Qui a peur de Houria Bouteldja ?

Parce que j’entends d’ici vos insultes, colères, et autres «idiote utile ! tu sais pas de quoi tu parles !», je tiens à préciser : cette tribune ne s’adresse pas aux identitaires républicains en crise actuelle de psychose, obsédés par la soi-disant «islamisation de la France», mais à ceux pour qui être de gauche ne se résume pas à faire passer l’entre soi Blancs-bien-pensants pour de l’universalisme, et sont prêts à observer le monde depuis une autre place que la leur.

A ce jour, le (soi-disant) antiracisme qu’on peut qualifier d’antiracismemoral domine les champs médiatique et politique à coup de «le racisme, c’est mal, faisons une grande farandole» et autres «le cœur n’a pas de couleur». Or ces intentions, ô combien respectables, sont incapables de régler quoi que ce soit : ni l’inégale répartition des richesses, ni le racisme institutionnel.

Face à cet antiracisme à sa mémère se dresse un antiracisme politique, articulé autour de notre histoire, dont l’objectif salvateur est de sortir d’un système de domination rance, et comme l’actualité nous le prouve, en voie d’autodestruction.

En mars est sorti un livre (up)percutant, électrique et déstabilisant : les Blancs, les Juifs et nous. Vers une politique de l’amour révolutionnairede Houria Bouteldja, qui incarne cet antiracisme articulé en profondeur(Libération du 25 mai).

L’auteure est de longue date «grillée» par ses détracteurs, bien plus puissants qu’elle dans les champs politiques et médiatiques. Depuis des années, ils s’attellent à extraire des passages de ses écrits afin de leur donner une tournure bien dégueulasse. Combien de fois m’a-t-on rappelé à l’ordre à son sujet «mais-enfin-elle-est-homophobe ça-va-pas-la-tête-lis-ça !» Sauf que la phrase en question, une fois recontextualisée, racontait une lutte décoloniale et, qu’on soit d’accord ou pas avec son point de vue, ne pouvait en aucun cas être résumée à de l’homophobie.

Il est très facile de discréditer un texte, surtout quand la pensée est complexe et formulée sous forme de paradoxes. Et, depuis la sortie du livre de Houria Bouteldja, c’est «#PassionRatonnade» : de Guénolé sur le plateau de Ce soir (ou jamais !), à Marianne ; et les flemmards se satisfont de ce massacre sans prendre la peine de la lire, répétant à tout va qu’elle est antisémite, sexiste, homophobe et raciste anti-Blancs…

Je ne rentrerai pas dans le petit jeu malsain des extraits qu’on interprète. Une première mise au point s’impose : il n’y a pas d’arroseur arrosé avec le racisme. Le racisme est un ensemble de pratiques et de croyances qui font «système» : elles permettent à un groupe d’en exploiter un autre en profondeur, et si possible le plus longtemps possible, tout en prônant «l’égalité» sur son territoire.

Or, Houria Bouteldja et les populations non blanches en France, si agressives que puissent être leurs attaques contre l’ordre blanc, ne seront jamais en mesure de dominer, ségréguer la «race» blanche (pour une explication rapide et super LOL, voir cette vidéo sur YouTube (1)).

Antisioniste, Houria Bouteldja l’est sans ambiguïté. Et, c’est à travers cet engagement qu’elle déconstruit la question de l’antisémitisme. Elle la développe par une argumentation stimulante et enfin déprise d’européocentrisme. Elle interroge l’extermination des Juifs d’Europe et son instrumentalisation par le projet sioniste depuis le monde colonisé. Car la violence rationalisée et industrialisée envers une catégorie de population, c’est bien une invention du colonialisme européen. Et, oui, il y a, en France, un monde colonisé, dont les Juifs ont été historiquement (et encore aujourd’hui sous des formes renouvelées) les victimes. Et ce livre est bien une tentative de réconciliation et d’organisation d’une lutte politique commune.

Houria Bouteldja ouvre son livre en expliquant qu’elle utilise les termes de «Blancs» et «blanchité» comme désignation d’un groupe social et évidemment pas d’un point de vue biologique. Pourtant, à gauche, on accuse le livre de racialiser la question sociale. Il faut probablement être du bon côté du voile, celui que décrit W.E.B Du Bois dans la société étasunienne d’après l’esclavage, pour se payer le luxe de minimiser les effets de race.

Le seul voile qui pose problème aujourd’hui, c’est ce rideau entre la business class et la classe économique de l’avion, qui permet à ceux qui payent plus cher leur place de croire qu’ils ne sont que vingt dans de grands fauteuils alors que le vol transporte 210 passagers, entassés à l’arrière.

Et oui, il y a bien un voile à arracher, et ce n’est pas celui des femmes musulmanes… Il est temps pour nous tous de regarder en face l’inégalité inhérente, irréductible, des passagers de cet avion, afin que les «bien installés» – certes moins bien qu’en première classe – affrontent le réel de ceux qui sont parqués derrière. La dignité de tous passe par là et plus que jamais, quitte à ce que ça vous brûle un peu les yeux, lisez Bouteldja (2) !

 

Océanerosemarie , Auteure et comédienne

 

(1) https://www.youtube.com/watch?v=dw_mRaIHb-M.
(2) Revoir à ce sujet l’explication détaillée de Nacira Guénif à la Java, à Paris, le 28 mars.

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