Hortefeux va encore porter plainte....

Une enquête met en doute la version policière d’un décès en garde à vue

Plus de quatre ans après la mort d’Abou Bakari Tandia, tombé dans le coma en garde à vue au commissariat de Courbevoie (Hauts-de-Seine) le 6 décembre 2004, le dossier judiciaire vient de connaître un rebondissement. Alors que les policiers ont toujours expliqué que le Malien de 38 ans s’était jeté la tête contre un mur de sa cellule, une nouvelle expertise médicale, que Le Monde a pu consulter, juge cette thèse peu plausible. L’avocat de la victime, Yassine Bouzrou, devait demander au juge d’instruction la mise en examen des policiers qui ont participé à « l’altercation » avec le sans-papiers.

A l’origine, l’histoire est des plus banales (Le Monde du 26 janvier). En France depuis une dizaine d’années, M.Tandia subit un contrôle d’identité. Sans papiers, il est placé en garde à vue. Là survient un incident: « Pendant la prise d’empreintes, tout s’est bien passé, M. Tandia a coopéré sans problème », a relaté un gardien de la paix lors de son audition. « Une fois au lavabo, il s’est lavé les mains, a voulu partir en laissant ses empreintes sur le bouton-poussoir et a refusé de nettoyer le bouton malgré nos demandes répétées. » Le ton monte, les policiers le conduisent « fermement » vers sa cellule de garde à vue. Un peu plus tard, ils disent avoir entendu un bruit sourd. « Je me suis approché, j’ai constaté qu’il reculait vers le fond de sa cellule, tête baissée, il a foncé droit vers la porte, la tête la première », raconte le gardien. Des déclarations jugées convaincantes par le procureur de la République qui classe très rapidement l’affaire sans suite.

SÉRIE DE REBONDISSEMENTS

Mais la famille fait appel à un avocat et dépose plainte. C’est le début d’une série de rebondissements. D’abord parce que les policiers expliquent que la caméra de surveillance ne fonctionnait plus après dégradation par un précédent gardé à vue. Ce que l’avocat juge impossible dans la mesure où la caméra était positionnée à quatre mètres de hauteur. Une expertise de l’inspection générale des services (IGS), conduite à se demande, a validé sa thèse: « Vu la hauteur (de la caméra) fixée au plafond, elle est hors d’atteinte des gardés à vue, même en montant sur le banc », indique l’IGS. A nouveau interrogés en 2008, les policiers ont déclaré ne plus se souvenir précisément des faits. Aucun signalement de dégradation n’avait d’ailleurs été effectué.

L’autre nouveauté dans l’enquête vient de la réapparition d’une partie du dossier médical, mystérieusement envolée. Manquaient notamment des scanners et les originaux des observations des médecins, indispensables pour comprendre les causes du décès. L’hôpital de Colombes, où la victime avait été soignée, a fouillé dans ses dossiers sans rien trouver. Jusqu’à ce que l’avocat fasse une demande d’enquête pour « vol de document ». En quelques semaines, fin 2008, l’administration retrouve le dossier, classé « par erreur » aux archives, où personne n’avait pensé à aller le chercher. Des « dysfonctionnements » reconnus par le parquet de Nanterre qui ne revenait pas, début janvier2009, sur le fait que « les médecins estiment que les lésions constatées sont compatibles avec l’hypothèse d’un choc contre un mur ».

La réapparition du dossier a permis au juge de demander une expertise complémentaire. Ce nouvel examen des pièces médicales apporte d’autres doutes sur la version policière. Les médecins de l’institut médico-légal de Paris relèvent en effet « l’absence de lésion traumatique crânienne ou crânio-faciale par choc direct contre un plan dur ». Ils estiment que la mort a probablement été provoquée par « un ébranlement cérébral par violente(s) secousse(s) de la victime, phénomène connu pour provoquer une commotion cérébrale mortelle ». Le témoignage du policier affirmant avoir vu le gardé à vue se jeter contre un mur est aujourd’hui jugé « peu compatible » avec les constatations médicales. « L’exiguïté de la cellule de garde à vue ne permet pas de prendre un élan et une accélération suffisante pour créer ce type d’œdème cérébral », relèvent les experts.

Face à ces éléments, le parquet a demandé au juge de procéder à des instructions complémentaires. Le procureur de la République lui demande notamment de faire entendre les experts médicaux afin qu’ils précisent leurs conclusions. Surtout, il requiert que « tous les policiers » soient à nouveau convoqués pour les confronter à ces expertises.

Luc Bronner

Article paru dans l’édition du Monde du 04.09.09

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