Réparations et Justice décoloniale : le cas du CARICOM

Conférence présentée dans le cadre de la seconde séance de l’Ecole Décoloniale consacrée au Panafricanisme, le 3 novembre à La Colonie.

  • [Introduction] La Dominique, autopsie d’un pays mort-né.

En ce trois novembre, l’île de la Dominique fête 41 ans d’indépendance, une indépendance obtenue après près de trois siècles de colonisation. 300 ans dont la moitié furent passés sous le régime esclavagiste, marqués par les révoltes, le marronnage et la résistance Kalinago, mais surtout, par la répression criminelle et sanglante qu’ils entrainèrent[1].

41 ans donc, pourtant toujours sujets de la Couronne (via le Commonwealth) et enferrés par l’économie plantationaire[2]. La banane a aujourd’hui remplacé la canne, le cacao, le café et le tabac sous pression du FMI, plongeant le pays dans une situation de dette permanente similaire à celle que connaît la Jamaïque[3].

Les derniers survivants du génocide colonial, vivent loin de leurs terres ancestrales. Bien qu’ils aient fondé la plupart des villes et villages de la côte caraïbe, ils résident pour la majorité dans des terres communalisées depuis 1903, dans des conditions précaires, similaires à celles d’autres populations natives de la moitié nord du continent. Sans autonomie politique, sans langue propre (morte dit-on depuis les années 1930), ils survivent grâce à l’artisanat et la folklorisation d’un patrimoine depuis longtemps oublié.

Une caste occidentalisée (composée majoritairement de descendants de colons et de mulâtres ainsi que de marchands orientaux, ayant en moins d’un siècle réussi à s’arroger une place dominante dans l’économie locale) et mercantiliste maintient elle la dépendance économique et alimentaire dans le seul but de s’enrichir en continuant de se partager les revenus de l’export et surtout de l’import, participant activement au maintien de la dépendance et de l’appauvrissement du pays.

Découragés par une situation économique stagnante et sans perspectives, la jeunesse émigre chaque année par milliers faisant, proportionnellement, de la diaspora dominiquaise l’une des plus importantes du monde (la communauté diasporique est environ dix fois supérieure à la population nationale). La Caraïbe est aussi une de régions au monde les plus touchées par les maladies « modernes »[4] ce qui participe en plus de la faible natalité à l’inertie démographique caribéenne. La population décroît donc au rythme des années, au gré des catastrophes climatiques et des aléas économiques.

Endettement, dépendance économique, mortalité accrue, dénuement, inégalités exacerbées… Ces réalités font écho à ces expériences de travail forcé, de déportation, d’expropriation et de spoliation massives dont nos ancêtres furent victimes. Ce constat sur la permanence des conséquences de l’expérience coloniale et esclavagiste est partagé par la majorité des peuples et nations du sud global et des populations non-blanches du nord (bien que la condition de descendant d’esclave soit relativement exclusive aux populations noires, historiquement).

Sont généralement appelés « mouvements pour les réparations » les formations et plateformes qui portent les revendications de reconnaissance du caractère injuste et criminel des pratiques coloniales et esclavagistes ainsi que de l’indignité des conditions de vie qui en résultent. Ils luttent pour la justice en interpellant les partis impliqués dans cette histoire.

  • I/Les réparations, généralités :

En plus de recouvrir un champ de mobilisation très large et plutôt hétéroclite, le thème des réparations pose en lui-même un certain nombre de questions, qu’il est nécessaire de poser pour en comprendre les enjeux et les complexités :

  • Qu’est ce qui doit être réparé ? En effet, massacre, mise en esclavage et travaux forcés, extractions de ressources (minières et agricoles), déportations, vols de terre, trafic de patrimoine culturel, génocides… Les évènements et situations qui font l’objet de demandes de réparation sont nombreux et divers. On continue d’ailleurs à travers les travaux d’universitaires et d’activistes de prendre la mesure du bouleversement qu’a été l’expansion de la Modernité. L’apport de nouvelles notions comme celles d’épistémicide, d’écocide ou encore de culturicide, permet de mieux décrire plus la multitude des préjudices subis directement ou indirectement par ces populations. Ces travaux permettent outre d’en décrire les conséquences dans leur ampleur et leur étendue.
  • Sur quelle période ? Le temps est une des questions les plus importantes de ce combat. Le principe de « prescriptibilité » rend difficile (légalement) de rendre justice pour une grande partie de ces crimes dans les cadres légaux actuels, le crime contre l’humanité étant le seul qui soit imprescriptible mais insuffisant dans sa définition à recouvrir l’ensemble des préjudices passés et des inégalités présentes à réparer. Mais, du point de vue des populations qui vivent au quotidien les rémanences de cette histoire, l’idée même de la prescriptibilité telle qu’elle s’applique dans le droit international est aussi inacceptable qu’incompréhensible. Les acteurs des combats pour la justice réparatrice soulignent donc souvent la permanence des violences coloniales. Car, si la justice réparatrice peut être mobilisée pour clore un chapitre du passé, c’est précisément que l’injustice ne passe pas sans réparation.
  • Qui doit-être bénéficiaire ? Selon la façon dont les revendications sont formulées, il peut s’agir d’individus descendants de victimes, des communautés dont elles étaient issues, de minorités nationales ou de pays entiers. Cette question donne lieu à des débats animés aux Etats-Unis par exemple, où le mouvement A.D.O.S. revendique l’exclusivité des compensation réparatrices en tant que descendants d’esclaves dits « américains », excluant de fait des populations noires immigrées qui vivent en grande partie l’oppression politique, sociale et économique d’une négrophobie systémique héritée de l’esclavage et de la ségrégation. Tournant le dos aux mouvements historiques pour les réparations au sein desquels une vision plutôt panafricaine de la question primait et prime encore.
  • A qui doit-on exiger réparations ? Aux individus héritant des fortunes fondées sur l’exploitation esclavagiste ou coloniale ? Aux compagnies s’étant imposées et développées grâce à ces exactions ? Aux Pays qui se sont développés et continuent de s’enrichir grâce à la prédation coloniale, à l’esclavage et la colonisation ? C’est l’ensemble de la civilisation moderne qui s’est nourrie et développé grâce à cette forme de prédation et d’exploitation coloniale. Mais elle a au cours de l’histoire eu recours à des relais et intermédiaires multiples (dont certains comme les royaumes dits « précoloniaux » d’Afrique furent contraints à participé à un commerce esclavagiste qui participa de la ruine de l’équilibre économique et politique du continent[5]) ce qui complexifie d’autant plus la question de la responsabilité/culpabilité.
  • De quel champ relève le combat pour les réparations : politique, juridique ou les deux ? La majorité des occurrences de justice réparatrices furent obtenues dans des cours de justices (comme par exemple pour le cas de la révolte des Mau Mau dont les descendants furent indemnisés suite à une décision de justice en 2013)[6]. Cependant, les réparations, et plus généralement, les demandes de justice réparatrice occupent une part importante des revendications au sein de mouvements populaires (grassroot) aux Etats-Unis (comme dans le plan en dix points du Black Panther Party[7]) ou dans les relations entre « anciennes » colonies et « anciennes » métropoles coloniales.
  • De quelle nature doivent-être les réparations ? Compensation financières individuelles ou collectives ? Aide au développement ? Mise en place de loi contre les discriminations ? Doivent-elles être de nature matérielle et/ou symbolique, économique et/ou politico-sociale ? Les formes des réparations est au cœur du débat car elles dépendent beaucoup de la nature de la demande de réparation et de la façon dont on qualifie le préjudice, les victimes et les ceux à qui ces demandes sont adressées.

Ces questions émergent bien-sûr de l’histoire des réparations elles-mêmes (réparations iniques, hétéroclites), mais surtout de la diversité des stratégies et des formes adoptées par ces mouvements. En effet, on distingue trois modes d’action qui ne sont pas mutuellement exclusifs et souvent liés :

  • Le mouvement de masse ou populaire (NCOBRA notamment ou le M.I.R.), qui travaille principalement à obtenir un soutien populaire en communicant sur les crimes coloniaux et en élaborant une réflexion sur les réparations mêmes.
  •  L’action politique au niveau national (où la pression des mouvements populaires sur les politiciens peut engendrer des propositions de loi soutenues par des politiciens) ou international (quand des gouvernements sous les mêmes pressions entament des démarches pour faire demander justice aux anciens colons)
  • L’action légale (procédures juridiques, celles qui ont eu le plus de succès), souvent initiée par des collectifs de descendants de victimes, des organisations ou des mouvements populaires.

Entendu qu’en considérant l’ensemble de ces questions et l’histoire complexe des luttes des réparations auxquelles elles se rapportent, il nous serait très difficile de proposer une analyse exhaustive et critique de la question dans le cadre de cette séance. Pour comprendre et illustrer le défi et les enjeux que pose cette question, nous aborderons donc le cas d’une demande particulière : celle du CARICOM (Communauté Caribéenne), une communauté d’états majoritairement insulaires et marqués par l’histoire de l’esclavage, qui a entamé en 2013 une action pour les réparations. Nous tenterons d’en décrire l’histoire et les revendications, mais aussi d’en analyser l’intérêt et les limites d’un point de vue décolonial.

  • II/Les réparations dans la Caraïbe : les réparations iniques

Il est important de souligner à quel point l’idée des réparations a marqué l’histoire politique du monde Noir anglophone dont la Caraïbe et les États-Unis font partie. La figure de Marcus Garvey, penseur et homme politique Jamaïcain et véritable trait d’union entre l’histoire politique caribéenne et afro-américaine nous disait déjà en 1919, ces quelques mots :

Ils nous ont dit impies, païens, barbares et que nous ne savions pas nous occuper de nous-même ; que nous n’avions pas de religion ; que nous n’avions pas de culture ; que nous n’avions pas de civilisation pendant tous ces siècles et c’est pour cela qu’ils se devaient d’être nos gardiens.

Mais Dieu merci nous avons tout cela à présent, et c’est pour cela que nous demandons qu’ils nous rendent NOTRE PROPRE CIVILISATION.

Nous demandons à l’Angleterre de nous la rendre, Nous demandons à la France de nous la rendre, Nous demandons à l’Italie de nous la rendre, nous demandons à la Belgique de nous la rendre, nous demandons au Portugal de nous la rendre, nous demandons à l’Espagne de nous la rendre ! Et si vous n’entendez pas la voix d’un ami qui crie dans le désert pour qu’on lui rende ce qui est sien, alors souvenez-vous, qu’un jour viendra où vous trouverez, marchant sur l’avenue du temps, 400 millions d’hommes et de femmes noires prêts à verser jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour la rédemption de leur terre mère d’Afrique !”

En ce qui concerne la Caraïbe, les seules réparations marquant l’histoire de l’émancipation des populations Africaines mises en esclavages furent en faveur des principaux bénéficiaires du système aboli aux moments des abolitions. Revenons-donc brièvement sur l’histoire de ces compensations :

  • En les dédommageant à hauteur de 20.000.000 livres (l’équivalent de 16.5 milliards de livres actuelles) pour la « perte de capital » en 1833[8], les anglais renforcèrent de fait les fortunes des esclavagistes. Cette compensation pour la libération des esclaves, participa à sécuriser la domination économique des esclavagistes sur les Caraïbes. Trahissant ainsi le racisme de l’abolitionnisme anglais qui dit vouloir mettre fin à la déshumanisation des personnes réduites en esclavages tout en exprimant une solidarité économique forte à la caste esclavagiste leur permettant de perpétuer sereinement leur domination sur cette même population.
  • Haïti arrache son indépendance à l’issue de la guerre insurrectionnelle initiée en 1791, cette défaite ne sera pourtant reconnue par la France que 21 ans après la proclamation d’indépendance,  en 1825 ; date à laquelle Charles X, roi de France, força sous la menace le gouvernement Haïtien à se plier à une ordonnance instituant une dette de 150 000 000 de francs d’or en échange de la reconnaissance de l’indépendance du gouvernement Haïtien et de son peuple. Cette énorme dette ne finit par être remboursée que plus d’un siècle plus tard (en 1947) et a beaucoup contribué à la pauvreté du pays, maintenant de fait le pays dans une forme de domination coloniale.
  • En 1848, après l’abolition de l’esclavage, l’état français contribue à acheter pour les anciens esclavagistes des engagés d’inde et d’Asie du sud-est, mais aussi des travailleurs noirs du Bas Congo, ce qui en soit est également une forme de compensation pour la perte de la main d’œuvre gratuite fournie par l’esclavage.
  • La même année, l’état révolutionnaire français n’a pas simplement aboli l’esclavage, il a surtout racheté les esclaves aux propriétaires via le Crédit Foncier. Ce faisant, il permit d’abolir l’esclavage sans abolir les privilèges qui en découlent. Les Békés, nom de la caste esclavagiste française, dominent encore aujourd’hui l’économie martiniquaise et guadeloupéenne grâce au capital constitué pendant l’esclavage et son abolition.

Les précédents concernant les réparations dans la Caraïbe n’ont servi qu’à préserver les intérêts et la domination des anciens maîtres. Une réparation inique donc, qui ne participe pas à clore ensemble ce chapitre de l’histoire mais à en ouvrir un autre, celui de la colonie plantationnaire post-esclavagiste. Ces « réparations » coloniales n’ont eu pour conséquence que de réformer la situation d’apartheid économique et politique généralisé. Au sein de de ce nouvel ordre, l’ordre racial/chromatique plantationnaire fut rigoureusement préservé et ou le statut de travailleur agricole journalier succéda à celui d’esclave. Maîtres et esclaves conservent leurs statuts respectifs tandis que se constitue une classe bourgeoise mulâtre comparable à celle qu’on trouve ailleurs dans le continent.

Dans le cas caribéen, les réparations abolitionnistes n’eurent pour effet que de mettre à jour la domination coloniale tout en renforçant la domination économique et politique. On voit donc que la qualification de la nature du préjudice et l’identification des personnes ou entités à dédommager sont cruciales. Toute réparation n’est donc pas décoloniale en soi, en cela qu’elle peuvent participer à renforcer et pérenniser la colonialité du pouvoir. Il tient d’en étudier scrupuleusement le contenu et la forme pour établir si oui ou non elle porte en elle le potentiel d’établissement d’une justice décoloniale[9].

  • III/ Le Comité pour les Réparations du CARICOM (CRC) :

Au cours des années 60 et 70, les Iles de la Caraïbe obtiennent peu à peu leur indépendance, à l’exception des iles sous domination française, des iles Vierges (protectorat et colonialisme américain), de Porto-Rico. Les anciennes colonies anglaises, dont les citoyens sont encore sujets de la reine d’Angleterre au sein du Commonwealth, s’allient à Haïti ainsi qu’au Guyana et au Surinam continentaux pour former le CARICOM, la communauté caribéenne, une union politique et économique régionale. Il est important de noter que ces indépendances sont en général concédées par l’Angleterre afin de garder une emprise sur la région, les systèmes scolaires, politiques et économiques sont encore fortement liés à ceux du Royaume-Uni. A l’image de la situation Françafricaine, une forme de lien colonial subsiste. La Caraïbe devient également le terrain de la guerre froide, principalement à cause de la pression exercée par les États-Unis sur les pays de la région, voisins de Cuba. Si donc les indépendances ont bien eu lieu, on peut les considérer à la lumière de l’épisode de l’émancipation, comme une nouvelle réforme du système plantationnaire : les administrateurs coloniaux laissent place à des gouvernements dépendants et faibles politiquement qui continuent d’alimenter l’occident en matières premières bon marché, bien que la multiplication des dépendances agricoles en Asie et en Afrique ait entamé de marginaliser l’archipel économiquement. L’emprise coloniale anglaise est désormais partagée avec les États-Unis qui multiplieront les ingérences, le FMI assurant dorénavant la domestication de l’économie Antillaise. En somme, il s’agit ici d’une région indépendante formellement mais toujours colonisée (une situation tristement banale sur le continent[10]). Ce qui constitue a priori une limite à toute politique décoloniale.

Malgré ces difficultés objectives, le mouvement pour les réparations se poursuit. En 1993 se tient à Abuja la première conférence panafricaine sur les réparations pour la mise en esclavage des Africains, la colonisation et le néocolonialisme. Cet évènement ravivera la lutte pour les réparations au sein de la communauté africaine et Afro-diasporique. Elle appelle explicitement «la communauté internationale à reconnaître qu’il existe une dette morale unique et sans précédent envers les peuples Africains qui n’a pas encore été payée».

Puis, en août-septembre 2001, les Nations Unies organisent la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance à Durban, en Afrique du Sud. Malgré la loi française du 21 mai 2001 adoptée par l’Assemblée nationale et le Sénat, stipulant que « la République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité », le représentant français ne prit pas la parole pour défendre cette reconnaissance de la traite négrière transatlantique et de l’esclavage dans le Nouveau monde. Les États-Unis eux, ont boycotté la conférence, et aucun pays européen ne s’est depuis montré prêt à suivre l’exemple français.

Peu après, octobre 2002 se tint à la Barbade la Conférence Mondiale Des Africains Et Des Afro Descendants Contre Le Racisme, participant à faire de la Caraïbe un des pôles internationaux des revendications pour les réparations.

En 2013 finalement, le CARICOM, encouragé par le travail militant fait dans la région et les recommandations (formulées dans son livre plaidoyer pour les réparations « la dette noire britannique : réparations pour l’esclavage et le génocide des indigènes » de l’historien Hilary Beckles forme le Comité du CARICOM pour les réparations dont il prend la tête.

Au vu des conditions actuelles, porté par une union de petit pays insulaires, cette commission peut-elle tenir la promesse annoncée d’ « ouvrir une voie vers la réconciliation et la justice pour les victimes de crimes contre l’humanité et leur descendants »[11] ?

  • IV/ Le Plan en 10 points pour les réparations : pertinence, limites et faisabilité

Cette commission élaborera un plan d’action en 10 points adopté à l’unanimité en 2014contenant les revendications suivantes:

  • Des excuses pleines et formelles, par opposition aux “expressions de regrets” que certains pays ont pu formuler par le passé.
  • Le rapatriement, en insistant sur le droit des descendants de plus de 10 millions d’africains enlevés et déportés vers les Caraïbes comme esclaves, réduits à l’état de bétail et de bien meubles, à rentrer d’où ils viennent
  • Un programme de développement pour les populations indigènes ayant survécu au génocide.
  •  Des institutions culturelles permettant de transmettre la mémoire des victimes et de leurs descendants 
  • Des moyens alloués à la « crise de santé publique » que connaît la Caraïbe. La Caraïbe étant la région qui a “la plus forte incidence de maladies chroniques qui émane directement de l’expérience nutritionnelle, de la violence psychologique et de manière plus générale des formes de détresses associées à l’esclavage, le génocide et l’apartheid.
  • L’éradication de l’illettrisme, les populations Noires et Indigènes ayant été laisse dans une situation d’illettrisme généralisé après l’indépendance, particulièrement dans les colonies anglaises.
  • Un Programme d’Enseignement Africain, afin de renseigner les Afro-descendants sur leurs racines.
  • Un programme de Réhabilitation Psychologique pour le soin et la réparation des populations Afro-descendantes.
  • Un transfert de technologie pour avoir un meilleur accès à la science et la culture technologique mondiale.
  • L’annulation de toutes les dettes pour mettre fin à “l’enchaînement fiscal” que connait la Caraïbe depuis la libération de l’esclavage et du colonialisme.

Ce plan permet de proposer des solutions pragmatiques aux conséquences directes du colonialisme, de l’esclavage et du génocide indigène, sans pour autant s’affranchir totalement des politiques d’aide au développement traditionnelles(demande d’aide au développement, aide à la lutte contre l’illettrisme, aide) qui consacrent une sorte de charité humanitaire occidentale dont la colonialité n’est plus à prouver. En élargissant les revendications à des objectifs d’ordres plus symboliques hérités du panafricanisme, il se démarque des luttes purement juridiques et les déborde pour affirmer la portée profondément morale et politique des réparations (Politique du retour et liens avec le continent).

Il est nécessaire de souligner l’absence de revendications concernant l’autonomie politique. Pas de demande donc concernant la fermeture des bases américaines, françaises et anglaises de la région. Pas de propos sur la possibilité d’un changement du système monétaire, alors que de l’autre côté de l’Atlantique, le débat sur le FCFA fait rage. Aucune demande sur la fin des protectorats et l’indépendance des iles et territoires colonisés de la région. En somme, la dette est considérée ici comme la principale entrave des pays de la région, alors que la permanence de la domination des « anciennes » et nouvelles puissances coloniales se fait sentir dans de nombreux domaines.

Malgré un engagement avec les acteurs de la société civile et une présence internationale[12], le plan n’a pas encore pu être mis en œuvre, l’Angleterre refusant de présenter plus que des « regrets »[13], les excuses étant la première étape indispensable à la mise en œuvre du plan. Et c’est en cela qu’il tient d’interroger plus que le contenu des revendications, mais l’état des acteurs qui les portent ainsi que le contexte politique dans lequel elles sont portées.

L’invasion de la Grenade en 1983 ou les multiples ingérences Françaises et américaines dans la politique Haïtienne, marquent encore les mémoires des peuples et gouvernements de la Caraïbe, et il est en effet difficile d’imaginer que des pays sans indépendance politique, totalement (ou partiellement) entravés économiquement puissent faire poids sur les anciens pouvoirs coloniaux ? Pourquoi, alors que les questions soulevées par le plan proposé par la commission concernent un grand nombre de pays sur le continent et en Afrique, constituer des demandes concernant exclusivement la région Caraïbe ?

Cette démarche participe malgré elle de l’éclatement des pôles et des modes de revendications réparationnistes et de leur faiblesse généralisée et ce, malgré un travail sérieux d’élaboration de revendications régionales communes et un soutien populaire relatif. Mais cette faiblesse n’est-elle pas le triste reflet de l’état du rapport de force Nord-Sud ? Un rapport de force défavorable aggravé par une colonialiste du pouvoir qui rend d’autant plus difficile l’élaboration d’une démarche collective pour les réparations. Une situation illustrée à Durban notamment par la désolidarisation publique du président sénégalais alors en exercice A. Wade[14].

  • Conclusion

Nous ne pouvons pas nier l’importance du mouvement pour une justice réparatrice dans la reconquête de la dignité des peuples indigènes, mais il ne faut pas non plus en oublier la principale condition de radicalisation et de renforcement : l’émergence d’un bloc Décolonial constitué de peuples souverains pouvant infléchir profondément le rapport de force actuel en sa faveur. L’ambition du plan proposé ne masque pas cependant la contradiction évidente entre les revendications assumées et la situation politique des pays initiateurs de la démarche, nous poussant aussi l’interpréter autrement : comme l’expression d’une certaine fébrilité, comme l’ultime supplication des gouvernements dépendants de la Caraïbe réclamant aux anciens maîtres les moyens de les aider à instaurer un semblant de justice sociale et de dignité afin de se protéger d’une sanction populaire qui semble aujourd’hui plus que jamais, inéluctable.

Les mots de Marcus Garvey nous rattrapent par leur aspect prophétique : des rues de Port-au-Prince à celles de Khartoum, Lomé ou Conakry, la vague révolutionnaire qui secoue actuellement les pays du Sud fait peser de tout son poids la menace qu’il formula en 1919. Dans un monde où la permanence de la nature coloniale des rapports économiques et politiques étouffe nos peuples, une révolution, pour être décoloniale doit mettre fin au mimétisme colonial en abolissant les rôles de (contre) maître et d’esclave, de colon et de colonisé. Dans l’entreprise de réhabilitation de l’Indigène et du Nègre dans leur dignité humaine, la révolution peut constituer l’expression d’une demande de justice réparatrice sous sa forme la plus radicale : celle de la justice décoloniale ; tout en étant aussi, paradoxalement, la condition première et principale de sa mise en œuvre. Bien qu’il faille pouvoir garder un recul critique sur leurs modalités, les mouvements pour les réparations font néanmoins partie des formes intermédiaires que peut prendre ce désir de justice, elles méritent en tant que telles l’attention et le soutien (même critique) du mouvement décolonial. Car à travers ces mobilisations s’exprime la volonté de l’avènement d’un monde nouveau, débarrassé de la domination occidentale et enfin « réparé » des stigmates de sa prédation coloniale.

Kossi Ayomide Paul, membre du PIR


[1] Pour plus d’informations concernant les guerres marron de la Dominique, consulter l’ouvrage « Forests of Freedom, The Fighting Maroons of Dominica » (Papillote Press) de Lennox Honeychurch.

[2] Telle que définie dans « Les Puissances D’argent en Martinique », de Guy Cabort Masson, éditions VDP.

[3] Life and Debt, Stephanie Black, 2001

[4] Atlas Caraïbe, http://atlas-caraibe.certic.unicaen.fr/fr/page-51.html

[5] Comment l’Europe a Sous-développé l’Afrique,Walter Rodney, 1972

[6]https://www.gov.uk/government/news/statement-to-parliament-on-settlement-of-mau-mau-claims

[7] “War against the Panthers”, de Huey P. Newton, 1980.

[8] Out of Slavery, Abolition and After, 1833-1983 (Ed. J. Hayward, 1985.)

[9] “Decolonial justice opposes the preferential option for imperial Man by the preferential option for the wretched of the earth […].” Maldonado, 2007.

[10] La colonialité du pouvoir entravant l’avènement d’une réelle décolonisation et ce malgré les changements formels, une situation décrite dans les pays hispanophones par Anibal Quijano entre autres.

[11] http://caricomreparations.org/

[12] Présence de la commission au sommet pour les réparations de 2015 à NY, des discours tenus devant la chambre des communes britannique ou les nations unies en 2014.

[13] It is hard to believe that what would now be a crime against humanity was legal at the time, I believe the bicentenary offers us a chance not just to say how profoundly shameful the slave trade was – how we condemn its existence utterly and praise those who fought for its abolition, but also to express our deep sorrow that it ever happened, that it ever could have happened and to rejoice at the different and better times we live in today.‘ Tony Blair, 2006.

[14] « I am opposed to demanding financial recompense. Slavery, the subjugation of a people for three centuries, cannot be evaluated in billions of dollars. It is absurd… that you could pay up a certain number of dollars and then slavery ceases to exist, is cancelled out and there is the receipt to prove it, » he added. « We still suffer the effects of slavery and colonialism, and that cannot be evaluated in monetary terms. I find that not only absurd, but insulting, » Wade said. He noted there were African peoples who had sold slaves. « Should they also pay up? » he asked. « Some of us have forbears who may not have sold slaves, but had slaves in their armies. I am talking about my own ancestors, who had 10 000 soldiers at that time, of which two thirds were slaves. », Senegal’s Wade calls slave reparations absurd

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