« Comment on fait pour vous soutenir si on ne peut pas voter pour vous ? », interroge l’indigène citoyen. Mille et un arguments se bousculeraient à dresser la brillante démonstration du raccourci erroné d’une identification de la politique au seul jeu électoral. Que nos lecteurs se rassurent, nous nous abstiendrons ici de l’exposer. Pas seulement parce que nous sommes convaincus qu’il n’est jamais seulement question « d’éduquer » le peuple indigène mais parce que nous savons entendre ce que les idées révèlent de la réalité. Dès lors, l’indigène qui peine à nous appréhender comme un parti tant que nous ne présentons pas de candidat à des élections n’a pas simplement tort. Il pointe du doigt les nœuds stratégiques qui méritaient éclairage.
Les paradoxes de l’autonomie indigène
« 0n ne peut pas penser notre propre autonomie politique, comme population issue des anciennes et actuelles colonies, sans penser la non-autonomie » (SK)
Commençons par le commencement. Les sujets postcoloniaux, dont il est question de défendre les intérêts, ne sont pas « libres ». La réalité de leur dépendance vis-à-vis des forces politiques blanches est telle que nous ne nous paierons pas la naïveté d’en faire l’abstraite économie. Comment s’opère concrètement le sabotage méthodique des compétences organisationnelles de la puissance indigène ? L’apport théorique du PIR et notamment de Sadri Khiari a permit de développer le concept de « pouvoir blanc » pour désigner le processus qui garantit la production et la reproduction des races sociales. Quant il ne se limite pas à déployer des moyens « physiques », « administratifs », « juridiques », « policiers » ou « militaires » de coercition et de répression de la résistance indigène, le pouvoir blanc œuvre également à un niveau « idéologique ». Au-delà du seul maintien d’un système d’idées et de représentations qui légitimeraient le recours à la violence physique de l’État, la matérialité idéologique s’inscrit dans les pratiques sociales, culturelles, politiques et économiques d’une société. Ainsi, l’idéologie nationale-républicaine dont l’une des fonctions est d’empêcher l’autonomie politique des populations issues de l’immigration postcoloniale en l’accusant d’être la ruse d’un communautarisme identitaire traverse tout le champ social. Nul ne devra donc s’étonner d’entendre au détour d’un colloque sur les luttes de l’immigration des universitaires indigènes sermonnaient contre les risques de « l’essentialisme inversé » ou de « l’indigénisme », sans que personne ne trouve rien à redire à cette intériorisation d’une bien fameuse rhétorique : celle du « racisme inversé », plus connu sous le nom de « racisme anti-blancs ».
« Que faire ? », interroge l’indigène léniniste. Marteler que les enfants de l’immigration doivent se libérer du champ politique blanc en tambourinant des slogans décoloniaux qui gonflent le torse selon leur degré de radicalité n’est pas un projet politique. D’ailleurs, la question de l’autonomie convainc beaucoup plus qu’il n’en paraît. Le fameux « Il nous faut une force politique ! », lâché régulièrement lors de réunions de militants de l’immigration procède d’une amère ironie.
« Vous voulez une force politique ? Vous voulez de l’autonomie ? Ouvrez les yeux : le PIR existe depuis 10 ans ! », pourrions-nous rétorquer, médusés. Pourquoi donc tous les militants convaincus de la persistance du continuum colonial en France, ne se précipitent-ils pas en masse aux portes du seul parti politique explicitement décolonial ? Si le terme d’autonomie a fait mouche au sein des quartiers et des militants non-blancs, c’est qu’il est apparu spontanément comme le seul remède efficace pour neutraliser le spectre de la « récupération » et résister à la satellisation des réseaux clientélistes des partis politiques. Il n’a pas tardé malheureusement à devenir une bannière derrière laquelle une forme de « purisme » militant s’est réfugié dans le « confort des marges ». Évidemment, cette radicalité n’a pas de réelle portée politique puisqu’elle cantonne les mouvements qui s’en réclament à demeurer à la périphérie du champ politique, sans jamais pouvoir y influer.
Venue d’en bas, la puissance indigène ne s’oppose pas au Pouvoir blanc, venu d’en haut
Les indigènes ne sont pas un bloc homogène et figé aux intérêts mécaniquement communs. S’ils subissent le même traitement raciste et colonial de l’État français, ils développent selon leur environnement, leur classe sociale, leur appartenance géographique, culturelle et communautaires, des stratégies de résistances qui peuvent différer et faire naître des intérêts relativement propres à la forme particulière et vécue de leur indigénat. Cette particularisation de l’indigénat et de ses intérêts est le contrepoids de la multiplicité des rapports de force qui font et défont les rapports sociaux. Puisque tout rapport de domination implique une tension relative à une force résistante, cette dernière n’est jamais située à l’extérieur du pouvoir. Résister suppose nécessairement d’agir au sein du tissu social qui entremêle les luttes de l’immigration avec les différentes formes de la matrice coloniale. Nommé ainsi par aisance, « le Pouvoir blanc » n’est pas un monstre irrationnel qui nous menacerait de l’extérieur. Il n’est pas seulement « l’État », réifié, désincarné, envisagé comme le producteur des dominations, qui, surplombant la société, en décréterait le fonctionnement. Celui qui permet de dire « les Français ne sont pas racistes. C’est l’État français qui l’est. »
Il aura fallu maintes déroutes de l’antiracisme français avant qu’il ne parvienne peu à peu à se dépêtrer de son écrin moraliste. « Politiser l’antiracisme », récent mot d’ordre des nouveaux chantres de l’anti-républicanisme républicain, se résume à faire porter à « l’État » l’entière responsabilité du fonctionnement raciste de la société, exactement dans le même geste qui consiste à dépolitiser cet « État ». La lutte contre le « racisme d’État », hallalisée en ce qu’elle permet un rapprochement inter-racial avec la gauche radicale toujours prompte à pointer du doigt « ce pouvoir » fétichisé qu’elle n’aurait jamais eu et dont elle ne participerait donc en rien, est neutralisée au profit d’une dénonciation antisécuritaire de « toutes les formes » de coercition et de violences institutionnelles.
Le « racisme d’État », dont nous parlons au PIR, déborde l’État lui-même. Si l’État est raciste, c’est qu’il s’adresse aux différents éléments de la race sociale dominante, et agit réciproquement sur eux. L’État n’est pas seulement situé dans ses « appareils » nationaux au sein du gouvernement en place, ni internationaux, – au sein de institutions internationales politiques, militaires, culturelles que sont l’ONU, l’OTAN, le FMI, l’UNESCO… Il traverse aussi les partis politiques (qu’ils aient déjà exercé le pouvoir ou non), les syndicats, les médias publics comme privés, les écoles et les universités, les finances publiques, le mariage…
À l’inverse de cette vision étatiste du racisme structurel s’oppose une autre erronée : considérer l’État comme un fantôme sans corps, pur fait social réticulaire qui s’insinuerait mystiquement dans tous les replis de l’existence, tenant nécessairement en échec toute résistance. Contrairement à ce peuvent penser certaines nouvelles franges du militantisme radicalo-indigène, il n’y a pas « que du social » dans l’État.
Persuadés que le « pouvoir est partout », ces nouveaux militants talonnent et inspectent inlassablement les rapports « microphysiques » de dominations de classe, de genre, de sexe comme le lieu essentiel de production de cette domination. Dans cette perspective, la lutte antiraciste se cantonne à dénoncer les faits sociaux comme… des faits sociaux, c’est-à-dire comme « construits », sans jamais s’attaquer directement au principe organisateur qui rend possible une telle construction. La « déconstruction » geste critique fondamental et maître mot de cette entreprise « des marges », disqualifiant l’idée d’une lutte centrale et unifiée, prend le parti de la « multitude » des foyers et des motifs de résistances. La multiplication de « nouvelles luttes » contre l’exclusion et « l’invisibilisation », pour reprendre la terminologie en vogue, s’inscrit dans une déclinaison inépuisable des discriminations, articulées comme autant de fragments d’une société où la fragilité et la vulnérabilité sont les leitmotiv de la lutte légitime. Un antiracisme qui ne prendrait pas en charge les luttes d’affirmations des subjectivités marginales, qui n’intégrerait pas la logique prolifique d’insurrections permanentes contre le sexisme, l’homophobie, la lesbophobie, la transphobie… est désormais jugé totalisant et réactionnaire. Le mille-feuilles intersectionnel s’essouffle dans la quête vaine d’un sujet révolutionnaire aux mille stigmates sociaux. Au détriment des « racisés ordinaires », pourtant les plus à même de présenter un intérêt objectif à un changement de système qui ne s’inscrive pas uniquement dans le cadre individualiste d’une sacralisation des vécus subjectifs et d’une affirmation existentielle de soi des marges avant-gardistes. Contraints par une réalité matérielle et symbolique à ne pas se sentir « concernés » par des luttes de surplomb qui leur sont imposées par une élite, ces « racisés » ordinaires sont les grands laissés-pour-compte de l’antiracisme articulatoire. Désormais, on reprochera à l’homme noir ou arabe de ne pas faire sienne l’articulation sophistiquée des différentes strates de l’oppression, ainsi juxtaposées pour les besoins de l’analyse théorique. La sur-représentation des indigènes articulateurs dans les milieux universitaires n’est évidemment pas innocente et sert, malgré eux, l’hégémonie blanche, grande victorieuse de cette bataille inter-indigénale.
Nous pourrions admettre sans mal que « toutes les batailles méritent d’être menées » dans l’espoir que la somme des petites victoires finissent par faire basculer l’organisation entière de la société en faveur des opprimés. Que ne pouvant nous attaquer directement « au gâteau tout entier », on doive procéder part par part jusqu’à finir par l’engloutir. Qu’il y ait réellement un sens à lutter contre un pouvoir « quasi-métaphysique ». Un « sens » qui ne suffira cependant jamais à recouvrir un véritable enjeu révolutionnaire, à partir duquel on ne peut omettre l’essentiel : la nécessité d’une organisation politique comme champ stratégique global capable de rivaliser avec les instances organisationnelles du pouvoir blanc.
Résumons : si le Pouvoir blanc n’est ni seulement le produit des rapports sociaux ni seulement une instance extérieure à la société, qu’est-il ? Il est la forme rationnelle et objective que revêt l’état des rapports de forces en cours au sein duquel les foyers de résistance défigurent, affaiblissent, détruisent, alimentent ou renforcent les formes diverses du pouvoir. Venue d’en bas, la puissance indigène ne s’oppose pas frontalement au Pouvoir blanc, venu d’en haut. Elle n’est pas non plus simplement « éclatée » en une multitude des petits foyers de résistances, embarqués dans des batailles indépendantes les unes des autres. Ni David face à Goliath, ni monades qui s’affrontent, les rapports de force entre indigènes et pouvoir blanc sont pris dans les filets d’une immense toile d’araignée dont la structuration globale dépend de processus de normalisation et d’homogénéisation de la domination blanche, elle-même garantie et protégée par les institutions et les appareils étatiques. Quant aux résistances issues de l’immigration, – fluctuantes, précaires, protéiformes –, elles créent des divisions ou des ralliements à l’origine de restructurations sociales et idéologiques qui ne peuvent simplement être analysées comme des « récupérations » par un pouvoir blanc omnivore. Elles ne sont pas non plus des « luttes définitivement gagnées», imperméables au pouvoir, dont il s’agit d’attendre qu’elles se relient spontanément les unes aux autres.
Le renversement révolutionnaire réside dans la capacité stratégique à faire entrer en écho ces différents foyers par le biais d’une véritable organisation politique, de sorte que le lainage du pouvoir blanc soit déchiré de toutes parts par le lainage stratégique des résistances indigènes.
La Puissance indigène n’a pas besoin de se déclarer « décoloniale » pour lancer une dynamique qui le soit.
« Aujourd’hui, nous pouvons affirmer que le sillon que nous avons tracé ne s’effacera pas. Avec ou sans nous. » (SK)
Le PIR poursuit un horizon politique bien trop ambitieux pour prétendre le porter à lui tout seul. Habitués au chantage idéologique auquel nous sommes régulièrement soumis par les organisations blanches : « prouvez-nous que vous êtes féministes, gayfriendly, pas antisémites, anticapitalistes… », – ce quoi à Sadri Khiari répondait « Barrez-vous ! » – nous aurions pu savourer l’ironie d’exiger des nôtres : « Prouvez-nous que vous êtes explicitement décolonial ! ». Il n’en est rien. Alors quoi ? Sommes-nous en train de renoncer au projet décolonial ? C’est l’inverse.
Les associations et les collectifs de l’immigration avec lesquels nous travaillons n’ont pas à se déclarer ni même à se penser « décoloniaux » pour que la dynamique que cette solidarité renforcera soit en elle-même décoloniale.
La décolonisation n’a nul besoin d’être portée par des acteurs décoloniaux conscients.
Répondons donc à l’interrogation : pourquoi le PIR ne se rue-t-il pas vers les prochaines régionales ?
Constitué sur une base programmatique ferme et radicale, le PIR n’a jamais exclu l’idée de participer à des élections. Mais encore ?
Se lancer dans des élections, c’est prétendre proposer des outils qui répondent concrètement aux intérêts et besoins des populations issues de l’immigration dans un contexte précis. Mais cela ressemble à quoi la gestion décoloniale d’une municipalité, d’un arrondissement, d’un village, d’un pays ? Comment une ambition telle que la décolonisation du système français peut-elle s’incarner dans une loi, un amendement, des mesures prises grâce à un budget alloué par l’État français tel qu’il est aujourd’hui ? S’agirait-il finalement de dénouer trame par trame la somme des discriminations accumulées historiquement par l’ordre racial blanc afin de le voir progressivement s’anéantir de lui-même ?
Évidemment, les mesures à prendre ne manqueraient pas pour changer radicalement la donne : le droit de vote des étrangers, l’abrogation de la loi anti-voile 2004, l’interdiction des contrôles d’identité « de routine », le démantèlement de la BAC, la suppression de la procédure de comparution immédiate, la régularisation de tous les sans-papiers, la fermeture des centres de rétention, le retour du droit du sol, le démantèlement des bases militaires en Afrique, la levée des sanctions prises contre le gouvernement palestinien… Qui oserait n’y voir que des « ajustements » secondaires pêcherait par orgueil. Néanmoins, si nous sommes capables de proposer un programme de mesures concrètes qui s’inscrivent dans la réalité française et non seulement dans le « Ciel des Idées décoloniales », c’est que nous pensons l’application de ce programme comme une étape intermédiaire. Nous irons plus loin.
Le continuum colonial n’est pas qu’une affaire de textes de lois. Qu’une multitude de procès pour discriminations raciales soient gagnés, que des amendements favorisant le respect du culte musulman soient votés, que des Noirs puissent imposer la mémoire de la traite négrière et de l’esclavage dans les programmes de l’Éducation nationale, seraient autant de victoires dont nous aurions tort de ne pas nous féliciter. Dans le même moment, il faudra admettre qu’elles n’auront jamais que pris la forme d’une « intégration » des revendications des sujets postocoloniaux par le système français néocolonial. Les grandes colonnes de l’édifice républicain préservées, les damnés de la République auront gagné le droit d’être des « Français comme les autres ». « Nouveaux Français » à la boussole normative à jamais tournée vers le référent occidental blanc. Gagner à être « reconnus » de la République ne signifie, hélas, pas autre chose qu’obtenir le droit de bénéficier de « valeurs » au nom desquelles l’Occident exerce une hégémonie totale à l’échelle mondiale, et contre lesquelles l’histoire de nos pays, de nos familles, de nous-mêmes avons eu à nous battre. De la même façon que « devenir riche » n’est pas une revendication anticapitaliste, jouir des privilèges de la domination blanche dans le cadre moderne des États-Nation fondés sur la subalternisation d’une catégorie de population, n’est pas un projet décolonial. Alors que l’égalité citoyenne a été le fer de lance de la mobilisation de la Marche de 1983, les nouveaux territoires de l’antiracisme participent d’un soubresaut historique qualitativement supérieur : snober la main tendue républicaine. À cette égalité aux bénéfices si prometteurs, qui sanctionnerait la fin historique de notre bizutage racial, le début de notre parfaite acceptation dans le monde privilégié de la civilisation moderne, l’indigène répondrait désormais, le front levé : « Non, merci, j’ai ma Dignité ». La Marche de la Dignité 2015, 32 ans après la première, 10 ans après les émeutes des quartiers, s’arc-boute à la face blafarde de la République. « Vous ne vouliez pas de nous quand on le demandait ? Désormais, c’est nous qui ne voulons plus de vous. » Pourri jusqu’à la moelle, ce système maintenu péniblement, nous le soulagerons de sa propre mort. Puisse-t-il hanter la mémoire nostalgique de la dynastie des colons qui l’auront cuirassé jusqu’à nos jours. La vitalité indigène coule désormais dans les veines d’une civilisation nouvelle. Il nous faudra la bâtir non comme la promesse d’un lendemain qui chante mais comme l’exhalation de millions et de millions de voix humiliées à l’honneur enfin restauré. Manifeste d’un antiracisme radical qui assume une charge non plus seulement protestataire, la Marche de la Dignité s’est imposé comme l’un des ferments historiques d’un front de l’immigration voué à porter l’avant-garde d’un nouveau projet de société : « Allons frères, nous avons beaucoup trop de travail pour nous amuser des jeux d’arrière-garde. L’Europe a fait ce qu’elle devait faire et somme toute elle l’a bien fait. […] Le tiers monde est aujourd’hui en face de l’Europe comme une masse colossale dont le projet doit être d’essayer de résoudre les problèmes auxquels cette Europe n’a pas su apporter de solutions. », disait Frantz Fanon.
Le PIR ne prétend pas guider le peuple indigène vers son émancipation
Qu’on ne s’y trompe pas. Imposer l’option décoloniale dans le champ du réel n’est pas la formulation rusée d’une ambition électoraliste du PIR qui voudrait « récupérer » les voix de l’immigration. D’ailleurs nous n’échappons pas aux « traumatismes de la récupération » des organisations de l’immigration. Celles-là, dont les pieds et les mains sont bien souvent liés aux partis politiques, expriment parfois la crainte d’une « récupération intérieure » du PIR. Alors qu’ils s’illustrent quotidiennement à l’exercice de la politique avec le champ politique blanc, les voilà qu’ils éprouvent un blocage ou une méfiance plus grande quand il s’agit de s’allier avec un parti politique de l’immigration. Deux hypothèses :
– Soit la perspective d’être instrumentalisés par des Blancs, à force de banalité, est plus acceptable que celle de l’être par des frères et sœurs de race.
– Soit la récupération blanche présente quelque bénéfice à court terme, avec lequel le PIR n’a pas les moyens de rivaliser. Cette seconde approche présente une aporie pour le moins cocasse : on craint une éventuelle récupération du PIR… précisément parce qu’il n’en aurait pas vraiment les moyens.
Il reste que Le PIR ne prétend pas guider, en héros, le peuple indigène vers son émancipation. Il ne prétend pas non plus qu’il sait mieux ce qui est préférable pour lui. D’abord parce que le PIR est irrigué depuis sa fondation par l’héritage des luttes de l’immigration qui lui pré-existent, et desquelles il tire sa force et à sa maturité. Ensuite parce qu’il reconnaît l’ensemble des fronts de résistances, des collectifs et organisations qui luttent, selon leurs propres enjeux et objectifs, contre les crimes policiers, l’islamophobie, la négrophobie, la rromophobie, les discriminations dans les banlieues, la lutte pour les réparations, la colonisation en Palestine, la Françafrique, etc…
Le PIR ne s’est ni fabriqué tout seul, ni n’a créé ses propres conditions d’existence. Symptomatique d’une « nécessité politique », son existence et sa longévité sert des besoins relatifs à des rapports de forces en cours.
La Puissance indigène n’a pas besoin d’être homogène pour être organisée
Quel visage aura la forme victorieuse de la puissance indigène ? Celui du PIR ou d’une autre organisation alliée ? Dieu seul le sait. La priorité est de construire des liens de confiance et d’alliances avec les autres fronts de lutte de l’immigration. D’ailleurs, cette fameuse « Puissance indigène » n’a aucune raison d’être homogène. Ce qui est certain c’est qu’elle devra être organisée, c’est-à-dire qu’elle aura besoin d’un instrument politique qui cicatrise les points de suture des foyers indigènes. Nul doute qu’elle est et sera composée de différents courants, aux intérêts qui seront parfois divergents. Les forces politiques indigènes développeront des alliances à l’intérieur desquelles d’autres enjeux auront cours, donnant lieu à de multiples recompositions, ajustements, en fonctions des diverses stratégies adoptées par les différents courants. Mais pour mettre en place ce plan de bataille, il nous faudra construire une structure organisationnelle qui ne se limite pas à prendre la forme de fronts unitaires de l’immigration, spontanément mis en place en fonction des contextes politiques et des mobilisations à mener. Il nous faut une organisation politique qui sanctionne la stabilité du front de l’immigration et permette l’émergence d’une stratégie commune à moyen et long terme.
Autrement dit, les indigènes, eux aussi, feront de la politique.
Louisa Yousfi, militante du PIR