Seulement voilà cette œuvre porte un nom, un nom qui ne figure nulle part dans cette loi, elle s’appelle « la colonisation ». Et, puisque nous en sommes aux noms, cette loi veut que nous rendions hommage « aux victimes civiles et militaires des événements liés au processus d’indépendance » : des événements lors d’un processus qui fait des victimes cela porte également un nom, cela s’appelle tout simplement « la guerre ».
Cette loi du 23 février 2005 s’adresse donc aussi aux anciens peuples colonisés, à ceux qui le sont toujours, aux post-colonisés, aux immigrations coloniales et post coloniales et à ceux qui en sont issus. Elle s’adresse à nous qui sommes encore des indigènes dans cette République, et elle ne nous dit pas autre chose que : VOUS DEVEZ REMERCIER LA FRANCE DE VOUS AVOIR COLONISES. Cette loi n’est pas une loi sur l’histoire ou la mémoire, comme il pu y en avoir d’autres : L’extermination des juifs d’Europe a bel et bien eu lieu, le génocide des Arméniens a bel et bien eu lieu, la traite et l’esclavage ont bel et bien eu lieu et ce furent bel et bien des abominations et ces abominations peuvent adéquatement être qualifiées de crimes. Notre problème n’est pas de savoir si les lois qui s’y réfèrent constituent ou non un abus du législateur, même si nous tendons à penser que l’état n’a pas à légiférer sur l’histoire. Notre problème est en revanche de savoir de quelle manière et sous quelle forme est transmise l’histoire que nous avons reçue en partage.
La loi du 23 février 2005 ne vise pas à interdire la négation de ce qui est acquis, elle n’est pas un rappel à la mémoire. La loi du 23 février 2005, en qualifiant « d’œuvre » la colonisation, en appelant « processus » ce qui furent des guerres, cette loi ne fait pas autre chose que réécrire l’histoire. Elle prétend nous imposer une mémoire qui est en désaccord tant avec la vérité historique qu’avec nos mémoires individuelles, familiales. C’est pourquoi nous sommes contre cette loi : non pas contre tel ou tel article, mais contre une loi toute entière qui dans son article 1 ne dit rien d’autre que : « la colonisation fut une bonne chose et vous devez en être reconnaissants ».
Comment nous, descendants d’esclaves et de déportés africains, filles et fils de colonisés et d’immigrés, français et non français, « Indigènes de la République » pourrions nous accepter cela ?
Cette loi n’est rien d’autre qu’une entreprise idéologique visant à remettre les indigènes à leur place. Ses dispositions relatives à l’indemnisation et à la dignité des harkis n’avaient pas besoin de s’exprimer à travers cette idéologie coloniale. Dans son intégralité, la loi du 23 février 2005 s’inscrit dans la continuité d’autres lois qui construisent et perpétuent l’indigénat. Demander son abrogation, comme nous le faisons, c’est demander aussi :
– l’abrogation de la loi anti-foulard du 15 mars 2004 excluant les élèves « voilées »
– l’abrogation de la double peine (prison plus expulsion)
– l’abrogation des lois Pasqua-Debré-Chevènement qui précarisent et criminalisent les « sans papiers »
– l’abrogation des lois Mehaignerie-Guigou qui restreignent le droit du sol
– l’abrogation de la condition de nationalité qui interdit 30% des emplois aux « non-européens »
– l’abrogation de la condition de nationalité qui exclut les étrangers de toute participation aux élections.
Fait à Paris le 20 février 2006 Le Mouvement des Indigènes de la République
Le Mouvement des Indigènes de la République, appelle tous-tes les militant-e-s engagé-e-s dans les luttes anticoloniales et contre l’oppression et les discriminations produites par la République post-colonialeà se rassembler