceux-ci fort de cette autonomie cultuelle accrue en période de ramadan ne finissent par lui échapper complètement en s’autonomisant sur le plan politique. On n’a pas de peine à imaginer la teneur des réunions place Beauvau : Comment assurer le contrôle d’une communauté musulmane qui semble vouloir obéir à des principes transcendant le cadre national-républicain ? Comment contrecarrer son potentiel défaut de loyauté ?
Dans cette tâche, il est secondé par tout un pan de la société française, jaloux de ses privilèges. C’est ainsi qu’il faut comprendre, à la fois les actes et agressions racistes de nazillons et groupes paramilitaires et le défaut de solidarité d’une grande partie de la société civile qui tacitement approuvent et partagent avec les agresseurs – non pas forcément les méthodes musclées – mais l’esprit.

Nous avons entamé cette réflexion par le souvenir de Clichy sous Bois, concluons par un autre souvenir : celui de la pendaison de Saddam Hussein le jour de l’Aïd. Rien ne permet de comparer le lynchage de l’ex-président irakien avec les évènements de Trappes ou de Clichy si ce n’est un Etat d’esprit : celui du pouvoir colonial lorsqu’il veut humilier sa victime et qu’il fait usage du sacrilège comme arme politique.

PIR, le 22 juillet 2013, Paris

Ce contenu a été publié dans Actualités, Actus PIR. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.