bigoterie républicaine

L’éducation civique au péril des symboles identitaires

Bernard Girard, enseignant blogueur, a épluché le rapport du Haut conseil à l’intégration (HCI) sur les symboles de la République et lit ses conclusions à la lumière de l’enseignement de l’éducation civique en France.

Le rapport que le Haut conseil à l’intégration vient de remettre à Eric Besson non seulement ne dit rien de nouveau sur le sujet mais décline en réalité, comme à chaque fois qu’il est question d’identité nationale, toute une série de lieux communs, de fausses évidences qui débouchent sur des réponses aussi futiles que simplistes.

Paradoxe : alors que l’objet du rapport est de « faire connaître les valeurs de la république », les valeurs en question se trouvent réduites à la portion congrue pour laisser une place démesurée aux symboles de la république et à la dévotion qu’il faudrait leur témoigner. Après tout, si les sifflets du Stade de France contre la Marseillaise rendent malades les auteurs du rapport, ce n’est pas une raison pour considérer que la société serait, elle, malade ; encore moins l’Ecole, accusée comme de coutume de tous les maux et sommée de se plier à ces fantasmes identitaires.

Bien sûr, le rapport ne peut nier que l’éducation civique soit présente dans les programmes scolaires ni même que les symboles nationaux y aient une place, mais cet apprentissage des valeurs et symboles de la république ne suffisent pas, pèchent par défaut d’« intériorisation », d’« imprégnation », d’« ostentation ».

Faut-il donc se mettre à genoux avant d’entonner la Marseillaise ? C’est ce que semble suggérer le rapport qui, déplorant l’absence de la « signalétique républicaine » dans les établissements, recommande chaudement « de mobiliser les efforts des autorités compétentes afin d’améliorer la visibilité des symboles républicains » en plantant un drapeau tricolore et un buste de Marianne dans chaque école. Nul doute que la République en sera transfigurée…

Comme on pouvait s’y attendre, le HCI saisit l’occasion pour dénigrer un peu plus les pratiques actuelles et le travail des enseignants. On lit :

« Il est regrettable de constater que la pédagogie civique scolaire fasse parfois passer l’apprentissage de la citoyenneté politique (droit de vote etc) avant l’exposé historique et philosophique des valeurs et symboles. »

Et de déplorer que :

« Les instructions pédagogiques invitent les maîtres à partir des expériences vécues des élèves et (évitent) au maximum les exposés théoriques (…)

On peut interroger cette vision dans la mesure où des élèves âgés de moins de dix ans ont beaucoup de difficulté à mobiliser des connaissances pour construire, sous la conduite du maître, une argumentation qui ne réduise pas à une discussion de cour de récréation. » (sic)

Les maîtres apprécieront à sa juste valeur cette appréciation de haute volée sur leur travail quotidien.

Le HCI se place ici dans une perspective résolument réactionnaire, celle de la transmission magistrale d’un savoir censée suffire face à des enfants jugés bien incapables de réfléchir par eux-mêmes :

« Il semble qu’un exposé du maître appuyé sur des documents écrits ou visuels dans le cadre d’un cours dialogué soit une méthode efficace pour débuter cette approche civique. »

L’Eglise catholique ne procédait pas autrement il y a un demi-siècle, avant Vatican II, avec le catéchisme par questions-réponses infligé aux enfants, avant de se rendre compte que ce n’était pas la meilleure façon de former de bons chrétiens. L’approche réductrice et caricaturale de la formation civique à base de leçons de morale, de sermons et de cantiques laisse mal augurer, de ce que pourrait être la citoyenneté des prochaines années : en démocratie, la citoyenneté s’appuie sur le regard critique, la lucidité, la prise de parole et même les tâtonnements, l’écoute réciproque et le refus des morales officielles, des vérités révélées. Une régression bien dans l’air du temps.

Si, dans ce long et indigeste rapport, les symboles prennent décidément beaucoup de place, curieusement, la devise de la république « liberté, égalité, fraternité », n’est qu’épisodiquement évoquée, comme si, à vrai dire, on n’en avait rien à faire ou qu’elle dérangeait.

A propos de cette devise, les rapporteurs se laissent même aller à un étrange commentaire, page 18 :

« Il est utile de mieux faire comprendre (aux élèves) le sens de cet idéal et de son imparfaite réalisation en expliquant que les inégalités sociales et territoriales qui perdurent peuvent mettre à mal cet idéal (surtout dans un contexte de crise), mais qu’elles ne le détruisent pas puisque par la volonté politique de ceux qui gouvernent au nom du peuple, on s’attache à les réduire. »

Cette formule contournée a au moins le mérite de dire tout haut ce que la vénération du drapeau et de la Marseillaise voudrait occulter, à savoir que la croyance quasi mystique dans la nation et l’attirail symbolique dont elle s’entoure ont surtout pour objet, en dissimulant les différences sociales et en exigeant de tous l’obéissance à un ordre transcendant, de faire taire les plaintes et les revendications légitimes.

Si la société est aujourd’hui fragilisée, ce n’est pas à cause d’on ne sait trop quel communautarisme, plus fantasmé que réel, ou d’une jeunesse sans repères, mais plus véritablement des inégalités et des injustices, de la stigmatisation obstinée de toute une classe d’âge -surtout lorsqu’elle a la peau sombre- de la répression et du climat d’ordre moral qui la sapent bien plus sûrement que l’absence d’un buste de Marianne dans les écoles ou que les sifflets contre la Marseillaise sur un terrain de football.

La confusion trompeuse entre citoyenneté et nationalité n’est certes pas une chose nouvelle mais elle est grossièrement entretenue et aggravée en période difficile par tous ceux qui, à des titres divers, y trouvent un intérêt, parce qu’ils se refusent aux changements politiques ou bien parce que les incantations patriotiques peuvent donner le change. Au moins momentanément.

Alors que l’Ecole est au centre du discours sur l’intégration, on n’a sans doute pas suffisamment pris en considération, en particulier chez les enseignants, que ce ministère à la titulature extravagante -ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale- s’était vu doté, dès sa création, d’attributions en matières éducatives. Dans le Journal Officiel du 1er juin 2007, on lit ainsi :

« Il participe, en liaison avec les ministres intéressés, à la politique de la mémoire et à la promotion de la citoyenneté et des principes et valeurs de la république. »

Mais lorsque la mémoire, la citoyenneté, les principes et les valeurs de la république sont manifestement défigurés par des considérations identitaires qui n’ont rien à y faire, il y a peut-être du souci à se faire.

Bernard Girard

SOURCE : Rue89

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