Maroc : un tournant sécuritaire

«Je suppose qu’il est tentant, si le seul outil dont vous disposez est un marteau, de tout traiter comme s’il s’agissait d’un clou »(Abraham Maslow, 1966)

Cette formule, plus connue sous le nom de la Loi de l’instrument de Maslow, s’applique parfaitement à la vie politique marocaine. C’est meme une allégorie de la pratique politique de l’Etat marocain dans sa gestion des multiples contestations qui l’assaillent, spécialement depuis ce que l’on a pu appeler la séquence covid.

En effet, plus la gouvernementalité makhzanienne oscillait savamment, depuis la fin du règne de Hassan II, entre la carotte et le bâton, plus nous assistons, depuis le début de la crise sanitaire, à un choix résolu en faveur de la zerouata1. Ainsi, à l’image de tous les régimes post-coloniaux autoritaires, le Makhzen a profité des restrictions sanitaires liées à la gestion de l’épidémie pour boucler les libertés publiques et régler ses comptes avec ses opposants politiques, profitant ainsi de l’état de latence et de flottement caractéristique de la période, pour annoncer le prélude de ce que d’aucuns ont pu assimiler à un retour des années de plomb2.

Provocations, intimidations, arrestations abusives, usage démesuré de la force, diffamations à grande échelle, etc. : le régime marocain, muré dans une approche purement sécuritaire et policière de la chose publique, est en roue libre. Incapable d’apporter des réponses politiques et économiques viables permettant une sortie par le haut de la présente récession, il s’en prend, comme à son habitude, aux messagers plutôt qu’au message, aux manifestations épidermiques de la gronde populaire plutôt qu’à ce que feu le martyr Mahmoud Bennouna appelait les racines du mal qui paralyse notre pays. C’est ainsi que nous assistons, depuis maintenant plusieurs mois, au déferlement d’une vague répressive d’ampleur hassanienne qui vise particulièrement l’ensemble des voix discordantes critiques du pouvoir central. La détention, sous de faux prétextes, des journalistes Omar Radi et Suleiman Raissouni (aujourd’hui à son 91-ème jour de grève de la faim), l’expulsion et l’interdiction de séjour d’avocats et de reporters internationaux appelés à recouvrir l’affaire, la criminalisation de toute initiative de soutien à la Palestine, la condamnation à des peines de prison ferme de citoyens critiques de l’Etat par le simple fait de publications sur les réseaux sociaux, l’intensification de la répression des militants sahraouis et de tous les pourfendeurs du consensus chauvin entourant cette question (comme en témoigne la condamnation du militant étudiant Hocine Alaoui à 15 ans de prison suite à sa prise de position en faveur de l’auto-détermination du peuple sahraoui), le recours systématique à la rhétorique de l’antiterrorisme pour museler les formes d’expression politique non-domestiquées de l’islam, l’obscène mise en scène – au début du confinement- de fonctionnaires dépositaires de la puissance publique attentant à l’intégrité physique et morale de citoyens présentés comme récalcitrants et irresponsables, outre la violence symbolique adoptée dans les discours officielles et qui dégouline de mépris démagogique relayés sans discontinue par les médias aux ordres. Autant de facettes de la réalité concrète de la fascisation du pouvoir politique au Maroc.

Fascisation appelée à s’accroître davantage au vu de l’aggravation des réalités socio-économiques suscitant la colère légitime du peuple marocain, abattu par dix-huit mois de gestion calamiteuse de la pandémie en cours.

Fascisation à marche forcée puisque l’État marocain ne dispose plus des fonds financiers nécessaires qui lui permettent habituellement de recourir à l’octroi de rentes et de prébendes, lui assurent artificiellement une forme (toujours précaire) de paix sociale sans parler des indicateurs macro-économiques qui dressent un tableau peu reluisant, faute de réformes structurelles qui ne semblent pas prêtes de voir le jour (refonte du système fiscal, remise en question de la politique dite des « champions nationaux », renégociation/révocation des accords de libre-échange, etc.), pour l’avenir du pays.

Seules demeurent la cravache du Makhzen et la résistance du Peuple.

Jad Benchetrit, membre du PIR

Notes

1Version marocaine de la matraque occidentale, symbole de la répression makhzanienne.

2Les années de plomb désignent, au Maroc, la période allant de l’accession au trône de Hassan II aux dernières années de son règne. Elle fut marquée par une répression en règle de tous les opposants politiques et de toutes les révoltes populaires.

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