En effet, on imagine mal comment les autorités d’un pays qui a apporté son soutien aux génocidaires et qui a laissé faire cette gigantesque boucherie pourrait se prévaloir de l’autorité morale lui permettant d’organiser ce procès qui, par définition, devrait l’absoudre.
Dans cette configuration, tout porte à croire que la France compte se débarrasser d’un des acteurs principaux de ce drame ; mais aussi d’un témoin à charge contre elle. Cet officier rwandais, en l’occurrence, risque bien de faire passer aux oubliettes la criminelle passivité des militaires français qui ont assisté au massacre l’arme à la bretelle. Mais pour le gouvernement, l’objectif est double. Il s’agirait non seulement d’innocenter la république française de son implication dans ce génocide, mais aussi de redorer son blason au moment où ses troupes interviennent une fois de plus en Afrique, au prétexte bien connu de « la guerre juste ». Le symbole de ce procès permettrait ainsi de couper court à toute critique sur son action. Car, bien entendu, ces interventions en Afrique (une cinquantaine depuis les années 60) sont faites dans le seul et unique intérêt des peuples africains et non dans celui d’Areva ou de Total, comme les esprits tordus pourraient le supposer.
A bien y regarder, la manœuvre est en fait d’une grossièreté déconcertante. Elle se résume en une simple assertion: « La France fait le procès d’un criminel de guerre, donc elle ne peut pas elle-même être coupable ». Assertion que nous pouvons aisément retourner en une vérité : « La France fait le procès d’un criminel de guerre, précisément pour cacher le fait qu’elle-même est coupable ».
Mais de quel droit ce pays qui, dans un bel et émouvant unanimisme (de la gauche à l’extrême droite), refuse obstinément de reconnaître ses crimes coloniaux – de quel droit le pays qui lui-même s’est rendu coupable de multiples crimes contre l’humanité ou génocides avec la Traite atlantique, en Algérie ( 2 millions de morts dans les années de la conquête au XIXe siècle puis 1 million à partir de 1954 ), à Madagascar ( seulement en 1947, 80 000 morts), au Vietnam ( 1 million de morts vietnamiens pendant ladite guerre d’Indochine de 1945 à 1954), au Cameroun ( 400 000 morts Bamiléké et Bassa entre les années 50 et les années 70), etc. – de quel droit cette même France, aujourd’hui complice de la colonisation sioniste et qui rend hommage au bourreau du peuple palestinien, Ariel Sharon, qui au Liban a soutenu les milices libanaises d’extrême droite dans les années 70/80, qui a organisé de multiples assassinats de militants et exactions massives dans ses colonies ou en Afrique post indépendances et qui aujourd’hui ferme les yeux une fois de plus sur le calvaire du peuple congolais ( plusieurs millions de morts depuis le début des années 90) dans lequel elle et ses multinationales sont mouillées jusqu’au perron de l’Elysée, prétend-elle faire le procès d’un criminel rwandais qu’elle a élevé en son sein ?
La France fait le procès d’un génocidaire Rwandais, mais quand fera-t-on enfin le procès de l’impérialisme français et de ses crimes contre l’humanité ?
Que Hollande et ses sbires de droite se rassurent, car de ce point de vue, et en dépit de tous les autres contentieux internes, la France éternelle sait faire front. Du P.S au Front national, en passant par certains groupuscules fascistoïdes, à peine la pureté morale et droit-de-l’hommiste du drapeau français est-elle menacée que s’organise spontanément l’Union sacrée contre l’anti-France. Pour tous ceux qui se proclament fils de la France éternelle, le credo est simple : ni reconnaissance des crimes coloniaux, ni procès, ni réparations. La France de Pétain et Guy Mollet, fille aînée de l’Eglise autant que de la gégène, tout à coup rassemblée – la France que l’on a voulu faire aimer à nos parents à coups de crosse dans le ventre et de rafales de mitrailleuses – se dresse et répond présent quand il s’agit à nouveau de hisser le drapeau sur son empire.
Youssef Boussoumah, Membre du PIR