« Si vous étiez Marocain … on vous aurait mis des menottes ! »

C’est ce qu’a dit un agent de la Police aux frontières (PAF) à un membre de notre famille, à l’aéroport d’Orly il y a quelques jours, juste avant de le refouler vers l’Algérie. Notre frère est arrivé hier en France, le 14 Décembre 2014, en provenance d’Oran. Pourtant, il avait un visa touristique de 6 mois. Il avait prévu de rester deux semaines à Paris pour retrouver sa mère, elle-même venue rendre visite à sa fille en France. Bref, notre frère – on va l’appeler Nacer – avait demandé son visa avec une réservation d’hôtel qu’il a effectuée via une agence de voyage d’Oran. Il se présente donc à la PAF en ayant réuni toutes les conditions d’entrée avec un visa touristique.

Les policiers vérifient le visa, comme ils vérifient le justificatif de la somme d’argent nécessaire pour son séjour pour ensuite appeler l’hôtel dans lequel la réservation a été faite. Or, le réceptionniste communique aux agents que la réservation a été annulée. Le policier raccroche et il se tourne vers Nacer en disant :

– Alors Monsieur, vous avez deux problèmes : le premier c’est que votre réservation est annulée et le deuxième c’est que la somme d’argent que vous avez sur vous n’est pas suffisante pour votre séjour. Vous avez besoin de 120 € par jour. Vous n’avez que 900 € sur vous.

Nacer lui répond :

– Je ne sais pas pourquoi ma réservation est annulée, j’ai réservé via une agence de voyage en Algérie. Je suis sûr que ce n’est qu’un malentendu. Je refais tout de suite une autre réservation.

On lui répond alors :

– Non, non, ce n’est pas un malentendu. C’est de la fraude. Vous les Algériens, vous avez un problème d’honnêteté. Pas question que vous refassiez une réservation, vous allez retourner en Algérie aujourd’hui. Et la réservation, vous la ferez en Algérie ; ensuite vous pourrez revenir.

Nacer essaie tant bien que mal de convaincre le policier qu’il réunit bien toutes les conditions nécessaires pour effectuer son séjour comme prévu, mais rien n’y fait.

Un membre de la famille, de nationalité française, qui l’attendait à l’aéroport a pu le joindre et a, lui aussi, essayé de convaincre la PAF que tout est en règle, qu’il se porte garant et qu’il peut lui-même réserver un hôtel et ajouter de l’argent. La PAF refuse sa proposition tout en lui disant de ne pas s’inquiéter et de revenir dans deux heures, le temps de faire un contrôle afin de régler le problème. Il repart donc et il attend les deux heures. Entre temps la PAF oblige Nacer, qui se retrouve isolé, de signer la décharge de son retour en lui disant que c’est l’unique solution mais qu’il a le droit de revenir avec une nouvelle réservation. Nacer signe à la fois par peur d’avoir des problèmes et par ignorance de ses droits. On l’emmène dans la salle d’embarquement. En revanche, son bagage a le droit de rester et il est confié aux membres de la famille qui pensaient récupérer leur frère.

C’est à ce moment que la famille se rend compte de ce qui se passe et qu’elle se mobilise contre ce refoulement. Nous rappelons que selon les articles L 213-1 à L 213-9 du CESEDA, on ne peut pas refouler une personne aussi facilement et la personne ayant un visa en cours de validité a le droit de refuser de partir comme le stipule la loi : « L’accès au territoire français peut être refusé à tout étranger dont la présence constituerait une menace pour l’ordre public ou qui fait l’objet soit d’une peine d’interdiction judiciaire du territoire, soit d’un arrêté d’expulsion, soit d’un arrêté de reconduite à la frontière pris moins de trois ans auparavant en application de l’article L. 533-1, soit d’une interdiction de retour sur le territoire français, soit d’une interdiction administrative du territoire. »

Nous avons essayé de parler avec un des policiers qui était avec Nacer. Il a été très clair :

–  Il n’a pas assez d’argent, il n’a pas de réservation. Si tout le monde faisait pareil, on vivrait dans l’anarchie ! Il n’a pas le droit de refaire une autre réservation maintenant. Il retourne en Algérie et ensuite il pourra revenir.

– Mais on peut vous apporter toutes les garanties demandées et vous savez très bien qu’un billet d’avion coûte cher. Vous vous basez sur quel texte de loi pour le refouler? Vous n’avez pas le droit de faire cela ; dites-nous sur quelle loi se fonde votre décision.

Mais le policier refuse de continuer la discussion et nous repasse Nacer. Ce dernier est à bout de nerfs. Il ne veut pas causer d’ennuis, ni attirer l’attention « de tout le monde ». Entre temps, nous avons lancé un appel sur Facebook, afin d’obtenir de l’aide et on nous met en contact avec une avocate française qui se rend immédiatement à Orly pour soutenir Nacer. Mais trop tard : on l’a obligé à monter dans l’avion et quand l’avocate arrive à le joindre au téléphone et demande à parler au steward de la compagnie aérienne, celui-ci refuse de lui parler. Nacer n’en peut plus. Il est renvoyé vers Alger.

Et nous ? Nous n’avons pas eu assez de temps pour nous organiser et intervenir. Le cas de notre frère est loin d’être isolé ; il n’est ni le premier ni le dernier à subir ce racisme. Si nous relatons ainsi cette expérience, c’est justement dans la volonté de partager toutes les informations que nous avons récoltées ces dernières 24 heures, et qui peuvent être utiles dans des situations similaires. Ces situations sont la résultante directe d’un système fondé sur un racisme post-colonial. Ce système produit des agents racistes, des oppresseurs et des opprimés.

Les propos prononcés par un policier de la PAF, donc en situation de pouvoir, tels que « Vous les Algériens… » ou « Si tu étais Marocain.. » illustrent la manière dont le système raciste de l’État-Nation français se manifeste concrètement. Si Nacer s’appelait François ou avait tout simplement un passeport de l’Union européenne ou américain, il n’aurait jamais vécu une telle situation de non-droit.

Nacer aurait peut-être pu éviter ce genre de situation. Mais, même si cela avait été le cas, cela aurait touché quelqu’un d’autre. Et qu’on ne parle pas de ce qu’il aurait dû faire, car dans un système raciste on ne peut pas combattre le racisme si on veut apprendre à l’opprimé comment être un bon opprimé. Ce genre de situation ne se produit pas à cause d’un Nacer ou d’un Mohamed mais à cause d’une police des frontières qui est sans pitié et qui porte en elle tout le racisme que produit l’État français. Ceci n’est pas un cas isolé mais bien le quotidien des Maghrébins et de tous nos autres frères et sœurs des anciennes colonies.

Et pour que notre colère devienne un combat et pour que notre solidarité puisse avoir des effets pratiques, nous vous demandons de diffuser les infos suivantes, en vue d’en faire usage en cas de besoin.

Avant de monter dans l’avion pour la France ou un autre pays de l’espace Schengen :

  • Assurez-vous que votre réservation d’hôtel est bien valide en faisant la réservation pour le jour même du voyage et qui dure deux ou trois jours.
  • Imprimez la feuille qui précise les conditions pour obtenir un visa. Notamment la somme d’argent qui, selon notre source, est de 65€/jour si la personne est logée à l’hôtel et de 33€ si elle est hébergée chez quelqu’un. (http://www.anafe.org/spip.php?article274) & (http://oran.ambafrance-dz.org/Infos-Visas )
  • Informez une personne dans le pays de destination sur votre route exacte et assurez-vous qu’elle possède tous les numéros de téléphone utiles afin de contacter tout de suite une association ou un avocat pour vous soutenir.

Une fois à l’aéroport / à la PAF

  • Restez calme et clair.
  • Demandez à ce que tout ce qui vous est dit soit également écrit.
  • Exigez d’avoir un témoin à vos côtés durant toute la procédure.
  • Ne signez absolument rien et sous aucun prétexte.
  • Dites clairement que vous n’êtes pas d’accord avec le refoulement /l’expulsion
  • Si vous avez accès à internet, utilisez les réseaux sociaux pour partager et diffuser ce qui vous arrive. Précisez où vous êtes et comment les personnes qui se solidarisent avec vous peuvent vous joindre.
  • N’ayez pas peur ! Vous n’êtes pas le fautif ! Rappelez-vous que vous êtes certes, dans une situation d’oppression, mais malgré tout ce qu’on peut vous dire, vous avez des droits !

Consultez régulièrement les liens suivants :

 

Vous pouvez porter plainte et vous pouvez ne pas porter plainte. Tout le monde comprendra que vous ne vouliez pas « causer d’ennuis » et que vous n’ayez pas le courage de revivre une telle situation. Il n’empêche que votre combat vient après celui d’une autre personne et avant celui d’une prochaine.

 

N.B. : En Algérie le moyen le plus simple pour réserver une chambre d’hôtel en Europe est de passer par un intermédiaire qui réserve l’hôtel pour la date d’arrivée. La procédure d’obtention d’un visa est en effet plus simple pour un visa touristique qui demande donc une réservation d’hôtel. Une fois la personne arrivée sur le sol européen, l’intermédiaire fait annuler la réservation. Pourquoi annuler ? Tout simplement parce que ces personnes ont toutes où dormir ; soit chez de la famille et des amis ou bien elles dorment dans un hôtel moins cher. Il arrive parfois, comme dans le cas de Nacer, que l’agent annule la réservation avant que la personne concernée n’arrive sur le sol européen.

La majorité des Algériens ne possèdent pas de carte de crédit puisque ce système bancaire n’existe presque pas, sauf pour quelques rares privilégiés.

Il est à noter aussi que l’allocation touristique permise par les banques algériennes est de 140 euros par an. Ce qui est largement insuffisant par rapport à la somme exigée par les autorités françaises. Par conséquent, les gens achètent des devises sur le marché parallèle, illégal. Ensuite, ils les font virer dans un compte devises créé au préalable, pour le légaliser aux yeux des autorités françaises et algériennes. Cette combine court-circuitant le système officiel, très connu d’ailleurs par les autorités, est la seule solution pour que des citoyens algériens puissent passer des vacances ou rendre visite à leur famille en France.

 

Frida et Sofiane

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