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Lettre ouverte à un souchien

Johann, consciemment ou non, vous succombez à un récit mythique. Sinon comment comprendre que lorsque H.B, dans une émission de télé chez Tadéi fustigeant à juste titre le sentiment de supériorité évident prévalant en Occident à l’encontre des peuples du sud et de l’immigration post coloniale, comme conséquence d’une longue domination politique, sociale et culturelle, lance son fameux : « Il faut rééduquer les français », vous ayez réagi, offusqué, en portant le flambeau d’une chrétienté offensée que personne pour autant que je sache n’a jamais fustigé ? De la part d’H.B., il s’agit d’une réplique naturelle à tous ces discours essentialisant les indigènes de la république que nous sommes. Discours glosant à l’infini sur d’hypothétiques territoires perdus de la république dont les populations mi hommes-mi animaux seraient à rééduquer dans le sens des valeurs de la modernité et de la laïcité.

Quand vous écrivez que le christianisme s’est répandu durant les premiers siècles « sans guerre de conquête », « par la seule force du logos, par le verbe et non pas par le sabre, et ce jusqu’en Irlande avec saint Patrick, en passant bien sûr par le Maghreb », il semble bien que vous ayez alors une approche idéologique de l’histoire et ce pour trois raisons.

La 1ere, en singularisant à l’excès l’histoire du christianisme. Comme si « cette force du logos » était inédite, exceptionnelle, et inconnue ailleurs qu’en occident. La seconde , dans une vision dichotomique, en laissant supposer qu’à l’inverse, l’Islam, lui, se serait développé par et uniquement par la violence. La troisième enfin en faisant du christianisme l’étendard de l’Occident dont il serait porteur des valeurs politiques supposées : le pacifisme, la raison, le progrès.

1)Tout d’abord au delà du message spirituel auquel chacun est libre d’adhérer, ou pas, il est intéressant d’observer les dynamiques sociales que chevauchent les religions. Celles ci sont le moteur de celles là. Toutes celles qui se proclament universalistes, par définition professent la paix, la concorde et la fraternité. Le mode de diffusion n’étant en fait que le reflet des rapports de force en présence, « les conditions objectives » et non l’expression d’un quelconque génie intrinsèque. Pacifique pour les unes ou guerrier pour les autres comme vous semblez le laisser entendre. Toutes forcément se sont développées dans leur 1er élan par, et seulement par, la force du logos. Et si vous voulez insinuer que ce ne fut pas le cas pour l’Islam c’est que vous n’y entendez rien. Ce qui manque au christianisme des premiers jours ( je ne dis pas au Christ car on ne connait rien de lui ), c’est une base sociale solide (d’où son échec initial relatif). Ce qui fera son succès ultérieur, c’est qu’il la trouve dans une caste en quête ardente d’un projet libérateur, celle des esclaves. Comment ne pas épouser cette cause, le christianisme, qui non seulement propose un statut d’égalité ici et maintenant mais aussi une assurance-vie pour l’âme. « La promesse d’un bonheur plus grand dans ce monde et un au-delà heureux. »  » L’espérance d’un changement concret de leurs conditions de vie concrètes » aurait dit Lénine. Les esclaves pour de multiples raisons étant difficilement mobilisables par les armes ( échecs répétés des grandes révoltes dont celle de l’esclave Spartacus est la mieux connue), la non violence, c’est à dire surtout l’impossibilité d‘assurer son auto défense, s’imposera d’ elle-même. Gandhi a très bien résumé la chose : la non violence n’est pas un choix. Ensuite cette religion nous le savons, évolue, intéresse d’autres couches sociales mais surtout dés lors qu’elle peut disposer d’un rapport de force favorable pour s’imposer provoque troubles, émeutes et guerres civiles et quand elle se hisse au pouvoir à tendance comme d’autres à en abuser. Maintenant sachez le, un saint Patrick ( pour lequel j’ai une certaine affection car il aurait chassé tous les serpents de ce beau pays d’Irlande ) arpentant la lande, trouve largement son équivalent chez de multiples prédicateurs musulmans qui diffusèrent dans toute l’Asie mais aussi l’Afrique sub saharienne, le message du prophète Mohammed « par la seule force du Logos »… et du commerce. Mais aussi trouve ses préfigurations chez de nombreux zoroastriens ou bouddhistes, des siècles avant le christianisme à travers tout le continent asiatique du Tigre au Fleuve jaune, en passant par l’Indus. Quant aux martyrs de la foi comme vous dites, sachez que ce qui est valable pour le christianisme l’est également pour l’Islam et toutes les autres croyances. ( En Arabie les 1ers musulmans « pacifiques », furent impitoyablement réprimés et en Chine 100 000 musulmans de la 1ere communauté, installée à Canton et constituée de marchands sera entièrement massacrée aux alentours du VIII eme siècle). Si l’histoire universelle faite par le monde blanc, n’a retenu et même adopté que la geste chrétienne, ce n’est là que l’expression de l’occidentalisation du monde jusque dans le calendrier. Votre propos, je vous le dis sans animosité, est empli d’un eurocentrisme problématique, de sous entendus difficilement acceptables, dont le fondement est l’absence de relativisme et une certaine ignorance. En ce qui concerne le développement des religions, tout ne fut qu’affaire de hasard et de nécessité, de circonstances et de moyens.

Vous semblez ignorer que si l’Eglise en Afrique du nord s’est effectivement constituée d’abord de façon contestataire et donc « non violente » par lente diffusion, non pas pendant 5 siècles comme vous l’écrivez mais seulement 2 siècles, entre 180 début des 1eres communautés chrétiennes attestées et 392 quand le christianisme devient religion d’Etat dans l’empire et donc dans la province romaine d’Afrique, celle ci s’est ensuite imposée par la force des légions romaines et ce non seulement à l’encontre des païens mais aussi contre les hérétiques divers et variés. Ainsi le donatisme « hérésie » indigène socio- religieuse très véhémente et qui prospère dans le Maghreb des IV et Veme siècle ( né d’une querelle interne au christianisme, il intéressera particulièrement les travailleurs agricoles) a lui-même été farouchement combattu puis persécuté par l’Eglise chrétienne avant même que le christianisme ne soit adopté comme religion d’Etat par l’Empire. D’ailleurs l’Eglise du Maghreb trouva dans sa tâche de répression des hérétiques, un allié et soutien de poids auprès de l’empereur Constantin puis de St Augustin, eux-mêmes, dés le IV eme siècle. Mais tout cela ne veut rien dire. Ce qui est significatif dans le développement d’une religion, ce n’est pas sa naissance où balbutiante et fragile, elle constitue encore une opposition diffuse, déclarée ou pas, offrant forcément un visage doux et attractif aux couches sociales défavorisées (esclaves, tribus pauvres, paysans sans terre ), élites urbaines déclassées ou intellectuels , parce qu’alors, compte tenu du rapport de force, elle est toujours pacifique. Non voyez-vous, le degré de tolérance d’une religion ne peut s’estimer qu’à partir du moment où établie en tant que pilier du pouvoir politique, elle dispose de toute la force publique. Et de ce point de vue nulle religion pas même le bouddhisme pourtant quotidiennement encensé n’est à l’abri d’un passage au statut de persécuteur. Ainsi l’Islam officiel fut selon les périodes soit répressif, surtout à l’encontre de ceux qui allaient devenir les Chiites et autres Kharidjites soit tolérant. Cependant il est un fait établi que le christianisme dés lors que les Etats européens s’en emparent devient singulièrement intolérant et répressif à l’encontre de l’altérité religieuse qui à l’époque est une autre façon de dire, race. Sans vouloir entrer dans une comptabilité macabre, je pourrais bien sûr évoquer en France la destruction des communautés juives, cathares, vaudoises, ou protestantes plus tard mais aussi moins bien connues, la destruction des communautés musulmanes du Languedoc et Provence installées au IX eme siècle. Mais emblématique de cette intransigeance, l’épuration ethnique subie au XVII ieme siècle par 500 000 Morisques([Morisques, de l’espagnol moriscos, est le nom donné aux musulmans d’Espagne après la Reconquista lorsqu’ils furent forcés de se convertir au christianisme.)] victimes de l’Eglise espagnole très catholique apostolique et romaine ne peut être passée sous silence. Morisques dont les ancêtres avaient dû dés 1492 affronter les bûchers de la sainte Inquisition et qui bien que convertis de force au christianisme furent néanmoins déportés vers le Maghreb (avec, au moins, 75 % de « pertes » selon le décret du 22 septembre 1609, pris par le roi Philippe III nous apprend Rodrigo de Sayas dans son ouvrage phare « Un racisme d’Etat ». Sans parler bien sûr ni des conversions forcées des Amérindiens, encore moins de celles réalisées en Afrique sub saharienne ou du rôle joué par l’Eglise dans l’esclavage et la colonisation.

2)Au final puisque vous recherchez la comparaison et même si nous convenons que toutes les religions ont un droit égal à la considération et ont été également répressives, il n’en demeure pas moins que le monde musulman en dépit de toutes les vicissitudes de son histoire et de certains épisodes répressifs (y compris l’existence d’un esclavage très important bien que pas d’essence raciste, c’est à dire visant une catégorie ou une ethnie précise) aura été plutôt tolérant en matière religieuse. Ainsi aura t-il permis la préservation des communautés religieuses juives et chrétiennes mais y compris zoroastriennes ou bouddhistes présentes à son arrivée. A telle enseigne que l’on peut faire cet étrange constat : les minorités et courants de ce christianisme que vous prétendez défendre, l’Eglise d’Occident, les a elle même éradiqués alors qu’ils ont pu se maintenir dans cet Orient musulman tellement décrié. Des villes comme Damas, Alep, Beyrouth, Amman, Téhéran, Ispahan et Bagdad avant l’invasion du barbare Bush connaissent aujourd’hui encore plus de 21 communautés religieuses et ethniques principales . Tous les courants du christianisme y sont présents dont certains, monophysites comme les jacobites ou diophysites, comme les nestoriens sont j’en suis sûr parfaitement inconnus des souchiens moyens. Mais aussi des cas de syncrétisme impensables en Europe sont courants en Syrie, Liban, Palestine, Jordanie et Irak où des pratiques cultuelles se mêlent et s’échangent. Il aura fallu malheureusement les bouleversements initiés par l’impérialisme européen et la colonisation depuis la conquête de l’Algérie en 1830, le partage de la région au lendemain des accords Sykes-Picot (1916), en passant par la création de l’Etat d’Israël en 1948 et jusqu’à l’actuelle occupation américaine de l’Irak pour que ce modèle soit quel que peu mis à mal. Cette diversité aujourd’hui encore servant de levier à l’Occident pour balkaniser l’Orient sur des bases de division. Le cas de l’Arabie dite saoudienne étant un contre exemple pour de multiples raisons.

3)Bien entendu le monde musulman n’a rien de monolithique et doit lui aussi gérer des problèmes colossaux que les interventions impérialistes viennent compliquer. Cependant cette tentative d’annexion du christianisme à l’occident politique est bien révélatrice du fait que cette religion elle-même a besoin d’être libérée, décolonisée afin de cesser d’être depuis 1000 ans, les croisades, le faire valoir de la guerre que les pays du nord mènent contre les pays du sud. (Un responsable du Vatican vient il y a 3 jours de lancer un nouveau cri d’alarme contre le danger identitaire que constitue l’Islam pour l’Europe. ) Cela a également quelque chose de risible quand on sait que certaines tribus arabes avaient déjà adhéré à la religion des chrétiens que ma mère nomme en arabe les Nazaréens, alors que les Européens poussaient encore des cris au fond des forêts, pendant que leurs druides rendaient un culte à la divinité sanglier. Exemple significatif de la grande confusion qui vous anime, s’agissant de ces notions d’orient et occident (lire absolument « l’orientalisme » d’Edward Saïd), n’êtes vous pas l’auteur de cette perle rare : « le christianisme est évidemment oriental mais il est surtout Juif »…Interdit de ricaner car bien entendu tout le monde sait que le judaïsme n’a rien à voir avec l’Orient depuis que l’Occident après avoir détruit sa branche européenne se l’ait annexé. Oui, il faudra que la société occidentale se rééduque et opère une transformation en elle-même mais surtout apprenne. Une relecture de son histoire et de celle du monde par la même occasion, s’impose. Une histoire qui bégaie depuis au moins 1492. Il faudra qu’elle aille à la rencontre désintéressée des sociétés du sud et qu’elle désapprenne à régenter le monde. C’est vrai, il faudra dans le même temps que les sociétés du sud, de leur côté « apprennent à tourner autour de leur soleil réel. » Plutôt que de loucher sans cesse vers le monde blanc.

Gouns

P.S. Dois-je vous féliciter pour « ce petit métis qu’attend votre femme » ?

« Sous le joug de l’Occident »

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