L’expérience de l’Appel nous a confirmé dans notre détermination à ne jamais demander l’autorisation d’une quelconque instance universitaire, amicale, politique, ou de quelque nature qu’elle soit pour nous déterminer dans nos choix, prendre nos décisions, nous définir nous-mêmes. C’est dans cet esprit que nous avons discuté cette question de notre identité politique.
La discussion a permis de dégager dix grands points dans la définition de notre identité en tant qu’Indigènes de la République.
Ces réflexions correspondent à un moment donné de notre trajectoire. Elles seront prolongées au fur et à mesure de la construction du « Mouvement des Indigènes ».
1) UNE IDENTITÉ D’ABORD POLITIQUE
Le « Nous » des Indigènes de la République n’est ni ethnique, ni religieux, ni culturel, ni à base d’origine. Nous nous construisons en opposition avec les lectures culturalistes et ethnicistes de la réalité sociale. Ce ‘Nous’ s’oppose donc à un ‘Eux’ qui n’est pas non plus ethnique ou culturel ou religieux. Notre identité est séculière et politique. Nous nous construisons en opposition à celles et ceux qui nient l’existence des discriminations en raison de l’origine, à celles et ceux qui les reconnaissent mais les considèrent comme secondaires, à celles et ceux qui les reconnaissent mais adoptent une posture de l’impuissance (on n’y peut rien, il faut attendre l’effet du temps), à celles et ceux qui refusent de reconnaître que la France reste une puissance coloniale dans ses rapports au reste du monde, et qu’elle reste caractérisée à l’intérieur par une situation postcoloniale, à celles et ceux qui ne défendent la « discrimination positive » que pour ne pas s’attaquer aux structures sociales elles-mêmes, à celles et ceux qui se contentent de dénoncer les symptômes sans interroger les causes.
2) UNE MÉMOIRE DES DOMINATIONS ET DES OPPRESSIONS
Les Indigènes de la République entendent construire la communauté politique de toutes celles et tous ceux qui refusent l’occultation des mémoires des dominations et des oppressions inscrites dans l’histoire de notre pays. De ce point de vue, nous ne voulons rien d’autre qu’affirmer qu’aucun avenir n’est possible sur la base du silence sur les dominations et les oppressions du passé.
3) LE COMBAT CONTRE LES DISCRIMINATIONS
Les Indigènes de la République ne se situent pas comme simple mémoire du passé. Nous parlons de mémoire parce que celle-ci continue d’informer le présent et de le construire. Les Indigènes de la République ont ainsi l’ambition de construire une communauté politique réunissant toutes celles et tous ceux qui exigent la fin du traitement exceptionnel des personnes issues de la colonisation. C’est cette conscience de ce que la mémoire de la colonisation agit sur le présent qui nous fait travailler sur la mémoire et non une nostalgie abstraite du passé.
4) LA COLONISATION N’EST PAS FINIE
Les Indigènes de la République se construisent également comme communauté politique de celles et ceux qui refusent les pratiques néo-coloniales de l’Etat français et plus largement la recolonisation en œuvre avec les guerres d’Afghanistan, d’Irak, les processus désignés sous le nom de Françafrique, etc. C’est pourquoi nous manifestons et manifesterons notre soutien aux luttes des peuples et en particulier à la lutte du peuple palestinien pour son indépendance.
5) LA DISCRIMINATION SYSTÉMIQUE COMME ENNEMI
Les Indigènes de la République sont en position de rupture. La question pour nous n’est pas celle de l’existence d’une minorité raciste. Elle est au contraire celle de l’existence d’une discrimination systémique inscrite dans les organisations, les procédures d’embauche, l’organisation des concours, les mécanismes d’orientations, les implicites des attributions de logements. Il s’agit d’une question structurelle et non du dérapage de tel ou telle fonctionnaire raciste. Nous refusons le traitement ethnique de la question sociale.
6) NOUS ASSUMONS L’EXPRESSION « INDIGÈNE »
L’expression « Indigènes de la République » signifie la prise de conscience que les populations issues de l’immigration postcoloniale, et par contamination, celles qui partagent avec elles leurs conditions de vie matérielle, sont perçues, traitées, construites comme indigènes. Nous faisons ici référence au statut juridique de l’indigène à l’époque coloniale : une personne sujet c’est à dire ni française, ni étrangère. L’expérience des personnes issues de la colonisation impose cette analogie historique. Qu’elles aient ou non la nationalité française, elles sont dans les faits traitées comme ne l’ayant jamais tout à fait. Les chercheurs en mal de concept auront beau nous accuser de manquer de précision, cette expression nous parle, parle aux indigènes, parce qu’elle désigne un vécu réel. Nos critiques feraient bien de s’interroger sur les raisons de l’écho profond rencontré par l’expression « Indigène de la République »
7) LES INDIGÈNES CONTRE L’INDIGÉNAT
L’expression « Indigène de la République » exprime une réalité du présent et non un frileux repli identitaire. Elle a vocation à disparaître lorsque l’égalité deviendra réalité dans notre pays. Un jour futur personne ne pensera à se dire « indigène » car cela ne correspondra plus à aucun vécu. Force est de constater que nous n’en sommes pas là. La réalité sociale continue à comporter des indigènes et tant que cela durera nous continuerons à nommer cette réalité, même si cela fait mal aux oreilles de ceux qui se contentent de principes abstraits (égalité, laïcité, mixité) niant la réalité des oppressions.
8) L’AUTONOMIE ET LES ALLIANCES
Les Indigènes de la République prennent acte de ce qu’aucune force politique ou syndicale n’a accordé l’attention nécessaire aux dominations vécues par les populations issues de la colonisation. Si tel était le cas nous n’aurions sans doute même pas eu l’idée d’un mouvement spécifique des Indigènes de la République. Ce mouvement est né de la conscience que les questions et les intérêts des indigènes sont sans cesse sacrifiés sur l’autel de questions jugées plus importantes. Pour cela la question de l’autonomie s’avère incontournable. L’autonomie n’est pas pour nous un but ou un idéal. Elle est un moyen nécessaire pour que se construisent des alliances égalitaires.
9) LES INDIGÈNES ONT UNE HISTOIRE
Les Indigènes de la République ne naissent pas du néant. Ils revendiquent l’héritage des luttes anti-esclavagistes, anti-colonialistes, anti-impérialistes, des luttes féministes, des luttes de l’immigration, et plus généralement de l’ensemble des luttes pour l’égalité sociale. Nous ne sommes rien d’autre qu’un nouveau jalon dans le combat pour l’égalité que des millions de personnes ont menées avant nous.
10) LES INDIGÈNES SE RECONNAISSENT DANS LES AUTRES MOUVEMENTS SOCIAUX
Nous n’avons pas la volonté ni la prétention de remplacer l’ensemble des autres mouvements sociaux agissant pour l’égalité. Nous ne sommes pas un mouvement ‘généraliste’. Nous participerons au cas par cas à des actions ou projets communs avec d’autres forces, tout en rappelant notre place particulière, liée à l’oppression particulière des indigènes. De la même façon nous engagerons toutes les initiatives que nous estimerons nécessaires sur les questions relevant de nos préoccupations – et spécialement lorsque celles-ci seront niées ou sous-estimées ou mises de côté par nos « alliés » au prétexte d’autres priorités.
13 mars 2006.