VICTOIRE OU ANESTHÉSIE ?

Retour sur la première audience du procès des Saounera

Le vendredi 22 novembre 2013 avait lieu le procès de Samba Saounera et de son père Thierno Saounera, dont la seule erreur est d’avoir voulu protéger leur famille contre une agression policière. Sur les murs du tribunal de grande instance de Pontoise, derrière la présidente, on pouvait lire : « La justice est l’ultime instance où se proclame et se rappelle la valeur des choses ».

Le début de cette « affaire » est brutalement banal : des coups frappés à la porte d’une famille au petit matin, une dizaine de policiers venus interpeller un des fils de la famille, Amara Saounera, 18 ans, soupçonné, à tort, d’avoir volé un sac à main (1). Que l’on y voit une agression raciste d’une rare violence ou une « simple bavure policière » comme il y en a tant d’autres, la famille Saounera n’oubliera jamais l’expédition punitive du 17 octobre 2013. À 6h du matin, une dizaine de policiers sont venus appliquer leur propre justice, matraques à la main, crachats et insultes à la bouche. Ils sont ici pour emmener un présumé voleur de sac à mains mais aussi pour sanctionner la famille dans son ensemble, ainsi que les voisins. Ce 17 octobre se soldera par des tirs de flashball sur un voisin, des gifles et des insultes racistes pour la mère et les enfants. Le père de famille sera emmené au poste, avec son fils Amara, avant d’être inculpé pour « violences ». Pour faire face à une telle violence et humiliation et pour mobiliser l’attention du plus grand nombre, un rassemblement est organisé rapidement, le samedi 2 novembre, par la famille soutenue par la Brigade Anti Négrophobie, à la gare RER de Garges-lès-Gonnesse. Ce jour-là, environ 150 personnes sont venues écouter les témoignages de la famille Saounera.

UN DOSSIER INCOMPLET POUR JUGER L’AFFAIRE

En détention provisoire depuis le 18 octobre 2013, Samba Saounera, 26 ans, était jugé, avec son père, qui comparaissait libre. Suite aux plaintes déposées par une dizaine d’agents de police, tous deux étaient poursuivis pour « violences n’ayant entraîné aucune interruption temporaire de travail à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique ». La justice reprochait par ailleurs à Samba d’avoir proféré des menaces contre ces mêmes policiers, marteau à la main, avec des phrases du type « je vais vous défoncer bande de bâtards !». Il faut ajouter à tout cela que la mairie de Garges-lès-Gonesse, afin d’enfoncer un peu plus Samba devant le tribunal, s’est constituée partie civile : elle s’estime elle aussi « victime », Samba ayant mis un coup de marteau sur un réverbère.
L’avocat de la famille, maître Plouvier, a choisi sa stratégie : ne pas débattre sur le fond du dossier tout de suite, et demander le renvoi du procès à une date ultérieure, le temps que l’ensemble des témoignages des policiers puissent être recueillis et que l’enquête de l’IGS arrive à son terme et, éventuellement, débouche sur une inculpation des policiers concernés. Maître Plouvier rappelle quelques faits lors de cette audience, à commencer par l’émoi suscité dans tout le quartier par cette intervention très agressive des forces de l’ordre qui a réveillé tout l’immeuble. Tirs de flashball, gaz lacrymogène, parents, frères et Soeurs, voisins bousculés et frappés, que l’on traite de « macaques », un enfant de cinq ans giflé. L’avocat ne manque pas de souligner que les insultes racistes sont à la mode en France et qu’il est impossible dans cette affaire, de se contenter de l’unique version donnée par les « petites voix blanches de policiers qui se présentent comme des victimes ». C’est donc au nom d’une procédure qui se doit d’être la plus complète possible qu’il demande le renvoi du procès, ainsi que la libération conditionnelle de Samba Saounera, car, comme l’avocat le répétera « jusqu’à preuve du contraire, il n’est pas moins présumé innocent que les policiers qui ont porté plainte contre lui, et qui eux n’ont pas été mis en détention provisoire depuis l’interpellation ».

Le 18 octobre, Madame Saounera et sa fille avaient porté plainte à la gendarmerie de Moisselles. Une « chance » que n’aura pas Thierno Saounera dont la plainte sera bien évidemment refusée au commissariat de Garges. Comment s’en étonner ? Les agents en charge de sa plainte font partie d’une des équipes intervenues la veille. Une consanguinité de la procédure sur laquelle insiste l’avocat de la famille, qui en appelle à ce que les policiers soient jugés à leur tour pour « insultes à caractère raciste » et pour « usage disproportionné de la force publique ».

FRAPPER VITE OU APAISER ?

Pour l’avocat des policiers au contraire, l’interpellation était proportionnée et légitime. D’ailleurs, souligne-t-il, les prévenus, Samba et Thierno Saounera, n’ont pas déposé plainte. Pour lui, demander le renvoi du procès n’est pas utile car lors de cette audience il est possible de demander à ce que les témoins de la scène présents dans la salle se lèvent et viennent déposer à la barre. Sa stratégie est simple, il s’agit de frapper vite, de juger vite le fils extrait de maison d’arrêt quelques heures plus tôt et le père soumis à un contrôle judiciaire, avec le moins d’éléments possible pour contredire les témoignages des forces de l’ordre. Juger vite, avant qu’une éventuelle procédure pour les violences et les insultes racistes ne soit engagée contre les policiers et vienne semer le doute quant à la culpabilité des Saounera.

Sa position est soutenue par le parquet qui ne manque pas de rappeler que l’intervention des brigades de police était légitime car légale, légitime parce qu’autorisée par les parquets de Seine-Saint-Denis (93) et du Val-d’Oise (95). Il fallait « extraire Amara Saounera » et la famille s’y est opposée. La famille serait donc la seule responsable des insultes racistes qu’on lui a lancé à la face et des coups qu’elle a reçu. Pour la procureure, il faut plutôt chercher la vérité de cette « affaire » dans les antécédents des prévenus et non dans les modalités de l’intervention policière. À la demande de renvoi du procès, le parquet décide de ne pas s’opposer fermement, « au nom de la sérénité » de la justice. En revanche, elle demande le maintien en détention provisoire de Samba Saounera qui « a un problème avec les forces de l’ordre, et spécialement celles de Garges-lès-Gonnesse ».

La présidente du tribunal reste dans la même tonalité en affirmant que ce qui importe dans ce procès, c’est que « Samba Saounera ne se promène et n’agresse plus personne avec des marteaux » et qu’il ne mette plus les pieds dans le 95 et encore moins dans son quartier d’ici là. Après délibération, la juge acceptera finalement le renvoi du procès, au nom de « l’apaisement » et de la « sérénité » de la justice. Il faut sûrement y voir une stratégie de temporisation, d’étouffement, de pacification : attendre que les plaies se referment, que la colère du quartier retombe, que la mobilisation s’essouffle. Pacifier pour isoler la famille et juger « sereinement », dans le silence et l’indifférence.

Debout tout au long de l’audience, menotté, entouré de quatre matons pour guetter ses faits et gestes, Samba Saounera n’aura quasiment pas eu l’occasion de s’exprimer pour sa défense, tout comme son père. Leurs interventions, pourtant très courtes et respectueuses, sont chaque fois interrompues par une présidente aux répliques tranchantes et ironiques. Lorsque Samba Saounera explique qu’il respectera les contraintes d’un contrôle judiciaire jusqu’à la date du procès, elle le coupe par un : « mais oui… on a bien compris, nous savons bien que vous êtes un bon citoyen ! ».

À la sortie de l’audience, les membres de la famille Saounera se prennent dans les bras, les mères pleurent de joie après cette première victoire, la libération de Samba. Parmi eux, certains ravalent leur rage pour ne pas exploser, car après le racisme policier du 17 octobre, ils dénoncent le manque d’écoute ou de considération d’une justice à son tour raciste, en attendant de voir si ce « verdict de l’apaisement » sera confirmé le 17 janvier 2014.

(1). À tort, puisqu’on apprendra très vite qu’Amara était à l’hôpital le jour du vol en question. Pour plus de détails voir Mathieu Molard, « ‘Sale macaque’, crachats et tirs de flashball : quand la police réveille une tour HLM », http://www.streetpress.com/sujet/113288-sale-macaque-crachats-et-tirs-de-flashball-quand-la-police-reveille-une-tour-hlm.

Collectif Angles Morts :

anglesmorts@gmail.com

Pour plus d’informations :

– Soutien à la famille Saounera de Garges-lès-Gonesse :
https://www.facebook.com/soutiensaouneragarges
– Brigade Anti Négrophobie :
https ://fr-fr. facebook. com/BrigadeAntiNegrophobiePageOfficielle

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