Mise en cause dans un article de Mouloud Akkouche, paru dans Rue 89, et accusée de racisme anti-blancs et d'antisémitisme, Houria Bouteldja répond

Mouloud Akkouche, tirailleur de la pensée souchienne

Une plainte déposée contre moi par l’Agrif (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne), aile juridique des mouvements dits « identitaires », fait état d’une injure à l’encontre des « Français de souche ».

Il faut croire que cette offensive n’est pas l’œuvre exclusive de sombres groupuscules fascisants puisqu’un article de Mouloud Akkouche, paru sur Rue89, « Les “Souchiens” de Bouteldja : le racisme anti-Blancs existe », en déploie les tenants.

J’y suis en premier lieu accusée d’antisémitisme, passage obligé pour mettre en cause toute forme de soutien à la Palestine sous occupation. M. Akkouche se permet donc de prétendre que je peine à « voiler (mon) apologie de l’antisémitisme derrière un antisionisme de façade ».

Ces allégations sont extrêmement graves, d’autant qu’elles ne s’appuient sur rien dans mes propos au cours de l’émission « Ce soir (ou jamais ! ) » qui lui sert d’illustration.

La suite de l’article s’emploie à mettre en garde les signataires qui m’ont soutenue par voie pétitionnaire : en croyant faire barrage à l’extrême droite, ces derniers seraient victimes d’une grave manipulation.

A en croire M. Akkouche, « n’en déplaise aux pétitionnaires, le “Souchien” de Houria Bouteldja est l’équivalent du “bruit et l’odeur” (Chirac), de “Durafour crématoire” (Le Pen), du “point de détail de l’Histoire” (Le Pen)… et de tous les “sales Bougnoules ou Nègres”. »

Cette intervention est très inquiétante. Tout en disqualifiant l’Agrif, elle vient souscrire à son argument principal : il y aurait un « racisme anti-Blancs », l’expression « Souchien » serait à comprendre comme un jeu de mot autour de « sous-chien » et il s’agirait là d’une insulte raciste à l’encontre des « Français de souche ».

Il s’agissait simplement pour moi de répondre à l’idée que les hommes des quartiers populaires auraient un penchant plus prononcé pour le sexisme que les hommes identifiés comme Blancs dans le reste de la société.

Mon propos était donc le suivant : plutôt que de civiliser les Arabes et les Noirs, qui ne sont ni plus, ni moins, sexistes que tous les hommes de la société française, il faut éduquer les « Souchiens » à l’histoire de la colonisation, de l’esclavage, peu ou mal enseignée.

Il nous faut, par ailleurs, rappeler ici que le terme de « Français de souche » a longtemps été une expression consacrée de l’extrême droite avant de se voir légitimer et mieux diffuser par de massifs relais médiatiques, intellectuels et scientifiques (par l’Institut national d’études démographique, en premier lieu).

Elle va de pair avec toutes les appellations d’origine contrôlées qui marquent au fer rouge les « issu(e)s de », les « minorités visibles », les deuxièmes ou troisièmes « générations », les éternels « jeunes » des « quartiers » ou des « banlieues », la « racaille », la « bande ethnique » et autres membres de la « diversité ».

Face à cette myriade de désignations et de stigmatisations, à quel titre condamner le fait que celles et ceux qui ont tant été démarqué(e)s donnent une expression à toute l’étendue de la discrimination – en désignant l’oppresseur ou s’en moquant (le « Souchien » ) ?

Et puis, comme je le disais dans l’émission dont ont été tirés mes propos, « il faut bien leur donner un nom », à ceux qui bénéficient de la discrimination. Car ne pas être discriminé à l’embauche comme à l’avancement, au logement comme dans l’accès aux instances politiques ou médiatiques, face à la police comme face à la justice, c’est jouir d’un statut qui, lui, n’a aucun label, et dont les bénéficiaires ne souffrent d’aucune désignation.

S’entendre appeler « sale Française » – comme l’évoque M. Akkouche à propos de « la fille d’une amie » – constitue sans doute une vexation passagère, mais ce n’est pas se voir retirer le privilège dont on bénéficie à tous les niveaux.

Et c’est sans commune mesure avec l’injustice permanente dont sont victimes au quotidien tous ceux et celles qu’on ne juge pas « de souche ».

Considérer qu’oppresseurs et opprimé(e)s se valent, et qu’il y aurait un « racisme anti-Blancs », relève donc du non-sens. Désigner l’oppresseur (« Souchien ») et attendre de lui, comme je le disais ce soir-là sur le plateau de « Ce soir (ou jamais ! ) », qu’il ait conscience de l’étendue de ses privilèges, et des résistances menées contre l’entreprise coloniale, qu’il entende parler de de Lumumba, d’Abdelkrim el Khattabi ou encore de Jamila Bouhired, c’est bel et bien une tâche démocratique élémentaire, et on ne voit pas bien en quoi les « valeurs de la démocratie » seraient mises en péril par ma personne, comme M. Akkouche s’en inquiète tant.

Toute l’opération de l’extrême droite, qui s’épuisera sans doute en poursuites judiciaires, vise à donner une audience et à trouver des relais à l’idée selon laquelle les mouvements antiracistes conséquents seraient à mettre sur le même plan que les expressions du racisme. L’article de M. Akkouche est une preuve éloquente du succès de cette entreprise.

Presque au même moment, Le Courrier de l’Atlas consacrait un dossier aux « dérives de l’antiracisme » – où l’idée que les Noir(e)s et les Arabes de ce pays subissent un traitement colonial est qualifié de « mythe », et où le sociologue et politologue Vincent Geisser se voit qualifié de « porte-parole officieux des islamistes ».

Si l’on voulait s’amuser à imaginer des complots, on pourrait croire à un tir de barrage. Malheureusement, il ne s’agit que d’une convergence dans l’offensive autour du « racisme anti-Blancs ». Dans ce contexte, l’invocation d’un « racisme anti-Blancs » est à prendre très au sérieux : elle vise à mettre en œuvre un virage dans la lutte contre les discriminations. Elle met en péril, de ce point de vue, tout objectif égalitaire.

Pour juger les actes et les formes indirectes du racisme, il faut une certaine idée de qui en est victime et de quels torts sont à compenser, ou à réparer. Quel sens cela aurait de revendiquer la parité si on se met à parler d’un « sexisme anti-hommes » ?

L’objectif de l’offensive est donc que les associations antiracistes les plus consensuelles s’alignent sur cet agenda, comme on a pu voir des soi-disant féministes prendre la défense de Dominique Strauss-Kahn dans l’affaire qui le mettait en cause pour viol. Et il faut croire que ce moment se rapproche.

SOS Racisme semblait s’accorder à inscrire à son agenda la lutte contre la « propagation » du « corporatisme racial », par la voix de son président à l’occasion d’une récente interview où il était interrogé sur la plainte déposée par l’Agrif contre moi.

Dominique Sopo souscrit à l’argument du racisme anti-Blancs, mais en se refusant, pour l’heure, à en reprendre le terme. Les choses allant bon train, cela ne devrait plus tarder. Après « Touche pas à mon pote », à quand « Touche pas au pote de mon pote » ?

Houria Bouteldja

Source : http://www.rue89.com/2011/10/08/racisme-anti-blancs-mise-en-cause-houria-bouteldja-repond-225363

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