Discours du PIR prononcé par notre frère Mehdi Meftah le 14 février 2021 au Trocadéro, à l’occasion du premier rassemblement contre le projet de loi dite « confortant les principes républicains » à l’initiative de la Coordination contre la Loi Séparatisme.
Nous sommes réunis aujourd’hui sur le parvis des Droits de l’Homme, entourés des statues et des monuments d’un pays qui nous refuse les droits qu’il proclame. Nous avons derrière nous la Tour Eiffel, symbole par excellence de l’orgueil colonial d’un pays qui s’est cru, pour un temps, le centre du monde.
Ceux qui se réunissent aujourd’hui sur ce parvis n’ont pas tous le même degré de piété. Certains ne sont peut-être même pas musulmans. Mais nous savons que le projet de loi contre le séparatisme est une menace pour nous tous, et qu’il est un enjeu de civilisation.
La lutte contre le séparatisme est le nom d’une politique coloniale. La lutte contre l’ « islamisme » aussi. Avant la première moitié du XXème siècle, l’Islam était d’ailleurs souvent désigné sous ce nom : dans le langage colonial, « islamiste » veut dire « musulman ». Les fondements mêmes du régime appelé « République » sont basés sur l’infériorisation de l’Islam et des musulmans. Depuis l’Europe chrétienne et ses croisades jusqu’aux guerres modernes contre le « terrorisme », l’Islam et les musulmans sont le miroir qui permet à l’Occident de se définir. La lutte contre le séparatisme est une politique identitaire.
La loi contre le séparatisme est un tout. Elle vient couronner l’ensemble des lois et règlements islamophobes adoptés par la France depuis l’odieuse loi de 2004 contre le port du hijab à l’école. De l’interdiction du niqab à l’adoption de l’État d’urgence, toutes les forces politiques représentées au parlement ont participé à ce processus, d’une façon ou d’une autre. Certains rejettent l’ensemble des manifestations de l’Islam, d’autres ciblent plus précisément les plus pieux d’entre nous. Mais l’ennemi principal reste le même.
Nous ne pouvons pas nous contenter d’applaudir des politiciens adeptes de la religion républicaine quand ceux-ci prétendent, la veille des élections, être nos amis. Leurs partis et leurs députés votent les lois islamophobes, ou sélectionnent les articles qui leur plaisent, et ils attendent que nous les remercions d’être les moins pires. Ils participent tous, à des degrés divers, du consensus islamophobe qui nous écrase.
Ce jeu de dupes a assez duré. Notre dépendance vis-à-vis de ces prétendus représentants du peuple est le signe de notre impuissance. Et nous sommes impuissants car nous sommes divisés. Les musulmans doivent pouvoir s’organiser, en tant que musulmans, et former un pouvoir, autonome, souverain. Ce pouvoir est la seule condition pouvant nous permettre d’imposer notre existence, et nos intérêts, face aux défenseurs des privilèges d’une caste décadente, de plus en plus violente. C’est ce pouvoir que la classe politique, de la gauche à la droite, craint plus que tout. C’est pour cela qu’ils nous combattent. Les musulmans ne sont ni un bouc émissaire ni un épouvantail, et l’islamophobie n’est pas une diversion. La présence et l’existence des musulmans sont combattues car elles décolonisent la France.
La lutte contre l’islamophobie n’est pas que l’affaire des Arabes. Les musulmans sont Africains, Asiatiques, Européens, et se trouvent dans toutes les parties du monde. Et dans de nombreux espaces, la même modernité héritée de l’Occident vient les écraser dans leur islamité, parfois par des lois, parfois par des bombes. De la Chine à la France, les régimes sécularisés veulent enfermer l’Islam dans la sphère privée, pour laisser régner la religion de la marchandise dans l’espace public. La modernité séculariste vise à désislamiser l’Islam et les musulmans, souvent de force, de la même façon que la France a tenté de déjudaïser les juifs. En sortant de chez lui, le musulman est tenu d’être « citoyen », et il n’a pas d’autorité sur la définition de ce terme. Nous n’avons le droit d’être citoyens qu’à la condition de nous conformer à l’ordre injuste des choses qui nous est imposé. Nous n’avons pas le droit de lutter pour l’Islam, ils appellent cela « l’Islam politique », nous n’avons le droit de lutter que pour leurs valeurs, celles de ceux qui nous dominent, nous insultent et nous méprisent.
L’Islam est combattu car il est une puissance décoloniale, au même titre que l’existence du peuple Noir en terre blanche, et la lutte des sans-papiers et réfugiés dans les métropoles coloniales. En construisant la puissance autonome des musulmans, en luttant avec et séparément des autres puissances décoloniales, nous transformons et transformerons ce pays, pour le meilleur.
Que l’on nous comprenne bien. Les puissances qui décolonisent la France ne visent pas à faire subir une injustice à ceux qui se considèrent encore les propriétaires de ce pays et de son histoire. Nous construisons nos puissances pour conquérir l’égale Dignité que les hypocrites qui nous gouvernent nous refusent. Les organisations et personnes appelées à se coordonner aujourd’hui contre les lois islamophobes du gouvernement n’ont pas tous les mêmes stratégies, ni les mêmes discours, mais nous sommes tous combattus par le pouvoir pour les mêmes raisons. Cette oppression commune est le fondement d’une lutte en commun. La lutte contre la loi séparatisme doit être une lutte pour la construction d’une puissance politique des musulmans, seule condition pour établir un rapport de force dans la Dignité. Tout autre chemin est le chemin de l’humiliation.
Nous n’avons pas de leçons à apprendre. Nous ne sommes pas des enfants. Nous pouvons aujourd’hui, sous ce régime qui ose prétendre lutter contre une menace « fasciste », être dissous du jour au lendemain, être trainés devant les tribunaux, être diffamés dans les médias, être isolés des nôtres, ou emprisonnés injustement. C’est le sort que connaissent déjà de nombreuses organisations et leaders musulmans, malgré les condamnations internationales. Et nous sommes encore privilégiés, si nous comparons notre sort à nos frères et sœurs qui vivent actuellement sous les bombes des guerres impérialistes ou dans les camps des régimes islamophobes : Ouighours, Rohingyas, Tchétchènes, Kashmiris, Syriens, Irakiens, Maliens, Nigériens, Burkinabés, Tchadiens, Palestiniens, et la liste est longue. Et cette guerre globale contre les musulmans se déroule dans l’indifférence quasi-parfaite ou avec la complicité directe de ceux qui viennent nous demander de croire en eux, encore une fois.
La Dignité, c’est de dire la vérité. L’issue du combat d’aujourd’hui est entre les mains de Dieu. La Dignité c’est de rester debout, et de persévérer. La seule chose que nous pouvons prévoir, c’est la lutte.
PIR
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Against the Separatism Law and State Islamophobia
PIR speech delivered by our brother Mehdi Meftah on February 14, 2021 on the Trocadero Square, on the occasion of the first rally against the bill « comforting the respect of the principles of the Republic » at the initiative of the Coordination Against the Separatism Bill.
We are gathered today in the vicinity the Human Rights Square, surrounded by the statues and monuments of a country that denies us the rights it proclaims. We have behind us the Eiffel Tower, symbol par excellence of the colonial pride of a country that believed, for a time, to be the center of the world.
Those who gather here today do not all have the same degree of piety. Some may not even be Muslims. But we know that the bill against separatism is a threat to all of us, and that it is an issue of civilization.
The fight against separatism is the name of a colonial policy. The struggle against « Islamism » as well. Before the first half of the 20th century, Islam was often referred to by this name: in colonial language, « Islamist » means « Muslim ». The very foundations of the regime called « Republic » are based on the inferiority of Islam and Muslims. From Christian Europe and its crusades to the modern wars against « terrorism », Islam and Muslims are the mirror allowing the West to define itself. The struggle against separatism is an identitarian policy.
The law against separatism is a whole. It is the crowning achievement of all the Islamophobic laws and regulations adopted by France since the odious 2004 law against the wearing of the hijab in schools. From the prohibition of the niqab to the adoption of the state of emergency, all political forces represented in parliament have participated in this process in one way or another. Some reject all manifestations of Islam, others target more specifically the most pious among us. But the main enemy remains the same.
We cannot be content to applaud politicians who follow the republican religion when they claim, on the eve of the elections, to be our friends. Their parties and their deputies vote for Islamophobic laws, or select the articles they like, and they expect us to thank them for being the least worst. They all participate, in varying degrees, in the Islamophobic consensus that crushes us.
This fool’s game has gone on long enough. Our dependence on these so-called representatives of the people is a sign of our impotence. And we are powerless because we are divided. Muslims must be able to organize themselves, as Muslims, and form an autonomous, sovereign power. This power is the only condition that can allow us to impose our existence, and our interests, in the face of the defenders of the privileges of a decadent, increasingly violent caste. It is this power that the political class, from the left to the right, fears more than anything else. That is why they are fighting us. Muslims are neither a scapegoat nor a scarecrow, and Islamophobia is not a diversion. The presence and existence of Muslims are being fought because they are decolonizing France.
The fight against Islamophobia is not just an Arab issue. Muslims are Africans, Asians, Europeans, and can be found in all parts of the world. And in many spaces, the same modernity inherited from the West comes to crush them in their Islamity, sometimes by laws, sometimes by bombs. From China to France, secularized regimes want to lock Islam into the private sphere, to let the religion of the commodity reign in the public space. Secularist modernity aims to de-Islamize Islam and Muslims, often by force, in the same way that France tried to de-Judaize the Jews. On leaving home, the Muslim is required to be a « citizen » and has no authority over the definition of this term. We have the right to be citizens only if we conform to the unjust order of things imposed on us. We do not have the right to fight for Islam, they call it « political Islam », we only have the right to fight for their values, those of those who dominate us, insult us and despise us.
Islam is fought because it is a decolonial power, just as the existence of the Black people in white land, and that of undocumented migrants and refugees in colonial cities, is fought. By building the autonomous power of Muslims, by fighting with and separately from other decolonial powers, we are transforming and will transform this country, for the better.
Let us be understood. The powers that are decolonizing France are not aiming to do injustice to those who still consider themselves the owners of this country and its history. We are building our powers to conquer the equal Dignity that the hypocrites who govern us deny us. The organizations and individuals called to coordinate today against the government’s Islamophobic laws do not all have the same strategies or the same discourse, but we are all being fought by the government for the same reasons. This common oppression is the foundation of a common struggle. The struggle against the separatism bill must be a struggle for the construction of a muslim political power, the only condition for establishing a balance of power in Dignity. Any other path is a path of humiliation.
We have no lessons to learn. We are not children. We can today, under this regime that dares to claim to be fighting a « fascist » threat, be dissolved overnight, be dragged before the courts, be defamed in the media, be isolated from our own people, or be unjustly imprisoned. This is the fate already experienced by many Muslim organizations and leaders, despite international condemnation. And we are still privileged, if we compare our fate with our brothers and sisters who are currently living under the bombs of imperialist wars or in the camps of Islamophobic regimes: Uighurs, Rohingyas, Chechens, Kashmiris, Syrians, Iraqis, Malians, Nigerians, Burkinabe, Chadians, Palestinians, and the list goes on. And this global war against Muslims is being waged with near-perfect indifference or with the direct complicity of those who come to ask us to believe in them, once again.
Dignity means telling the truth. The outcome of today’s struggle is in God’s hands. Dignity is to stand and persevere. The only thing we can foresee is the struggle.
PIR
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