Il s’en défend : « Certains me disent (…) que la France s’engagerait dans une ‘guerre des civilisations’, rien que cela, contre les Musulmans. (…) Mensonges ! Mensonges ! Contre- vérités ! On n’informe pas une grande nation démocratique par des mensonges. » Et encore, toujours lors de ce colloque de la Fondation pour la recherche stratégique du 11 mars dernier : « Quant à l’Alliance atlantique, elle ne fait pas la ‘guerre des civilisations’« , promet Nicolas Sarkozy, assurant du même élan que « c’est l’OTAN qui défend le peuple afghan contre le retour des Talibans et d’Al Qaïda« .
« Mensonges » ? « Contre-vérités » ? Le président pourra multiplier les dénégations indignées, il ne saurait convaincre. Tant il n’est au fond qu’une réelle motivation à la réintégration de la France au sein du commandement militaire intégré de l’Otan : la peur des enturbannés, la chocotte des basanés, la crainte des musulmans… bref, la conviction que face au « danger islamique« , il convient de nous rapprocher au maximum de nos alliés naturels : les occidentaux.
Cette bonne vieille famille occidentale
C’est classique : Nicolas Sarkozy n’hésite pas à se contredire. Tenez : il s’attaque, lors de ce discours, à ces menteurs prétendant que sa vision du monde est fortement influencée par la simpliste théorie du « choc des civilisations« . Puis donne des cartouches à ces mêmes persifleurs en affirmant : « La France sait, aussi, qui sont ses alliés et qui sont ses amis : et je n’ai pas peur de dire que nos alliés et nos amis, c’est d’abord la famille occidentale. » Comprendre : nous serons toujours plus proches d’une Amérique qui mène des guerres indignes en Irak et en Afghanistan ou d’un État d’Israël qui pilonne sans relâche une population terrifiée que de n’importe quel pays musulman, fût-il en paix et amical. Que voulez-vous ? C’est « la famille« …
Je sais : il n’y a là rien de neuf sous le soleil. C’est même devenu tristement banal. En août 2007, Sarkozy s’exprimait devant les ambassadeurs français, énonçant les grands axes de sa politique étrangère à venir : il expliquait notamment, bête plagiat des thèses des néo-conservateurs américains, que la menace essentielle pesant sur le monde est celle d’une « confrontation entre l’Islam et l’Occident« . Une conception largement partagée par les membres de son gouvernement, qu’il s’agisse d’un François Fillon affirmant que le conflit israélo-arabe relève de « l’opposition entre le monde musulman et une grande partie du reste de la planète. » Ou de ce brave Bernard Kouchner déclarant en août 2007 à propos de l’Iran, droit debout sur le pointe de ses souliers vernis : « Mais Monsieur, c’est la guerre ! » Ou encore de ce grand benêt d’Hervé Morin laissant entendre que c’est en prévision du conflit contre l’Iran que la France se devait de retrouver pleine et entière place dans l’OTAN.
« C’est la guerre, donc » ! Un conflit larvé, pour l’instant. Mais qui éclatera forcément au grand jour, demain ou après-demain. Nous serons alors bien content de pouvoir compter sur « nos alliés et nos amis » pour repousser ces sarrasins qui ne songent qu’à égorger nos femmes et à violer nos filles…
L’ennemi est partout !
Derrière ces considérations sur notre proximité naturelle avec la « famille occidentale » pointe une pseudo-vision géopolitique, née de ce constat selon lequel « les conditions de notre sécurité ont radicalement changé« . En résumé :
“ »La France n’est plus aujourd’hui menacée d’une invasion militaire, et cela peut-être pour la première fois dans son histoire. D’autres menaces se sont substituées (…). Ces menaces peuvent paraître lointaines », explique Nicolas Sarkozy. « Mais ne nous y trompons pas : le territoire national peut être frappé demain, comme celui de nos Alliés. (…) Et la défense de la France se joue désormais tout autant sur notre territoire qu’à des milliers de kilomètres, dans l’espace, ou sur les réseaux informatiques.« ”
En arrière-fond, la menace du terrorisme et l’idée que l’ennemi est partout (y compris chez nous, infiltré et prêt à poser des bombes, d’où la nécessité – par exemple – de Vigipirate). Un danger qui aurait cette double caractéristique d’être constant et dématérialisé, quasi fantomatique. Ce qui explique la référence aux réseaux informatiques, incarnation parfaite de ce péril vague et omniprésent. Gaffe : le barbu guette !
Une idée qu’on retrouve bien entendu dans l’Amérique de l’après 11 septembre, obnubilée par l’ennemi intérieur. Mais aussi dans les rangs du Parlement européen :
“Invoquant la transformation de la planète en une « terre sans frontières », une courte majorité de députés européens (deux cent quatre-vingt-treize voix contre deux cent quatre-vingt-trois) vient ainsi de réclamer, le 19 février, que dans « des domaines tels que le terrorisme international (…), la criminalité organisée, les cybermenaces, la dégradation de l’environnement, les catastrophes naturelles et autres », un « partenariat encore plus étroit » se noue entre l’Union européenne et l’OTAN, rapporte Serge Halimi dans Le Monde Diplomatique. Sous forme d’élégante métaphore, l’exposé des motifs précise que, « sans dimension militaire, l’Union n’est qu’un chien qui aboie mais ne mord pas ».”
Pour l’OTAN, une nouvelle mission
Ce prétendu péril intérieur vaut aussi à l’échelle du monde. Logique : puisque la Guerre Froide n’est plus, elle qui avait l’immense avantage de partager le monde en deux camps clairement définis, il a fallu dénicher une nouvelle grille de lecture internationale. Ce sera la lutte entre l’Occident et de « l’axe du mal« , appellation qui englobe aussi bien la pseudo-menace iranienne que les terroristes djihadistes, les militaires irakiens que les résistants afghans ou les militants du Hamas.
Mieux : cette lutte « contre l’axe du mal » est supposée si essentielle qu’elle autorise les États-Unis – et a fortiori leurs alliés – à pratiquer une politique de défense préventive : il faut frapper les ennemis avant même qu’ils ne bougent le petit doigt. Pouvoir le faire au nom de l’OTAN est un avantage supplémentaire évident pour les Américains, qui parent ainsi leurs décisions unilatérales d’un apparence de collégialité.
“L’unilatéralisme, c’est encore le pouvoir de décider qui, à chaque moment, est l’« ennemi » : l’Irak (comme l’a affirmé M. Colin Powell, le 6 février 2003, à l’Organisation des Nations unies (ONU)), l’Iran, Al-Qaida, etc, écrit Pierre Conesa dans Le Monde Diplomatique. Ce pouvoir d’énonciation impose à la « communauté internationale » un échéancier, celui de la « guerre globale contre le terrorisme » et contre la prolifération. (…) Le glissement stratégique de Washington, de la dissuasion – une doctrine de préservation de la paix qui a fonctionné pendant toute la guerre froide – à la préemption, qui est une logique de déclenchement de la guerre, trouve son origine dans l’exceptionnalisme américain. Lequel postule que la sécurité du pays ne doit dépendre de personne et qu’elle pourrait justifier à elle seule une attaque préventive. Le 11 septembre, qui fut une attaque directe et meurtrière sur le territoire américain, a consolidé ce genre de « postulat ».”
Bref, le jeu est biaisé au seul profit des Américains. Lesquels tirent avantage de leur puissance, mais aussi de l’absence de doctrine claire de l’OTAN pour imposer leur vision du monde à leurs alliés. Les périmètres et les objectifs de l’Alliance sont si confus qu’ils autorisent tout et n’importe quoi. Ce que souligne l’historien Frédéric Bozo : « On peut résumer la problématique en se demandant si les alliés voudront continuer dans la voie qu’ils suivent depuis quelques années et qui est celle d’une double globalisation, géographique (élargissement à des pays comme l’Ukraine et la Géorgie, mise en place de partenariats avec des pays non européens comme le Japon) et fonctionnelle (élargissement des missions de l’OTAN au delà de la stricte défense collective) ».
L’Empire élargit ses missions et son rayon d’action, en même temps que disparait en son sein tout critique interne. Un unanimisme bêlant, tout entier dirigé contre « l’axe du mal » – qu’il soit intérieur ou international – , à même de garantir aux États-Unis qu’ils resteront en position de force. Et qu’ils pourront poursuivre tranquillement, sous le concept flou d’alliance occidentale ou d’union des démocraties, leurs sales guerres.
JBB
SOURCE : Article XI