C’est d’ailleurs en son nom qu’il est devenu bien aisé d’interpeller chaque Noir, musulman et/ou arabe qui veut lutter contre le racisme en toute autonomie, pour lui reprocher de « jouer le jeu » de l’ennemi. Mélenchon n’a-t-il pas expliqué que les émeutiers d’Amiens Nord n’étaient que les bouffons et les larbins du capitalisme ?
Hélas, cette rengaine a la vie longue et bon nombre d’indigènes la reprennent, assurés ainsi du soutien à gauche de leurs alliés blancs. Certes, il arrive que le racisme soit effectivement instrumentalisé comme une diversion, mais même lorsqu’il l’est, il ne peut jamais s’y réduire. Si cette instrumentalisation fonctionne, c’est précisément parce qu’elle repose sur une réalité sociale du racisme qui a sa propre logique et ses propres mécanismes. La diversion ne fonctionne uniquement parce qu’il y a des intérêts en jeu. On attire pas les mouches avec du vinaigre.
Oserions-nous prétendre devant des Musulmans, traqués, harcelés, perquisitionnés par l’État que l’islamophobie qu’ils subissent n’est qu’un « faux problème », monté pour diviser les mouvements sociaux ? Aux femmes portant un hijab que leur exclusion de l’Éducation nationale n’est qu’un « leurre » pour éviter d’avoir à parler du chômage ? Aux Noirs que les contrôles au faciès, les discriminations à l’emploi et au logement qu’ils jalonnent leur quotidien ne sont que des trompe-l’œil stratégiques sournoisement élaborés par un Malin Capital ?
Par ailleurs, limiter la compréhension de l’islamophobie à une simple diversion revient à lui attribuer un caractère accidentel et spontanéiste. L’État est islamophobe comme il aurait pu être autre chose. La spécificité du racisme utilisé a peu d’importance – c’est celui qui se trouvait alors en magasin – puisque ce qui compte c’est le but poursuivi : diviser l’opposition.
N’en déplaise aux chantres des « unions » de tout genre, l’islamophobie, comme la négrophobie ou la rromophobie, est un problème en soit. Ce qui signifie qu’il doit donner lieu à une lutte spécifique qui n’a pas à être subordonnée aux luttes sociales jugées plus réelles par ceux qui n’ont pas à subir le racisme. D’ailleurs, c’est peut-être la clé pour comprendre le succès de cette rhétorique. Que font les Blancs qui appellent à subsumer la question raciale sous la lutte des classes si ce n’est garantir leur leadership sur le terrain de luttes et empêcher l’autonomie organisationnelle des milieux de l’immigration ?
Et si parler du racisme comme une diversion était la vraie diversion pour ne pas parler du racisme ? Dire que le racisme est principalement une diversion, c’est aussi dire qu’il ne faut pas se diviser. Mais une division entre qui et qui ? Entre blancs et indigènes ? Certainement pas ! On ne se divise pas avec des personnes à qui on répète depuis plus de 40 ans, comme une boite vocale, « veuillez patienter ». Ce n’est pas une division car, en agissant ainsi, la gauche blanche signifie précisément le refus de l’union égalitaire entre blanc/non-blanc au profit de l’union des blancs de gauche entre eux. La seule division qui est réellement crainte, c’est la division des blancs entre eux. Quand des blancs disent que le racisme est avant tout une division, ils disent qu’à l’union entre non-blancs et blancs, ils préfèrent la cohésion entre blancs qui est mise en péril par la montée de la puissance indigène.
Que dire alors ?
Un autre discours est possible. Dire qu’un État qui se radicalise par le racisme, peut finir par se radicaliser également dans son entreprise de casse sociale, qu’un État affaibli sur la question de la race, le sera aussi sur la répression sociale des classes inférieures. Autrement dit, reconnaître la dignité de la lutte antiraciste.
Atman Zerkaoui, membre du PIR