De l’extrême-droite (aux racines pétainistes et OAS) à la gauche (pro-israélienne ou non), les éditocrates ont trouvé en Houria Bouteldja l’ennemi à abattre. Tous contre Houria ! Tel est le cri de ralliement de milieux à priori très différents mais qui se retrouvent tous dans le rejet d’une expression dérangeante et autonome des descendants d’immigrés africains et maghrébins.
Les accusations sont violentes, la porte-parole du PIR est qualifiée de « raciste antiblanc » (sic), « d’homophobe » et « d’antisémite », charge suprême dans un pays qui a décidément beaucoup de mal à gérer son histoire et son héritage.
Ces attaques de la presse française, du Figaro au Monde en passant par Marianne révèlent que la militante antiraciste soulève des questions sur la politique et la société françaises qu’on ne veut ni entendre ni débattre. En effet, qui, parmi ces intellectuels d’État se risquerait à la moindre critique d’un passé colonial encore très actuel ? Les élites de pouvoir ne s’intéressent aux arabes et aux noirs français que lorsqu’ils posent problème. On a vu comment François Mitterrand et le Parti socialiste ont manipulé les marcheurs « beurs » de l’égalité de 1983 et comment la droite gaullienne a géré les émeutes de banlieues en 2005.
La permanence d’un substrat colonial dans l’idéologie d’État « laïque et républicaine », pourtant très visible à bien des égards (**), est niée avec une confondante mauvaise foi. Il est vrai que nous sommes dans un pays qui commémore dans la déploration les rafles antijuives du Vel d’hiv en 1942, perpétrées par la police parisienne, tout en procédant à des rafles honteuses de migrants (la chasse des migrants du quartier La Chapelle, à Paris, est très éloquente).
L’effet-miroir
Bien entendu, aucun de ces médias, si prompts à faire la leçon au reste de la planète, n’a estimé nécessaire ou utile de donner la parole à Mme Bouteldja, ne serait-ce que pour se défendre des graves accusations dont elle fait l’objet. C’est dire que la déontologie n’a pas cours quand il s’agit des conclusions haineuses des nouveaux Torquemada.
Dans ce contexte biaisé, l’effet-miroir cher à Fanon, joue à plein tube. Outre ses revendications d’autonomie politique et ses analyses en rupture avec le consensus tacite en vigueur, Houria Bouteldja renvoie aux élites françaises officielles, si imbues de leur supériorité culturelle, une image bien peu flatteuse.
Ce ne sont pas quelques – rares – personnalités-alibi, de sous-ministres « issus de la diversité », qui peuvent faire illusion : le racisme et la discrimination sont des dimensions structurelles, fondatrices, de l’État et des réalités françaises. Et c’est bien cette mise à nu qui est insupportable pour les gardiens de l’ordre racial français drapés dans une laïcité islamophobe et des faux-semblants républicains. L’antiracisme politique des « Indigènes » qui proclame l’égalité et la dignité n’a rien de commun avec le très caritatif antiracisme moral de SOS-Racisme, instrumentalisant la colère des « beurs » dans le misérabilisme et le soutien au colonialisme israélien.
Les intellectuels et militants français qui ont osé défendre Houria Bouteldja dans une tribune dans Le Monde ont été descendus en flamme. Leur intervention a été même qualifiée d’« insulte à l’esprit » par un publiciste de la sainte inquisition Républicaine. L’outrance signant, ici imparablement, la panique et le vide argumentaire. Cependant, il est remarquable de constater le silence très prudent des intellectuels français d’origine maghrébine dont aucune plume n’a jugé important de s’associer aux dénonciations de ce concert de divagations. Visiblement, il est plus confortable dans ces milieux de vilipender « courageusement » le racisme d’État dans des confidences de salons, que de dénoncer publiquement la diabolisation caricaturale de Houria Bouteldja et des thèses qu’elle défend… C’est probablement le prix à payer pour un strapontin à la table des dominants blancs.
Il ressort en définitive de tout ce bruit et de cette fureur que les élites officielles (l’État profond, les intellectuels médiatiques…) semblent perdre leurs moyens devant l’émergence en France de catégories indigènes nouvelles, formées, instruites et politisés ayant un discours incisif et novateur, loin des péroraisons « classistes », approximativement marxisantes, qui ne débouchent inlassablement que sur des impasses.
A l’évidence, le modèle français d’assimilation par l’abandon des cultures d’origine ne fonctionne plus. Ce qui semble tétaniser la classe politique et l’État français confrontés à une donnée, la pluralité culturelle, caractéristique de la mondialisation en cours.
Un débat qui concerne les Algériens
Le public algérien suit avec intérêt ces débats et polémiques françaises qui concernent au premier chef les enfants (et petits-enfants) d’une diaspora construite au fil d’une histoire trop souvent dramatique. Ces controverses se déroulent dans la lourde ambiance de discrimination, de dérapages policiers à répétition, de ghettoïsation des populations d’origines maghrébines et africaines et de maintien de postures néocoloniales en Afrique et au Moyen-Orient.
Pour l’opinion algérienne, la posture de l’État français vis-à-vis de citoyens dont les parents sont souvent originaires du pays est un marqueur historique significatif de la nature réelle des relations que la France entretient avec l’Algérie.
Ces diatribes haineuses, ces procès en sorcellerie et cet apartheid médiatique montrent bien qu’une des conditions préalables (avec la démocratisation de l’Algérie) à l’apaisement et la normalisation des relations entre ces deux pays passe nécessairement par un aggiornamento décolonial de l’État français, même si le chemin est encore long.
Cette campagne de presse anti-Indigènes le montre sans ambages : le débat politique français ne peut plus éluder les questions fondamentales du racisme et de l’arbitraire néocolonial. Qu’on le veuille ou non, il y a un avant et un après « Indigènes de la République ». Quels que soient leur nombre et l’influence de leur organisation, les militants de ce parti ont placé leurs analyses au centre du débat politique français.
Marwan Andaloussi
(*) Tous les grands quotidiens français sont subventionnés par l’État et appartiennent à des oligarques, à l’exception du journal communiste L’Humanité.
(**) Signalons à ce propos l’ouvrage de la Sociologue Sarah Mazouz « La République et ses autres – Politiques de l’altérité dans la France des années 2000 » ENS Éditions mars 2017.
(***) Aux Editions La Fabrique – mars 2016. Houria Bouteldja a également co-écrit avec Sadri Khiari « Nous sommes les Indigènes de la République » -Editions Amsterdam (2012).