Discours de Houria Bouteldja, porte-parole du PIR, à l’occasion de la Marche des Mamans de Mantes-La-Jolie, le 8 décembre 2019.
Dans un discours prononcé en 63, Malcolm X déclarait :
« Ceux qui viennent m’écouter le font car il leur paraît important de comprendre non seulement les problèmes locaux mais aussi les questions internationales et la manière dont notre peuple – les Afro-américains – s’inscrit dans cet ordre international. Les gens étroits d’esprit pensent qu’ils ne sont affectés que par la vie du quartier. Au contraire, celui qui se tient au courant de la politique internationale sait que les évènements qui se déroulent au Sud Vietnam peuvent rejaillir sur sa vie à St Nicholas avenue ou que ceux qui se passent au Congo peuvent se répercuter sur sa situation sur la huitième avenue. Quiconque réalise l’impact du moindre événement dans le monde sur son quartier, son salaire, son acceptation ou non par la société, s’intéresse d’emblée aux affaires internationales. »
L’honneur des mamans de Mantes-la-Jolie, c’est d‘avoir compris ce message de Malcolm X.
L’honneur des mamans de Mantes-la-Jolie, c’est d‘avoir saisi la brutalité policière qui s’est abattue sur leurs enfants comme un élément constitutif de l’ordre social tant à l’échelle locale qu’à l’échelle du monde.
L’honneur des mamans de Mantes-la-Jolie, c’est d’avoir refusé de pointer telle ou telle dérive de tel ou tel policier ou de telle ou telle brigade mais d’avoir pointé la responsabilité du principal donneur d’ordre : l’Etat et ses institutions.
L’honneur des mamans de Mantes-la-Jolie, c’est d’avoir rappelé à l’opinion, de plus en plus lucide sur l’ordre policier, que les cités d’immigration sont les principales cibles de la violence de l’Etat sous toutes ses formes : policière, judiciaire, carcérale ou économique.
L’honneur des mamans de Mantes-la-Jolie, c’est d‘avoir pointé le racisme d’Etat comme principe organisateur de la société française qui classe et qui hiérarchise. C’est d’avoir fait ce lien indissociable entre violence policière et islamophobie, entre violence policière et négrophobie, entre violence policière et rromophobie. Des racismes qui affectent la vie de millions de gens en France et qui les relèguent dans la France d’en dessous de la France des gilets jaunes, c’est à dire dans la France d’en dessous de la France d’en bas.
L’honneur des mamans de Mantes-la-Jolie, c’est d’avoir su ne pas isoler le cas de Mantes-la-Jolie des autres quartiers de France en mettant en évidence une unité de traitement et de condition.
L’honneur des mamans de Mantes-la-Jolie, c’est d’avoir su faire le lien entre la crise endémique des quartiers et la crise sociale généralisée en France qui touche dorénavant les classes moyennes dont les gilets jaunes sont aujourd’hui le visage emblématique et qui ont le grand mérite de révéler au grand jour le cynisme absolu de l’ordre néolibéral.
L’honneur des mamans de Mantes-la-Jolie, c’est d‘avoir su faire cet autre lien indissociable entre le racisme d’Etat et la politique infâme des frontières qui refoule les migrants et les condamne par dizaines de milliers en Méditerranée.
L’honneur des mamans de Mantes-la-Jolie, c’est d’avoir compris que cette fameuse « crise des migrants » était la conséquence d’un ordre mondial capitaliste et impérialiste qui prive les populations du Sud de leurs ressources et de leur souveraineté et qui les poussent à l’exil ou à la mort.
Leur honneur et leur générosité c’est d’avoir compris que le système qui a humilié leurs enfants est le même qui a éborgné les gilets jaunes et qui massacre en Irak, en Haiti, au Chili ou en Palestine.
Leur honneur c’est d‘avoir su ne pas dissocier leur rôle de mère de leur rôle de citoyenne du monde. Leur honneur c’est d’avoir politisé leur rôle de mère, de l’avoir sorti de leur HLM ou elles sont censées exercer en tant que mères au foyer, en tant que chômeuses souvent. Leur honneur c’est d’avoir exprimé une idée essentielle, déjà exprimée par des millions de femmes à travers le monde : faire de l’amour de leurs enfants et de la protection de l’enfance une affaire publique, d’en faire une question politique tout en l’inscrivant dans une logique globale de désordre mondial dans laquelle les enfants se seront pas épargnés.
Les mamans de Mantes nous ouvrent la voie de ce que l’on pourrait appeler une « politique de la maman ». En effet, Yessa Belkhodja déclarait récemment que les mamans de Mantes appelaient à cette marche en tant que « mères, d’abord pour rappeler que les prolétaires, à Rome, désignaient ceux qui n’avaient pour richesse que leurs enfants. À l’image de Fatima E. (la maman humiliée avec son fils par un élu d’extrême droite) quand on lui demande d’ôter son voile, et qui agrippe son fils comme pour le tenir à la surface de l’abime, comme des millions de mères, soeurs, filles, agrippent leur frères, leurs maris, leurs fils face à une déchéance programmée, qu’elle soit policière, carcérale ou économique. »
Je ne peux que remercier les mamans de Mantes-la-Jolie de nous ouvrir ce chemin de cette « politique de la maman » de manière aussi poétique : au nom de l’amour, pour l’amour de leurs enfants qui sont aussi nos enfants à tous. Un amour que j’apprécie d’autant plus qu’il sonne à mes oreilles comme un écho de l’amour révolutionnaire.
Houria Bouteldja, membre du PIR
Marche du collectif de défense des jeunes du Mantois.
Paris, le 8 décembre 2019