Tribune du Collectif de Défense des Libertés Publiques en soutien à Kamel Daoudi

À l’occasion de la journée internationale des droits humains, cette tribune souhaite dénoncer l’impact sur tout un chacun des mesures d’assignation à résidence prises par les autorités françaises au travers de la situation individuelle paroxystique de Kamel Daoudi, assigné à résidence et obligé de pointer plusieurs fois par jour au commissariat depuis maintenant plus de 14 ans.

Ces privations lui interdisent la possibilité de travailler et de vivre normalement avec sa famille, le plongeant ainsi dans une situation de précarité économique et sociale évidente. Nous dénonçons ce qui apparaît très clairement comme un régime de privation de liberté constitutif d’une atteinte à l’état de droit.

Cet état de privation de liberté a été soumis à la discrétion de l’autorité publique, sans limites de temps ni intervention du juge de la liberté et de la détention (JLD). En somme, Kamel Daoudi pourrait rester sous ce régime de privation de liberté jusqu’à la fin de sa vie.

Condamné pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste en France pour un projet qui lui a été imputé et qu’il a toujours contesté, il a purgé sa peine de prison, et reste pourtant sous le coup d’une interdiction définitive de territoire français inapplicable.

Une privation de liberté contrôlée par l’administration sans limites de temps

Ce genre de cas permet à l’administration de priver ou restreindre la liberté de personnes de manière illimitée dans le temps.

Kamel Daoudi, déchu de sa nationalité française en 2002, est considéré par la France comme un étranger, mais ne peut pas être expulsé du territoire, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ayant donné suite à la requête de M. Daoudi en prononçant l’impossibilité pour la France de l’éloigner vers l’Algérie (son pays de naissance qu’il a quitté à l’âge de 5 ans).

En effet, M. Daoudi y risque des traitements dégradants et inhumains au sens de la convention européenne des droits humains. Par ailleurs, toute sa famille réside en France et il n’a plus aucune attache avec son pays de naissance depuis plus de 42 ans. Kamel Daoudi est donc assigné à résidence administrative depuis le 25 avril 2008, subissant l’application d’un régime d’exception permettant à l’administration de le maintenir ainsi, sans aucune intervention du JLD, « jusqu’à ce qu’existe une perspective raisonnable d’exécution de [son] éloignement. » (L.561-1 du CESEDA)

Cette « perspective raisonnable d’exécution de son éloignement » n’étant pas possible au vu de la décision de la CEDH, cela confère à ce régime d’assignation à résidence un caractère perpétuel. Kamel Daoudi pourrait donc rester jusqu’à la fin de sa vie dans ce régime de privation de liberté.

Une décision prise sur des motifs flous à interprétation large

Cette décision d’assignation à résidence repose sur le CESEDA (code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) et s’appuie sur la notion de « trouble à l’ordre public », une notion à très large spectre d’interprétation et potentiellement arbitraire.

Amnesty International dénonce depuis des années l’assignation à résidence de Kamel Daoudi, alors que la justice n’a plus rien à lui reprocher. Cette situation porte atteinte à ses droits fondamentaux, y compris son droit à travailler ou son droit à la vie privée et familiale.

Cette situation est en outre maintenue par le ministère de l’Intérieur, qui place Kamel Daoudi au milieu d’enjeux politiques dépassant largement sa seule personne.

Plus largement, cette notion de « trouble à l’ordre public » peut tout à fait, selon les interprétations, s’appliquer à des militant.e.s œuvrant contre les intérêts du gouvernement en place. La frontière est fine pour que les motifs fondant l’application de ces régimes de privation de libertés soient applicables à d’autres situations pouvant être jugées par l’autorité publique comme risquant de troubler l’ordre public.

L’assignation à résidence n’est pas le seul dispositif de contrôle et de surveillance : elle s’insère dans un arsenal juridique répressif qui va de la perquisition administrative jusqu’à l’interdiction de paraître dans certains lieux.

Des exemples récents en attestent : des décisions de ce type ont récemment été prises à l’encontre des militants écologistes lors de la COP 21, des syndicalistes ou encore des supporters de football.

Une décision qui s’inscrit dans un mouvement d’intégration des régimes d’exception dans le droit commun

Plusieurs régimes d’exception instaurés ces dernières années ont donné lieu à une transposition d’une législation d’urgence dans le droit commun. L’état d’urgence, proclamé en réaction aux attentats de 2015 et prorogé à de multiples reprises jusqu’en 2017, a permis l’entrée en vigueur de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, qui reprend de façon substantielle ce régime d’exception.

La situation exceptionnelle et excessive à laquelle sont confrontés Kamel Daoudi et ses proches est devenue la règle pour un ensemble de décisions de privations ou de restrictions de libertés potentiellement applicables à toute personne vivant sur le territoire français, qu’elle soit étrangère ou française.

***

À travers cette situation, nous dénonçons plus largement l’ensemble des atteintes à l’état de droit produit par la délégation de l’exécution des peines à l’autorité publique. Par son lien étroit avec les enjeux politiques, l’autorité publique ne peut être en aucun cas garante d’une justice équitable.

Nous considérons que l’assignation à résidence est une privation de liberté et qu’une personne sous le joug d’une telle décision doit être en mesure de voir les conditions de cette privation contrôlées par le juge des libertés et de la détention.

Nous dénonçons l’ensemble des dérives juridiques de la lutte contre le terrorisme, imprégnant les personnes d’une tache indélébile de nature à justifier toutes formes d’atteintes à leurs libertés fondamentales.

Nous dénonçons l’entrée dans le droit commun et la massification de ces décisions privatives de libertés, souvent basées sur le principe flou de « trouble à l’ordre public » et de plus en plus appliquées à n’importe quelle personne française ou étrangère exerçant des droits fondamentaux – celui de manifester, comme d’autres.

Appel initié par le Collectif de défense des libertés publiques

France, le 10 décembre 2022

Premier.e.s signataires :

PrénomNomQualitéVilleFrance
Caisse de Solidarité de Lyon
Collectif contre la répressionLyonFrance
LaurentThéronSyndiqué Sud Santé, militant Assemblée des blessé.e.s et Désarmons-les !Saint-FargeauFrance
CélineCarrelorthophonisteToulouseFrance
DenisRobertRédacteur en chef de BlastParisFrance
Natacha
Librairie l’AtelierParisFrance
CAR 38
Collectif Anti Répression de l’Isère


GrenobleFrance
LudivineBantignyHistorienneParisFrance
NordineSaïdiMilitant décolonial Membre de Bruxelles PanthèresBruxellesBelgique
Bruxelles Panthères

BruxellesBelgique
ClaudeSzatanMilitant associatifParisFrance
JoëlleMarelliTraductrice et chercheuseParisFrance
ChristianMahieuxCheminot retraité, syndicaliste, éditeurParisFrance
MehdiMeftahMilitant décolonial, membre du PIR
France
Parti des indigènes de la république (PIR) France
NormanAjariDocteur en philosophie, enseignant à l’Université d’Édimbourg et membre exécutif de la Fondation Frantz-FanonÉdimbourgÉcosse
CQFD
La rédaction du mensuel CQFD, journal indépendantMarseilleFrance
TeddyTheodoseMilitant pour l’égalitéLes LilasFrance
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