Les laissés pour compte

Depuis le début du mois d’avril 2022, les musulmans d’Inde font l’objet de persécutions et d’attaques religieuses de plus en plus nombreuses – événements qui se sont multipliés dans tout le pays. Shivangi Mariam Raj rend compte de cette haine et de cette violence dirigées par l’État, ainsi que de la menace de génocide à laquelle sont confrontés les 207 millions de musulmans du pays. 

Lorsque j’ai vu la photo de Wasim Ahmad Shaikh, la tôle verte de sa boutique éventrée, fixant les décombres de l’après-midi, je me suis souvenue de Mohammad Razzaq Alam que j’avais rencontré lors du pogrom de Delhi en 2020. Razzaq, un homme handicapé, avait été contraint d’escalader les quatre étages de sa maison à Mustafabad après qu’une milice hindoue y ait mis le feu. Je me souviens de l’odeur des décombres, de la fumée et de la poussière ce jour-là, et je me rappelle aussi comment il a été traqué par l’administration locale l’accusant d’être un « émeutier ». Wasim a également beaucoup souffert. En 2005, il a perdu ses deux mains dans un accident du travail et, le 11 avril de cette année, son petit magasin du quartier de Chhoti Mohan Talkies a été démoli par les autorités locales qui l’ont accusé d’avoir jeté des pierres sur une procession religieuse hindoue la veille.

Le mois dernier, la violence à l’encontre des musulmans s’est intensifiée en Inde. D’éminents défenseurs des droits humains et experts politiques ont exprimé leur inquiétude quant à la possibilité d’un génocide des musulmans dans la plus grande démocratie du monde. Les événements qui se sont déroulés au cours de ces quelques semaines ne sont toutefois que les derniers d’une longue série qui a non seulement normalisé le meurtre et la spoliation des musulmans dans le pays, mais les a aussi activement célébrés et récompensés. Mais pour bien comprendre la dangereuse situation dans laquelle se trouvent aujourd’hui les 207 millions de musulmans d’Inde, il est important de se rappeler qu’il s’agit de l’aboutissement d’un processus graduel, et non d’une séquence d’événements isolés. Catégoriser les minorités et les citoyens minorisés, devant être disciplinés ou éliminés, en tant que menaces nécessaires est une caractéristique courante de la conception et de la pratique des États-nations modernes, à laquelle l’Inde ne fait pas exception.

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Dans la ville de Karauli, au Rajasthan, les membres des groupes nationalistes hindous Vishwa Hindu Parishad (VHP), Bajrang Dal et Rashtriya Swayamsewak Sangh (RSS) ont marqué le Nouvel An hindou le 2 avril par une procession qui a traversé un quartier à dominante musulmane. Les manifestants ont scandé des slogans offensants et entonné des chansons provocantes en dansant avec des épées, des haches, des fusils, des matraques et des gadas. Le rassemblement a eu lieu dans la soirée, au moment où les musulmans qui observent le mois sacré du Ramadan rompent leur jeûne. On ne sait pas qui a commencé à lancer des pierres en premier, mais la suite s’est soldée par l’incendie de maisons, de magasins et de véhicules de musulmans, ainsi que par la vandalisation des mosquées et le pillage des commerces appartenant à des musulmans. Une semaine plus tard, le 10 avril, à l’occasion de Ram Navami, une série semblable d’attaques soutenues par des milices hindoues a eu lieu dans d’autres villes indiennes, notamment à Bokaro et Lohardaga dans le Jharkhand, Bankura et Howrah dans le Bengale occidental, Khambhat et Himmatnagar dans le Gujarat, Mumbai et Amravati dans le Maharashtra, Mulbagal dans le Karnataka, Vasco à Goa et Kurnool dans l’Andhra Pradesh.

Alors que le feu et le sang ont dévoré leurs mondes précaires, l’intimité même des maisons et des mosquées des musulmans indiens a été touchée. Ce même jour, le 10 avril, la ville de Khargone, dans le Madhya Pradesh, brûlait elle aussi. Deux jours plus tard, Abdul Hamid, un vieil aveugle du village de Kukdol, a été attaqué chez lui par une milice hindoue qui l’a soupçonné d’abriter des « émeutiers ». Une foule de plus de 60 hommes est entrée dans sa maison et menacé de violer sa fille sourde et muette, a déchiré les vêtements de sa femme et a attaqué la famille à coups de pierres aux cris de Jai Shri Ram (« Gloire au Dieu Rama »). Dans le même village, d’autres personnes se sont vu refuser des rations et des produits d’épicerie par des commerçants locaux au motif que les musulmans ne sont pas chez eux dans le village. Plusieurs témoignages de survivants racontent que les voisins ont caillassé leurs maisons et les ont attaqués avec des armes blanches. Des commerçants musulmans ont témoigné du ciblage sélectif de leurs établissements, soulignant l’implication de personnes qu’ils connaissaient depuis des décennies.

Alors que les événements continuent de s’aggraver, et que le choc continue de ronger les musulmans, ceux-ci ont le sentiment d’avoir été trahis par les leurs. Des milliers de personnes à travers le pays sont désormais sans abri, déplacées sans aucune source de revenus. Plusieurs familles musulmanes, dont des enfants, sont en fuite, se cachant pour sauver leur vie. Les blessures, tant physiques que psychologiques, sont profondes, les musulmans étant déclarés « étrangers » et « ennemis » au sein même des espaces qu’ils ont longtemps habités ; le sens et la mémoire que les rues et quartiers locaux évoquaient autrefois leur ont été volés.

Et, malgré les affirmations contraires, rien dans ces attaques n’est spontané. Des saints hindous et des dirigeants d’extrême droite les ont bien coordonnées en organisant leurs processions de manière à remettre en cause l’accès des musulmans aux espaces sociaux et économiques. Dans tous ces épisodes, il y a eu un manque flagrant d’action policière contre les auteurs. La police agit en tant que spectateur ou, dans certains cas, aide même la foule. De ce fait, l’appellation courante d’ « affrontement communautaire » ou « émeute » est impropre pour désigner cet assaut contre les musulmans soutenu par l’État.

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Si nous retraçons la topographie de la ségrégation en Inde, nous constatons que depuis plusieurs décennies, certains quartiers, immeubles résidentiels, établissements d’enseignement, lieux de travail et espaces publics ont constamment pratiqué la discrimination à l’égard des musulmans. Et lorsqu’ils ne sont pas contraints de vivre dans des ghettos, on interdit aux musulmans d’organiser des prières publiques à travers le pays. En novembre 2021, Gurugram, dans l’Haryana, a résonné du slogan « Abattez les traîtres à l’hindouisme et à l’Hindoustan » après que des musulmans ont été accusés de causer des « troubles publics » en exerçant leur droit d’offrir des namaaz collectifs le vendredi. Une semaine auparavant, Pushkar Singh Dhami, le ministre en chef de l’Uttarakhand, avait lancé une « campagne de vérification » à la demande de chefs religieux hindous, dont Swami Anandswaroop, qui avaient réclamé qu’interdiction soit faite à des non-hindous (référence implicite aux musulmans) de s’installer dans l’État.

Dans l’Inde d’aujourd’hui, les musulmans ne sont même pas considérés comme des citoyens de seconde classe – ils ont été réduits à une catégorie sous-humaine, une tare existentielle, un fardeau spatial. Ils sont simultanément placés à l’intérieur et à l’extérieur de la sphère de la loi, où toute violence à leur encontre est soit légalement approuvée, soit autorisée par des logiques extrajudiciaires de sécurité permanente. Le parti au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (BJP), s’est servi de cette évolution pour s’assurer des victoires électorales, les musulmans étant considérés comme des figures indésirables devant être éliminées du paysage de promesses et de prospérité du Rashtra hindou. L’utilisation croissante de bulldozers par l’État pour cibler les propriétés musulmanes en est la preuve la plus évidente. Les bulldozers ont mis en place une architecture de la ruine, quelque chose qui a été perfectionnée dans le laboratoire colonial de l’Inde au Cachemire, et qui est maintenant mise en œuvre dans les États du Madhya Pradesh, de l’Uttar Pradesh, du Gujarat et de Delhi. Ils sont un outil de nettoyage ethnique et de construction de la ruine musulmane comme condition préalable à un développement majoritairement brahmanique.

Dans le district d’Anand, au Gujarat, des maisons et des magasins appartenant à des musulmans ont été rasés, les autorités du district invoquant leur participation aux violences du 10 avril. Une démolition ciblée similaire a été entreprise par l’administration du Madhya Pradesh pour qui cette démolition était le moyen de garantir la justice. En 2021, l’État a adopté un projet de loi sur la prévention des dommages aux biens publics et privés et le recouvrement des dommages. Cette loi stipule que le gouvernement local peut récupérer jusqu’au double du coût des dommages causés aux biens publics par les manifestants. Alors que cette loi est utilisée depuis l’année dernière contre les musulmans, elle a pris cette année une tournure plus sinistre, le ministre de l’Intérieur de l’État, Narottam Mishra, affirmant que « les maisons d’où les pierres ont été lancées seront désormais elles-mêmes réduites à un tas de pierres ». La plupart des maisons et des magasins visés dans le Madhya Pradesh appartenaient à des hommes musulmans qui avaient déjà été arrêtés par la police sur la base de fausses accusations. Les accusations de jets de pierres n’ont pas été étayées par des preuves suffisantes et les habitants n’ont pas été prévenus à l’avance.

Le 20 avril, en présence des forces paramilitaires et sur ordre du président du BJP de Delhi, Adesh Kumar Gupta, la municipalité de New Delhi a détruit des maisons, des stands ambulants, des magasins et un sanctuaire musulmans dans le quartier de Jahangirpuri. Les petites structures appartenant à des musulmans de la classe ouvrière et de la caste opprimée ont été qualifiées d' »empiètements illégaux », rendant ainsi leur destruction non seulement légalement permise, mais aussi politiquement nécessaire. Qualifiés de « Bangladais » et de « Rohingyas » par plusieurs partis politiques, les musulmans bengalis de la région sont depuis longtemps considérés comme des « infiltrés » dans leur propre pays. Une photo particulièrement déshumanisante a été prise dans la région, montrant des musulmans enfermés derrière une voie barricadée, obligés de regarder impuissants le désastre qui les attend. Le 16 avril, la même zone a subi une série d’attaques, des incendies criminels et des musulmans ont été humiliés et blessés par une milice de près de mille personnes lors d’une procession pour célébrer Hanuman Jayanti. Comme rapporté par des témoins oculaires, la foule hindoue a tenté de planter des drapeaux safran sur la mosquée locale, et quelques jours plus tard, une partie de l’entrée de cette même mosquée a été démolie par les bulldozers de l’État. 

À Roorkee, dans l’Uttarakhand, des musulmans ont également été attaqués le même jour. Bien qu’il existe des quartiers délimités dans l’espace pour chacune des deux communautés, plusieurs familles musulmanes du village de Dada Jalalpur ont été contraintes de fuir par crainte de nouvelles violences. Des bulldozers ont été stationnés à l’extérieur de la zone musulmane, et la police a exigé que les résidents se rendent. Trois jours plus tard, le 19 avril, est apparue une vidéo d’un chef religieux hindou, Prabodhanand Giri, menaçant d’installer un nouveau « parlement religieux » agressif dans la région si leurs demandes – de raser les maisons musulmanes – ne sont pas satisfaites.

Dans cette série de vendettas politiques, les musulmans sont présentés comme des « éléments antisociaux » qui n’ont aucun droit sur les espaces sociaux partagés, pas même sur l’intimité de leurs propres maisons.

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Vers la fin du mois de décembre 2021, une congrégation religieuse hindoue s’est tenue à Haridwar, dans l’Uttarakhand. Y participaient le prédicateur religieux populaire Yati Narsinghanand Saraswati ainsi que d’autres saints autoproclamés qui ont tous prononcé une série de discours incendiaires. À entendre ces prédicateurs, ce n’est pas seulement l’Inde mais la planète entière qui est menacée par le « djihad islamique ». Pour eux, seul un nettoyage ethnique des musulmans à la manière du Myanmar pourrait l’empêcher. Plusieurs groupes hindous ont participé à ce conclave haineux où les préjugés majoritaires ont été scandés en un cri de guerre réclamant le génocide des musulmans. Le slogan « Shastra Meva Jayate » – une reprise de l’emblème de l’État indien « Satya Meva Jayate », la vérité seule triomphe, la vérité étant remplacée par les armes – a résonné dans une salle comble, alors même que de jeunes enfants ont reçu une formation au maniement des armes. Quelques mois plus tôt, le 8 août 2021, un rassemblement similaire avait traversé le cœur de la capitale indienne, où – sous couvert de protestation contre les « lois de l’ère coloniale » – les hindous étaient exhortés à prendre les armes et à exterminer les musulmans. Plutôt que de se voir sanctionnés, les organisateurs des deux rassemblements ont été gratifiés d’un soutien public important. Et, même ceux qui ont été emprisonnés temporairement ont ensuite été autorisés à participer à d’autres événements de ce type, en violation flagrante des conditions de la libération sous caution. Plusieurs de ces dirigeants ont fait étalage de leurs liens avec le parti au pouvoir et les forces de police, et certains, dont Kapil Mishra et Anurag Singh Thakur, n’ont fait que gagner en popularité depuis. Une telle impunité a permis le maintien de centaines de ces événements, apparemment sans rapport, dans tout le pays. Et ces incidents ont joué un rôle non négligeable dans les turbulences du mois d’avril de cette année lorsque les attaques contre les musulmans ont marqué nos calendriers à jamais. 

Et tandis que des chansons utilisant l’esthétique techno et psychédélique populaire, et aux des paroles offensantes calquées sur les slogans et les discours vomis sans cesse par les chefs religieux hindous – dont beaucoup menacent les musulmans d’une extrême violence – sont diffusées avec fracas dans les zones à dominante musulmane, des appels répétés à l’interdiction de l’azaan ont été lancés par des dirigeants politiques estimant que l’appel à la prière musulmane « perturbe les étudiants et les patients ». Selon un rapport récent, plus de 70% des mosquées de Mumbai ont déjà cessé d’utiliser des haut-parleurs pour l’azaan. Cette évolution intervient alors que le chef du Maharashtra Navnirman Sena, Raj Thackeray, a exigé que les haut-parleurs des mosquées du Maharashtra soient retirés avant les célébrations de l’Aïd, le 3 mai. Cela fait écho à des demandes similaires dans le Karnataka et le Madhya Pradesh, où des milices hindoues ont menacé d’installer un paysage sonore contraire en diffusant des chants religieux hindous grâce à des haut-parleurs installés en face des mosquées.

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Tout cela constitue le spectacle de la masculinité majoritaire qui s’exerce contre le corps musulman. Et avec des décisions comme celle rendue en mars 2022 par la Haute Cour du Karnataka, qui a confirmé l’interdiction du port du hijab dans les établissements scolaires – un acte qui réduit encore l’accès des femmes musulmanes à l’éducation -, l’apartheid de facto contre les musulmans en Inde est devenu de jure.

Alors que le mouvement nationaliste hindou brandi le spectre de musulmans devenant plus nombreux que les hindous, la violence génocidaire devient un outil de gestion de la population, un remède pour apaiser les angoisses démographiques. Le projet de loi sur la population (Contrôle, Stabilisation et Bien-être) introduit par le BJP dans l’Uttar Pradesh l’année dernière constitue une tentative de réorganisation ethnique visant à prévenir les « dangers d’un taux de fertilité élevé chez les musulmans ». C’est pourquoi, lorsque les musulmans sont chassés de leurs villages à Roorkee, les milices d’extrême droite font la fête. Et lorsque les prêtres hindous exhortent les hommes de leur communauté à violer les femmes musulmanes, l’accent est mis sur le fait de les « sauver » de la menace permanente des hommes musulmans, ainsi que sur le fait de « sauver » la nation de toute menace future posée par l’autonomie reproductive des musulmans. 

Mehrun Bi a été attaquée à l’épée par ses voisins à Anand Nagar, des policiers ont arraché les vêtements de Mohammad Nadeem Sheikh à Gulshan Nagar, et le cadavre d’Ibraish Khan est resté huit jours dans les rues entre Islampura et Indore, simplement parce que ces vies sont sacrifiables. Ils n’ont pas été pris pour cible par hasard. Cette violence a été décomplexée, inscrite dans la grammaire sociale dominante du pays. Des morts lentes ont toujours été administrées aux musulmans par des structures de ségrégation et d’isolement – et maintenant elles culminent sous la forme d’un génocide.

Et cette violence s’étend également au domaine économique. Les musulmans de l’Inde, en particulier les Pasmandas, luttent depuis des décennies contre un statut socio-économique relativement bas, et aujourd’hui ils sont systématiquement privés de leurs maigres moyens de subsistance. Au cours de la semaine d’observation hindoue de Navratri, début avril, plusieurs groupes suprémacistes hindous ont interdit la vente de viande dans certaines parties de la région métropolitaine de Delhi. Au Karnataka, d’autres groupes ont appelé au boycott total des vendeurs de fruits, des chauffeurs de taxi et des produits halal musulmans. Dans la région de Khargone, dans le Madhya Pradesh, alors que des magasins musulmans sont incendiés et vandalisés, des messages circulent sur WhatsApp pour dresser la liste des commerces appartenant à des musulmans et que les femmes hindoues doivent boycotter.

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Selon les statistiques publiées par le National Crime Records Bureau en 2021, les musulmans constituent 19,1 % de la population carcérale totale en Inde, contre seulement 14,2 % pour l’ensemble de la population. Le rapport 2019 de la Campagne nationale contre la torture révèle, en outre, que les victimes majoritaires de la torture policière sont des Dalits, des musulmans et des Adivasis dont les chances de survie en détention sont nettement inférieures.

Trois jours à peine après les violences de Jahangirpuri, les seules arrestations importantes ont concerné cinq hommes musulmans : Ahir, Ansar, Dilshad, Imam Sheikh et Salim. Ces hommes ont été inculpés en vertu de la loi controversée sur la sécurité nationale (NSA) permettant à la police de détenir une personne soupçonnée de constituer une menace pour la sécurité nationale pendant un an au maximum. Il est essentiel de noter ici qu’un jour seulement avant ces arrestations, la police de Delhi a retiré sa déclaration liant le Vishwa Hindu Parishad à la violence après que l’organisation de droite ait menacé d’attaquer la police si une action était entreprise contre ses membres. À Khargone et Karauli, plusieurs familles musulmanes affirment qu’il y a eu des disparitions forcées, des actes de torture commis par des policiers, des arrestations et des détentions sur la base d’accusations forgées de toutes pièces, ainsi qu’un harcèlement ciblé de leurs proches par l’administration locale.

La vulnérabilité systémique de la communauté, notamment l’absence d’une aide juridique solide et un accès limité à l’éducation et à l’emploi, renforce ce régime carcéral qui s’est installé au cours de décennies de politiques et d’infrastructures légales discriminatoires. Chaque épisode de violence de masse créé un vortex de confinement temporel dans lequel la communauté est forcée d’attendre : attendre que les incendiaires vident les rues, attendre que l’État compense les économies d’une vie entière, attendre que les décombres libèrent une poignée de souvenirs de leur emprise, attendre les missions d’enquête, pour leurs enfants, pour les audiences du tribunal, attendre la justice… Exclus des histoires partagées avec leurs compatriotes et privés d’un avenir digne, les musulmans indiens survivent coincés entre violence légitime et illégitime. Avec des incarcérations injustifiées, des décès dus au stress, des conditions de vie indignes et le fardeau de reconstruire constamment ce qui a été brisé, la communauté est rapidement privée de son temps.

Dans ces formes de haine diffuses et enchevêtrées, il est de plus en plus difficile de distinguer les autorités de l’État, les chefs religieux, les voisins ou ses propres amis d’enfance. Alors que les musulmans indiens sont confrontés à ce qui semble être un génocide imminent, qu’est-ce qui pourrait être pire que cette haine ? L’indifférence, peut-être. Boris Johnson pose joyeusement au sommet d’un bulldozer JCB au Gujarat et Donald Trump profite d’un dîner somptueux à Delhi alors qu’à quelques kilomètres à peine, Wasim et Razzaq disparaissent dans les marges d’un catalogue des oubliés, des laissés pour compte.

Shivangi Mariam Raj est une essayiste, traductrice et chercheuse indépendante de Delhi, en Inde.

Article traduit de l’anglais par Samy

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