Susucre

Mâchoire carrée et Maison ronde

Un palpitant dialogue entre Philippe V., éditorialiste martyr, et Monsieur le président qui a décidé de le nommer à la tête de France Inter. Toute ressemblance avec la réalité serait purement fortuite…

– Philippe, j’ai beaucoup d’estime pour toi. D’puis qu’chuis tout p’tit, j’lis tes éditos dans L’Figaro, et c’t’un peu grâce à toi si je m’suis lancé dans la politique. Alors j’ai décidé d’te nommer à la tête de France Inter…

– Mais, Monsieur le Président, moi, j’écris dans Charlie Hebdo. Et seulement depuis 1992…

– Oui, bien sûr, c’est c’que j’voulais dire. J’ai tendance à confondre ces deux journaux… C’que j’aimerais, c’est qu’tu fasses pour France Inter c’que t’as fait pour Charlie Hebdo…

– Diviser le chiffre de l’audience par cinq?

– Ha! ha! Mais non voyons! (T’es vraiment un sacré déconneur!)

– Ah? Alors vous voulez dire: faire de France Inter une radio social-démocrate? Une station de référence pour la gauche responsable?

– Voilà, c’est ça! En faire une radio de gauche, mais responsable. Une radio sarkozyste, quoi. D’toute façon, tu sais bien qu’ces histoires d’gauche et d’droite, ça intéresse p’us les Français. Aujourd’hui, l’vrai clivage, il est entre les gens qui travaillent et qu’ont rien à s’reprocher, et les gens qui profitent du système et qu’ont peur de la police.

– C’est un grand honneur que vous me faites, Monsieur le Président. Mais pensez-vous que je serai à la hauteur?

– Oh, j’ai aucune crainte à c’propos. Tu tiens une chronique hebdomadaire de trois minutes sur France Inter, non?

– Oui, Monsieur le Président, depuis une bonne vingtaine d’années.

– Eh ben, tu vois! Tu t’y connais en radio; tu f’ras très bien l’affaire.

– Mais tout de même, Monsieur le Président: un poste de directeur d’une radio publique, pour moi qui ai abandonné mes études avant le Bac, c’est quelque peu impressionnant. Regardez le CV de mon prédécesseur.

– Fais pas ta fiotte, Philippe. Tout s’passera très bien. Enfin, à condition bien sûr que tu comprennes c’qu’on attend d’toi…

– Je dois vous prévenir, Monsieur le Président, que je ne suis pas homme à me laisser dicter une ligne éditoriale par le pouvoir…

– Tout d’suite les grands mots! Voyons Philippe, est-ce que j’ai une tête de pouvoir? Chuis pas “l’pouvoir”, chuis ton ami. Tu t’souviens du message de soutien qu’j’t’ai envoyé quand tu t’es retrouvé attaqué par des islamistes enturbannés?

– Bien sûr, Monsieur le Président, je n’oublierai jamais ce geste républicain. Ça me donne des frissons rien que d’y repenser…

– Eh ben tu vois, c’est ça un ami: quand t’es dans la merde, y répond toujours présent! Aujourd’hui, c’est moi qui suis dans la merde, ben c’t’à ton tour de m’renvoyer l’ascenseur. Tout c’que j’te d’mande, c’est d’nous faire une belle grille des programmes pour la rentrée prochaine. Le reste – l’administratif, la gestion, les r’lations avec les syndicats… -, tu m’laisses m’en charger. J’sais qu’t’es un homme très occupé.

– On ne peut rien vous cacher, Monsieur le Président. Avec tous ces plateaux télé, je n’ai même plus le temps de faire semblant de relire Spinoza.

– Alors on est bien d’accord ? Guillon prend la porte; Porte, tu lui dit d’aller voir là-bas si t’y es; quant à Mermet, tu nous l’cases vers 2 heures du mat’…

– Ne vous inquiétez pas, Monsieur le Président. Pousser les iconoclastes vers la sortie, je m’y connais. J’ai tellement prononcé d’excommunications depuis vingt ans qu’à Charlie, on me surnomme Benoît XVI!

– C’est très rigolo Philippe. Parfois j’t’envie: vous d’vez bien vous fendre la gueule dans ton journal!

– Pour remplacer Porte et Guillon, que diriez-vous de Jean Roucas et Mimie Mathy? Comme ça, on fait d’une pierre deux coups: on réhabilite l’humour corrosif social-démocrate, et en plus on envoie un signal fort aux Français victimes de discriminations – les vieux, les femmes et les personnes de petite taille.

– C’t’une super bonne idée, Philippe! J’vois que j’me suis pas trompé sur ton compte. Et sinon, kes’tu comptes faire pour l’boy-scout du “7-10”, là: l’abbé de La Morandais?

– Vous voulez parler de Nicolas Demorand? Mais voyons, Monsieur le Président, Nicolas est déjà social-démocrate: il ne ferait pas de mal à une mouche du Medef!

– Peut-être, mais y m’énerve, avec sa manière de poser dix fois la même question et de couper la parole à des patrons qui gagnent vingt fois son salaire. Les Français en ont marre des gens qui posent dix fois la même question et qui manquent de respect aux patrons qui gagnent vingt fois leur salaire.

– Dans ce cas, Monsieur le Président, on pourrait proposer à Nicolas de présenter la météo marine, et le remplacer par Jean-Marc Sylvestre.

– C’t’une bonne piste, Philippe. Mais j’voudrais surtout pas interférer dans tes choix. C’est toi l’directeur, c’est toi qui décides. Chuis pas du genre à m’mêler des affaires des journalistes, tu sais. Bon, ben j’crois qu’on s’est tout dit. T’as mon portable, alors t’hésites pas à m’appeler si t’as des emmerdes avec le SNJ: j’t’enverrai les gardes mobiles.

Philippe V., éditorialiste martyr

SOURCE : Le blog de Philippe V., éditorialiste martyr

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