Les mandats d’arrêt lancés par la Cour Pénale Internationale face à la situation en Palestine constituent une étape importante. Mais ils ne sont guère à l’honneur du procureur Karim Khan.
Il est tout à fait clair que Khan est resté assis sur ce dossier pendant des années, espérant qu’il disparaîtrait tout simplement. Deux éléments lui ont forcé la main.
Tout d’abord, les mandats d’arrêt lancés en 2023 contre de hauts responsables russes, alors qu’il s’était engagé à ne poursuivre que les affaires transmises à son bureau par le Conseil de sécurité des Nations unies et à ignorer les autres – en particulier les enquêtes concernant l’Afghanistan et la Palestine auxquelles s’opposaient les États-Unis et le Royaume-Uni.
Après être revenu sur son engagement, l’hypocrisie associée au fait de continuer à ignorer l’enquête sur la Palestine ouverte en 2021 est devenue tout simplement trop écrasante, en particulier lorsque l’attaque génocidaire d’Israël contre les Palestiniens de la bande de Gaza s’est intensifiée en 2024.
Deuxièmement, le tollé mondial contre son inertie est devenu trop fort pour être ignoré. Même si Khan aurait préféré suivre les préférences politiques des États-Unis, du Royaume-Uni et d’Israël, les principaux sponsors de sa campagne pour le poste de procureur de la CPI, son inaction est devenue intenable.
Selon Khan, son bureau enquête sur la situation en Palestine depuis le début de 2021 et examine toutes les violations du Statut de Rome depuis 2014. Pourtant, dans son cas également, l’histoire semble avoir commencé le 7 octobre 2023.
Ses demandes ignorent totalement les questions sans rapport avec la situation actuelle dans la bande de Gaza. Rien sur le crime contre l’humanité qu’est l’apartheid, rien sur le crime de guerre que constitue la colonisation illégale, rien sur les précédents assauts d’Israël contre la bande de Gaza, ni sur les attaques systématiques de snipers contre les manifestants lors de la Grande Marche du retour de 2018.
En homme politique prudent et attentif à ceux qui l’ont fait élire, il a mis en accusation trois dirigeants du Hamas mais seulement deux responsables israéliens, ce qui soulève de nombreuses questions. Pourquoi a-t-il demandé un mandat d’arrêt contre le chef du Hamas, qui, selon les informations disponibles, n’était pas impliqué dans la planification ou l’exécution de l’opération du 7 octobre 2023, mais pas contre le président israélien Isaac Herzog, qui a explicitement identifié les civils palestiniens comme des cibles militaires légitimes ?
Pourquoi Khan a-t-il refusé de demander des mandats d’arrêt contre le chef de l’état-major général de l’armée israélienne, ou l’un des hauts commandants militaires israéliens directement responsables de la perpétration des crimes qu’il a énumérés, ou d’autres membres du cabinet de guerre israélien qui partagent l’entière responsabilité de ses décisions ?
Pourquoi a-t-il ignoré ostensiblement le crime de génocide, qui est explicitement identifié dans le Statut de Rome ? Il se peut que la Cour internationale de justice (CIJ) examine également la responsabilité d’Israël en matière de génocide, mais contrairement à la CIJ, la CPI ne traite pas de la responsabilité pénale individuelle.
Il semble incontestable que Khan fait une fois de plus de la politique. Son problème est que ses efforts pour s’attirer les faveurs de Washington ne lui rapporteront rien et qu’il est déjà attaqué par l’ensemble du spectre politique américain pour avoir violé le sacro-saint principe de l’impunité israélienne. Washington ne reculera devant rien pour s’assurer que seuls Khan et le Hamas aient à répondre de leurs actes.
Les tentatives américaines d’interférer avec les procédures de la CPI constituent elles-mêmes des crimes au regard du Statut de Rome. Khan cherchera-t-il à demander des comptes aux fous furieux qui ont pris possession de l’asile d’aliénés de Washington, ou détournera-t-il le regard dans l’espoir d’obtenir l’absolution ?
En dépit des faiblesses de la conduite de Khan, il s’agit d’un événement extrêmement important. Avec la plainte pour génocide et les arrêts de la Cour Internationale de Justice, il est désormais impossible pour Israël de maintenir son état d’exception. Il est de plus en plus jugé, tant sur le plan juridique que politique, sur la base de son comportement réel, et non plus à travers le prisme sordide de l’histoire européenne du vingtième siècle. Pour Israël, il s’agit d’une défaite aux proportions stratégiques.
Mouin Rabbani
Article original publié en anglais sur le site de l’Inter Press Service