L'affaire Fethi B.

Racisme à Chauny

Lorsqu’une victime d’agression raciste parvient à surmonter son
traumatisme et exige que justice lui soit rendue, elle se heurte bien souvent au silence des médias dominants et à l’inaction des autorités publiques. L’histoire de Fethi B., ici exposée par Noureddine Rachedi, illustre bien cette réactivité à deux vitesses.

Depuis plusieurs mois déjà, la tranquillité des habitants de Chauny, une paisible bourgade de l’Aisne (Picardie), est troublée par une succession d’affaires à caractère raciste. Des incidents allant de l’insulte à des rixes plus violentes ont été régulièrement relayés par la presse locale. A l’instar d’autres endroits dans l’hexagone, les vieux démons nazis semblent connaître une nouvelle poussée.

L’affaire Fethi B., ex-professeur d’économie travaillant dans l’insertion des jeunes, est révélatrice à bien des égards d’une peur. Une peur ressentie par les victimes qui osent porter plainte. Cet ex-professeur est connu du village pour son engagement citoyen : il s’est déjà présenté aux dernières élections municipales sur la liste communiste. Il est connu aussi pour ses activités au sein d’une association de quartier dénommé AJIR, association qui s’est rapprochée du Collectif Contre l’Islamophobie en France suite aux derniers événements. Il effectuait son jogging le soir du 26 mars 2008. Deux jeunes individus, « de type européen », qui passaient en voiture, l’apostrophent en ces termes : « Sale arabe, sale bougnoule, on va faire ta peau ! » La victime dépose plainte le soir même à la brigade de gendarmerie de Chauny pour insulte à caractère raciste… et se retrouve en garde à vue le 18 avril 2008. Que s’est-il passé? Une autre bagarre a éclaté en centre-ville le 5 avril 2008. Les premières constatations de la gendarmerie de Chauny, dès leur arrivée sur les lieux, font état d’une agression par huit jeunes hommes de type maghrébin d’un groupe de cinq personnes appartenant à la mouvance nazie, de type européen. Suite aux investigations des militaires, deux personnes sont placées en garde à vue. Lors de leurs auditions, les deux suspects mentionnent Fethi B., mais en qualité de témoin potentiel n’ayant pas participé à la bagarre. On peut donc s’étonner de l’opportunité d’une garde à vue, qui a duré huit heures et trente minutes. D’après la victime, « le gendarme qui m’a interrogé semblait convaincu de ma culpabilité, il a été très désagréable avec moi, il refusait d’entendre mes explications et posait uniquement des questions à charge. » Fethi B. ne compte pas en rester là. Il décide de porter plainte le lendemain pour diffamation…et enregistre sur une bande ses échanges avec l’adjudant. Le dépôt de plainte précise que le gendarme a dit à M. B. qu’il était « un enfoiré de menteur ». Le procureur d’Amiens classe l’affaire sans suite. La victime saisit le procureur général. Même son de cloche. La victime saisit alors le ministère de l’Intérieur, qui transmet à la gendarmerie de Chauny. M. B. saisit le député de sa circonscription et lui demande de saisir la Commission Nationale de Déontologie et de Sécurité (CNDS). Nouveau coup de théâtre survenu le 21 septembre 2009, quand cette autorité administrative et indépendante formule son avis et ses recommandations.

En voici quelques extraits :

« Non seulement l’adjudant pose des questions en s’appuyant sur des éléments mensongers, mais en plus, il prête des propos qui n’ont jamais été tenus à des personnes proches de M. F.B. en les nommant. Ces procédés d’interrogatoire sont inadmissibles et témoignent d’un manque de professionnalisme et d’impartialité de l’adjudant à l’origine d’un préjudice causé à la fois à M. F.B. et (aux deux suspects [interrogés)« .
(…)

« Les propos enregistrés sur la bande produite par M. F.B. sont inacceptables. Ils ont été prononcés manifestement dans le but de dissuader l’intéressé de porter plainte. »
(…)

« (La Commission) recommande qu’une procédure disciplinaire devrait être entreprise à l’égard de ce gradé pour le caractère déloyal des procédés employés lors des auditions de F.B. »

Un rapport accablant.

« Je suis surpris par son contenu », déclare le procureur, avant d’ajouter sans se démonter qu’il gardait « toute sa confiance auprès de l’adjudant ». Pourtant, une succession de faits similaires ne semble pas être pris au sérieux par les autorités. Des tags avec des croix gammées avaient déjà été découverts sur la façade d’une piscine, une autre fois sur la façade d’une mosquée et sur le portail d’entrée d’un riverain. Un commerçant du centre-ville témoigne avoir déjà entendu des « Morts aux Arabes » proférés par une vingtaine d’individus « de type européen ». Et d’autres affaires avec d’autres plaintes déposées. Et toujours le même constat : d’un côté, une justice qui donne du temps à la défense des extrémistes de s’organiser. Une justice qui prononce des relaxes ou des sursis lorsque les accusés affichent ostensiblement des signes de sympathie au IIIème Reich. C’est seulement dans le cas d’une récidive que des peines de prisons fermes peuvent être prononcées. Ceci fut le cas lors de l’affaire du SDF maghrébin de Laon agressé et dont le corps a été taggé de croix gammées par une bande de jeunes de type européen (peine de 8 mois ferme prononcée contre le récidiviste). D’un autre côté, une justice qui procède par comparutions immédiates, qui prononcent des peines de prison ferme lorsque ces derniers affichent, par leur patronyme, une référence maghrébine et/ou musulmane. Y a-t-il matière à s’inquiéter d’une montée du racisme? « Non, coupe un officier de police judiciaire. On ne peut pas dire qu’il y a une montée du racisme. Pas plus que d’habitude en tout cas. Pour moi, c’est cyclique. »

La presse locale évoque régulièrement des tensions communautaires entre jeunes « skinhead » d’un côté, et jeunes « d’origine maghrébine » de l’autre. « Comment peut-on parler de bandes rivales (..) quand d’un côté on porte des croix gammées et que l’on crie haut et fort son appartenance à la mouvance nazie ? » s’étonne Karim Chafi, Président de l’association AJIR. « Mais quel est ce maire qui accepte que des individus adeptes de la peste brune insultent d’honnêtes citoyens sur la place de sa mairie? » s’interroge-t-il. Ainsi, c’est le laisser-faire des autorités sur la poussée inquiétante de l’expression du nationalisme nazi qui alimente un sentiment amer d’impunité quand les victimes osent déposer plainte. Le cas de Fethi Bo. est exemplaire : les victimes ont peur de se retrouver coupables. La première plainte de M. B. contre ses agresseurs a abouti à la prononciation de condamnations à des peines de prison avec sursis sans inscription dans leur casier judiciaire.

Karim Chafi, joint au téléphone, s’inquiète de ce climat d’insécurité et du sentiment d’impuissance qui gangrène les victimes. Il a saisi lui aussi la Ministre de l’Intérieur l’an dernier, le chef de cabinet de cette dernière lui signale que le préfet de l’Aisne a été saisi pour un examen attentif et approprié de la situation. Résultat : M. Chafi attend toujours des nouvelles.

La municipalité de Chauny, prompte à effacer les inscriptions nazies sur la façade de la piscine municipale, l’a été beaucoup moins pour traiter la façade de M. Olezyk, taggée de deux croix gammées doublées du slogan : « La France blanche ». L’adjoint au maire aux sports, Mr Gwenaël Nihouarn, a même osé accuser M. Chafi de souffler sur les braises du communautarisme sous couvert humanitaire, et de faire ainsi le jeu du Front National. Il faisait référence à un match de football de solidarité organisé par l’AJIR suite au bombardement de la bande de Gaza en janvier dernier. D’après M. Chafi : « En interpellant Madame la Ministre de l’Intérieur sur la situation pour le moins inquiétante qui sévit à Chauny, je délivre un message sur le laxisme de notre équipe municipale qui a jugée inutile la venue du Préfet sur Chauny. Pourtant, nous estimons que sa présence s’impose, car le préfet n’a pas manqué de venir quand des voitures ont brûlé en novembre 2005 »

Ajoutons que la section Front National de Chauny entend surfer sur cette vague en créant une association nommée « Contre le racisme anti-blanc ». Le porteur de ce projet tient tout de même à préciser qu’elle n’aura pas de « caractère politique » et ajoute que : « Tous ceux qui auront des idées néo-nazies, nous n’en voulons pas ». Nous voici rassurés.

M. Chafi conclut ainsi notre entretien : « Nous nous sentons complètement démunis, j’ai l’impression d’avoir utilisé tous les recours à ma disposition. Hélas, sans résultat ».

Le mot de la fin à ce lycéen de Chauny :
« Bonjour, je m’appelle Geoffrey j’ai 16 ans et je suis scolarisé au lycée Gay Lussac. Je voulais réagir à propos des racistes. Depuis 1 ans les skins se multiplient dans la commune de Chauny et ses alentours et ce n’est pas normal c’est même honteux qu’à chaque bagarre entre skins et maghrébins, on punit le maghrébin parce qu’il a frappé en premier, mais de voir des cranes rasés, des attitudes provocantes j’appelle ça de l’incitation à la violence. Il faut vraiment lutter contre ce « fléau » et je me sens concernée car beaucoup de mes amis sont d’origine maghrébine.
Merci d’avoir lu mon commentaire. »

Noureddine Rachedi

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