Leur texte commence par un constat aussi brutal que lucide : « Discriminés à l’embauche, au logement, à la santé, à l’école et aux loisirs, les personnes issues des colonies, anciennes ou actuelles, et de l’immigration postcoloniale sont les premières victimes de l’exclusion sociale et de la précarisation. »
Dans les semaines qui suivent, c’est d’abord le silence (gêné ?) qui prévaut. Le Monde est le premier à dégainer, le 22 février : associant en une les délires antisémites de Dieudonné et les « indigènes de la République », il explique subtilement en page intérieure que « Dieudonné n’est pas signataire de ce texte, mais… ». Quatre jours plus tard, c’est au tour de Marianne, où François Darras (pseudo-de Jean-François Kahn), lui, déclenche l’artillerie lourde : il dénonce un « texte inouï, parfois dément », qui marquerait « l’émergence et l’affirmation, grâce au soutien médiatique que l’on sait, d’une gauche réac, antirépublicaine, cléricale, antilaïque, communautariste et ethniciste ».
En guise de « soutien médiatique », on a vu depuis fleurir dans les autres hebdomadaires moult articles et enquêtes contorsionnés, dont l’argumentation est en substance (et au mieux) la suivante : les discriminations raciales sont « bien réelles », mais, bon, faut pas en faire un plat, et ce texte n’est rien d’autre qu’un appel au « communautarisme », sûrement sous-tendu d’antisionisme, voire d’antisémitisme.
Bref, circulez, y a rien à voir… Et pourtant, fait extraordinaire, dans le même temps, nos médias « politiquement corrects » ont consacré pour la première fois des pages entières aux massacres du Constantinois en mai-juin 1945, tragédie occultée de l’histoire coloniale et fort justement mise en avant par l’Appel des indigènes. C’est que, au-delà de certaines formules maladroites, ce texte a mis le doigt sur une réalité qu’il devient de plus en plus difficile de nier : la persistance massive des discriminations racistes à l’encontre des Français et étrangers « colorés » s’explique assez largement par la « fracture coloniale ». L’histoire de la République est en effet indissociable d’un déni de l’Autre « indigène », qui justifia les pires horreurs et parfaitement contradictoire avec ses valeurs fondatrices. Un déni jamais reconnu depuis les indépendances, et qui perdure donc aujourd’hui, avec l’encouragement de prétendus « défenseurs de la République », qui en seraient plutôt les fossoyeurs…
Merci donc aux « indigènes » : ils ont ouvert un chemin, certes semé d’embûches, qu’il faut maintenant arpenter avec détermination pour construire une histoire de la République n’ignorant plus ses « pages noires », afin que tous ceux qui l’habitent aujourd’hui puissent partager un récit réconcilié, où les « indigènes » et leurs descendants auront enfin toute leur place.
François Gèze, éditions La découverte, signataire de l’Appel des indigènes.
16 juin 2005