Nous voudrions surtout revenir sur un commentaire insidieux du reportage qui jusque-là s’en tenait aux faits. À la fin de son article, Erwin Manach écrit en effet : « Alain Soral, pamphlétaire antisémite et d’extrême droite, et son « Égalité et réconciliation » sont « timidement » hués par la foule, plus prompte à huer Philippe Val, Caroline Fourest et Alain Finkielkraut. »
L’insinuation est claire. Elle renvoie à l’argument de tendances dominantes de la gauche française, en particulier développé par Jean-Loup Amselle, selon lequel le soralisme et le PIR seraient des expressions contradictoires d’une même dérive ethnique et identitaire du débat politique français, au détriment des vrais combats émancipateurs dont cette gauche serait porteuse[2].
Le procédé est sournois car l’auteur émet un jugement politique, sans avoir à l’assumer, ni à le soutenir. En quelque sorte, la moins grande animosité perçue du PIR et de ses sympathisants vis-à-vis de Soral seraient la preuve de cette proximité paradoxale avec l’extrême-droite antisémite[3], au détriment d’autres courants – quand même moins infréquentables[4] – de la politique française.
Pourtant, il ne faut pas aller chercher très loin pour trouver des textes du PIR qui mènent une critique sans concessions du soralisme et surtout en des termes qui empêchent les raccourcis ainsi ébauchés entre l’extrême-droite antisémite et la dénonciation du philosémitisme d’Etat par le PIR[5]. Certes, l’auteur n’oublie pas de mentionner aussitôt la charge d’Houria Bouteldja contre Soral. Il ne nie pas non plus que ce dernier ait été hué. Il introduit seulement un jugement de valeur, subjectif et irréfléchi, sur la « qualité » supposée des sifflements/applaudissements alors même que la partie du discours d’Houria Bouteldja consacrée à la critique radicale d’Alain Soral est accueillie par une ovation[6]. De plus, il oublie de penser que, s’il y a eu de très fortes réactions face à d’autres figures de l’actualité comme Fourest ou Finkielkraut, c’est parce qu’elles sont hégémoniques dans l’espace médiatique et légitimées par une partie de la gauche (d’où une bataille politique cruciale), tandis que le combat contre Soral, que nous menons depuis longtemps et sans relâche[7], est plus consensuel. Bref, l’essentiel est d’entretenir l’équivoque, sans complètement trahir les faits et les paroles.
Or, le PIR combat le racisme dans toute l’étendue du champ politique blanc, en particulier l’extrême-droite et ses déclinaisons, Soral en étant une, ainsi que ses expressions à gauche qui, en même temps qu’elles prétendent s’opposer à l’extrême-droite, y trouvent un alibi à leur propre défense du privilège blanc, en se rapprochant parfois dangereusement de ses positions. Par ailleurs, elles constituent un obstacle à la constitution d’une majorité décoloniale, où certains secteurs de gauche pourraient s’insérer.
Nous avons aussi déjà répondu aux accusations du type de celles qui nous ont été lancées par Amselle et bien d’autres[8]. Nous n’y reviendrons donc pas. Toutefois, il est quand même bon de rappeler le mobile de ces raccourcis. La mise en évidence du privilège blanc et de la colonialité de la pensée et des pratiques qui structurent le champ politique français va de l’extrême-droite jusqu’à la gauche paternaliste, même définie comme « radicale ». Dès lors, cette dernière perd le monopole des luttes pour l’émancipation. Pire encore : ses idéaux émancipateurs et les lectures politiques qui les sous-tendent se trouvent profondément remis en cause.
Il est donc de bonne guerre que cette gauche assimilée par nous avec l’extrême-droite à la domination blanche, veuille nous associer avec l’extrême-droite, comme si – sous couvert d’universalisme (national-républicanisme, lutte des classes, etc.) – elle n’était pas elle-même impliquée dans les dérives identitaires qu’elle dénonce[9]. En effet, celles-ci sont davantage l’expression de la radicalisation de la défense du privilège blanc que le « fait » des indigènes, à tort renvoyés à elles, quand ils s’insurgent contre ce privilège. Il existe, en ce sens, des vases communicants entre les contenus de certains positionnements gauchistes, républicains et d’extrême-droite, notamment face à nous, ceux-ci bien concrets et aucunement supposés ou imaginaires. En somme, on crée des confusions entre des approches qualitativement incomparables de la fracture raciale, afin de ne pas avoir à considérer la lutte des races sociales, où on défend farouchement ses intérêts objectifs[10].
En rompant avec le champ politique blanc, le PIR a certes rompu avec le clivage droite / gauche, tel qu’il s’est configuré dans la trajectoire du privilège blanc. Toutefois, il n’a pas fermé la porte à la construction d’un pôle anticolonialiste large et à l’articulation des luttes en ce sens, dans la mesure où la gauche radicale rompe avec le consensus postcolonial et raciste, où s’inscrivent ses recommandations paternalistes à notre égard[11]. Il n’a même cessé de rappeler, à la suite de Sadri Khiari, que « (…) parce qu’elle est le partenaire indispensable des indigènes, la gauche est leur adversaire premier »[12] ; ceci retourne complètement l’argument quant à l’affinité « secrète » et paradoxale (hallucinée !) du PIR avec l’extrême-droite, au détriment de la gauche.
Au rapport fixé par cette sentence entre la lutte décoloniale et la gauche blanche, cette dernière confrontée à ses propres paradoxes et à ses propres impasses, continuera-t-elle encore longtemps à répondre par son propre monologue ?
Malik Tahar-Chaouch, membre du PIR
Notes
[1] http://www.politis.fr/Les-Indigenes-de-la-Republique,31089.html
[2] http://www.editions-lignes.com/LES-NOUVEAUX-ROUGES-BRUNS.html
[3] Ce que l’auteur souligne, non sans arrière-pensées, après avoir succinctement présenté la dénonciation du philosémitisme d’Etat par le PIR.
[4] Même s’ils ne sont pas forcément tout à fait, ni tous fréquentables. On méconnaît l’opinion de l’auteur qui a l’avantage de ne pas avoir à s’énoncer, mais on soupçonne que le racisme de gauche, à la Fourest, mériterait d’être moins hué.
[5] Fatouche Ouassak, Pourquoi je soutiens Alain Soral, Malik Tahar-Chaouch, Soral, le petit soldat de l’« empire ». A propos de la dénonciation du philosémitisme d’État par le PIR, il faut lire l’excellente réponse de Norman Ajari, philosophe proche du parti, face aux attaques essuyées par Houria Bouteldja : Le contraire de la « haine de la Shoah ». Sur un billet de Liliane Kandel.
[6] A partir de la minute 31’20 : http://indigenes-republique.fr/discours-dintroduction-dhouria-bouteldja-lors-des-10-ans-du-pir/
[7] Houria Bouteldja dénonce le rapprochement de Dieudonné avec l’extrême-droite
[8] http://indigenes-republique.fr/les-rouges-bruns-du-pir-repondent-a-amselle-gardien-de-luniversalisme-blanc/
[9] Par exemple : http://www.jean-luc-melenchon.fr/2015/05/26/amour-de-la-france-physique-pour-ainsi-dire-charnel/
[10] De fait, il existe à gauche tout un arsenal d’arguments “sociologisants”, afin de délégitimer les combats du PIR, depuis des positions sociales pour le coup véritablement paradoxales.
[11] « Pour la gauche, la question n’est pas de se rénover ni d’être plus radicale dans une matrice finalement inchangée, mais d’engager en son propre sein une véritable révolution culturelle. Je ne doute pas de la générosité de certaines de ses composantes, mais en politique la générosité n’est jamais très loin du paternalisme et ce dernier de la domination. Il lui faudra donc rompre avec l’illusion de sa propre universalité comme il lui faudra apprendre qu’elle n’est pas l’expression d’un même peuple des opprimés mais une expression, parmi d’autres, d’un privilège blanc qu’elle doit apprendre à combattre si elle aspire à rendre concevable une alliance politique entre les classes populaires blanches et les classes populaires issues de l’immigration, autour d’un projet susceptible d’asseoir la souveraineté effective d’un peuple à la fois un et multiple. » : http://indigenes-republique.fr/le-peuple-et-le-tiers-peuple/
[12] « La gauche antiraciste contemporaine rêve parfois d’une France sans discriminations mais elle n’envisage pas que cela doit signifier une transformation profonde de la « propre personnalité » de la France. Car la gauche qui exige de l’indigène qu’il n’oublie pas la lutte des classes, le féminisme et l’écologie, est aveugle à sa propre situation. Elle ignore qu’elle est piégée par la République nationale et postcoloniale. Il ne s’agit pas d’enjoindre la République à être cohérente avec elle-même ou avec ses principes fondateurs – dont on sait les ambivalences – mais d’en franchir les limites. Les indigènes n’ont que faire de la « solidarité antiraciste » des Blancs. Nous ne sommes pas sympathiques. Je hais le paternalisme encore plus que la haine. Les indigènes veulent bien au contraire aider les blancs qui aspirent à se libérer des filets du postcolonialisme dans lequel ils ne cessent eux-même de s’empêtrer. Encore faudrait-ils qu’ils comprennent enfin que l’émancipation des post-colonisés est la condition de leur propre émancipation. Sans doute devra-ton les y forcer…. Ainsi, parce qu’elle est le partenaire indispensable des indigènes, la gauche est leur adversaire premier. Et puis allez!, puisque vous y tenez tant, je vais vous le dire : nous ne sommes pas racistes, nous ne sommes pas sexistes, nous ne sommes pas antisémites, nous ne sommes pas homophobes, nous ne sommes pas pour l’inégalité de classe et nous détestons la pollution! Mais nous ne le sommes pas parce que nous partagerions vos « valeurs ». Nous ne le sommes pas parce que vos valeurs montrent constamment leurs limites en se pensant supérieures à la pensée des autres peuples et qu’elles sont pour cela impuissantes à changer le monde. Nous ne le sommes pas parce que nous irons au-delà de vos valeurs. Avec vous, Contre vous. Tel est, doit être, le pari fou, aberrant, excessif des indigènes; mais aucune rupture dans l’histoire ne fut pas folle, aberrante, excessive.” Source : « Pour une politique de la racaille. Immigré-e-s, indigènes, jeunes de banlieue », Sadri Khiari, pages : 151-152, 2006, éditions Textuel.