Pellicule

« La Journée de la jupe », la triple imposture

Molière, une enseignante, une femme d’un côté, de l’autre des élèves, des jeunes, des Arabes, des Noirs. Un film peut-être nourri au départ des meilleures intentions mais qui, à trop forcer le trait, tourne à l’imposture. (Voir la vidéo)

Imposture éducative d’abord. En reprenant le thème éculé de la culture classique, du savoir, qui auraient démissionné devant les hordes de barbares qui peuplent les collèges, le réalisateur montre une très grande ignorance de la réalité et des pratiques scolaires.

Comme le rappelle judicieusement un enseignant exerçant en éducation prioritaire, Molière est l’auteur les plus étudié en collège, souvent -malgré la difficulté de la langue et un contexte historique éloigné du nôtre- avec profit.

Que certaines classes soient résolument rétives à cet aspect des programmes n’autorise pas à jeter l’opprobre sur l’ensemble du système, ni, surtout, à implorer le retour à une école mythique, quand les élèves savaient rester à leur place, écoutant sans broncher la parole du maître.

Pas davantage qu’elle aurait renoncé à enseigner l’histoire, les sciences, les mathématiques, l’école d’aujourd’hui n’a jamais démissionné devant les savoirs ni devant les élèves. Seule a changé peut-être – mais ce n’est pas certain, compte tenu du conservatisme de l’institution scolaire – la façon de considérer les apprentissages.

Et après tout, si dans le film, Molière a autant de mal à passer, c’est peut-être aussi parce que la prof s’y prend mal, qu’elle manque de… pédagogie, tout simplement. Lorsque le réalisateur Jean-Paul Lilienfeld affirme qu’il faut « remettre le professeur au centre de l’école, pas l’élève », prenant ainsi le contrepied de la loi d’orientation de 1989 qui prônait de placer « l’élève au centre », il s’inscrit résolument dans la rhétorique réactionnaire des nostalgiques de l’école du passé, qui, d’ailleurs, lui font un triomphe. Lilienfeld semble bien avoir choisi un camp contre l’autre.

Un attribut qui fut longtemps le signe de l’oppression des femmes

Imposture, également, avec ce thème de la jupe symbole de la liberté de la femme. On a sans doute oublié qu’il n’y a pas si longtemps, le port du pantalon était interdit aux jeunes filles, cette interdiction étant vécue par les intéressées comme une forme d’oppression, dans un contexte où la mixité n’avait pas encore gagné la partie et où la séparation des sexes était considérée comme le gage d’une bonne moralité.

S’il n’est pas acceptable que l’affirmation de leur féminité par des enseignantes ou par des élèves donnent lieu à des brimades, à des pratiques de harcèlement, n’est-il pas tout autant ridicule de faire passer pour un emblème de libération un attribut vestimentaire qui fut pendant longtemps le signe de l’oppression des femmes ?

De nos jours, la séparation des sexes à l’école a retrouvé des partisans, de même d’ailleurs que l’uniforme scolaire. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler aux plus jeunes que des femmes se sont battues pour obtenir le droit de se vêtir librement, de troquer la jupe pour le pantalon et qu’en conséquence, il y a tout lieu de se méfier de la récupération que ne manqueront pas de faire de « La Journée de la jupe » ceux qui n’ont jamais accepté la mixité ni la liberté des femmes.

Imposture, enfin, dans le choix par le réalisateur d’une classe de collège où dominent les élèves à la peau brune.

Une profonde impression de malaise

On dira sans doute, et cela est vrai, que les scènes vues dans ce film existent bel et bien, ne sont pas inventées mais il faudra quand même qu’on nous explique pourquoi un film censé dénoncer l’intolérance et le sexisme dans les établissements scolaires montre presque exclusivement des Noirs et des Arabes, alors que les établissements scolaires sont fréquentés très majoritairement par des blancs ? Des blancs qu’on ne voit jamais dans des films censés dénoncer l’intolérance ou le sexisme…

Un film sur le machisme, le sexisme, la bêtise et l’intolérance, on pouvait en tourner partout dans de petits collèges ruraux de la France profonde, dans les lycées des beaux quartiers, privés ou non, dans les grandes écoles.

Pourquoi a-t-il fallu que Lilienfeld plante sa caméra là où il n’y a que des Noirs et des Arabes ? Pourquoi, lorsque l’on veut montrer la violence et l’intolérance, ne montre-t-on jamais que les Arabes et les Noirs ? Parce que les Arabes et les Noirs seraient culturellement ou génétiquement violents et intolérants ?

Que « La Journée de la jupe » soit encensée par l’extrême droite n’est pas le fait du hasard ; on y retrouve avec le thème d’une immigration inassimilée et inassimilable les « évidences » martelées par Le Pen depuis un demi-siècle.

Quoique le réalisateur s’en défende, ce film, avec tous ses sous-entendus, sur l’école, sur les jeunes, sur l’immigration, laisse une profonde impression de malaise.

Bernard Girard

SOURCE : Rue89

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