Reportage

Le cœur de Ramallah bat pour Gaza… et le Hamas

En Cisjordanie, l’Autorité palestinienne et le Fatah au pouvoir ont perdu toute crédibilité. Les habitants leur reprochent de ne pas soutenir suffisamment les Gazaouis.

Jamais Qaddura Fares, un leader du Fatah, n’avait imaginé que sa mère, une femme de 78 ans, puisse un jour, après avoir regardé les bombardements sur Gaza à la télévision, lui jeter à la figure: «Que la honte soit sur vous, Fatah!» Et qu’il découvrirait sur le cahier d’écolier de sa propre file, âgée de 8 ans, des dessins représentant les guérilleros du Hamas affrontant les chars israéliens, toujours à Gaza.

Pour Fares, qui fut lui-même emprisonné par l’Etat hébreu et préside l’association des détenus (politiques) de la société palestinienne, ces deux anecdotes familiales sont accablantes pour son organisation. Elles témoignent que, loin de s’affaiblir, le Hamas, le parti rival, se renforce en Cisjordanie. Et, à l’inverse, que le Fatah, pour n’avoir pas choisi de le soutenir ouvertement dans l’épreuve et se montrer trop lié à l’Autorité palestinienne, risque de disparaître.

«Toute la génération des 16-20 ans se range derrière le Hamas. La guerre ne profite qu’à lui seul. Si elle continue, les gens vont voir en Ismaël Hanieh (qui dirige le gouvernement Hamas à Gaza, ndlr) un prophète», lance-t-il depuis son bureau de Ramallah, sous les photos de Yasser Arafat et d’un jeune leader du parti emprisonné par l’Etat hébreu, Marwan Baghouti, qui brandit ses menottes comme un flambeau.

Ramallah transpire l’apathie, la dépression

Dans les artères du centre-ville, le cœur de Ramallah ne bat plus effectivement que pour Gaza. La ville transpire l’apathie, la dépression. Dans les boutiques et les cafés, tous les regards sont dirigés vers les postes de télévisions. «Les gens passent leurs journées devant Al-Jezira. C’est pourquoi il y a beaucoup moins de monde dans les rues. Et puis les magasins ferment plus tôt», remarque Khader Musleh, un expert en développement.

Dans ces conditions, les déclarations de l’un des conseillers du président palestinien Mahmoud Abbas, assurant au lendemain de l’attaque israélienne que le Hamas en portait la responsabilité, n’ont pas été comprises. Qaddura Fares les déplore ouvertement: «Nous avons perdu d’un seul coup 25% de notre crédibilité si tant est que nous en avions encore.»

Pourtant, ce leader d’un parti qui incarna l’idéal palestinien n’aime pas le Hamas: «J’aurais voulu qu’il n’ait pas dépassé les 1% aux élections.» Mais, à présent, estime-t-il, il n’y a pas d’autre choix que de le soutenir. «Avec ce qui se passe à Gaza, il ne sert à rien de parler à l’esprit des gens. C’est à leur cœur qu’il faut s’adresser, quitte à être un peu démagogique.»
«Sous peine de disparaître, il faut que nous jouions à tout prix un rôle».

Aussi plaide-t-il pour que Mahmoud Abbas fasse preuve de solidarité avec le mouvement islamiste en quittant provisoirement les pourparlers de paix avec Israël et en relâchant les quelque 400 prisonniers détenus dans les geôles palestiniennes. «Il n’a rien à perdre. Tout à gagner. Sous peine de disparaître, il faut que nous jouions à tout prix un rôle. Cela nous aiderait ensuite à œuvrer avec l’Egypte pour trouver une solution. Sinon, l’Autorité palestinienne risque d’apparaître comme l’équivalent de l’armée du général Lahad (l’ex-commandant des forces supplétives d’Israël au Sud-Liban, ndlr).» Au sein du Fatah, il milite pour que cette organisation coupe les ponts avec l’Autorité palestinienne. Pour ne pas être entraîné avec elle, si chute il y a. Signe que la faillite de la maison Abbas est donc prévue, y compris parmi ceux qui en sont proches.

Dans un immeuble discret, Abduljaber Fuqahaa, un jeune député et responsable du Hamas, qui se trouvait, il y a encore un mois, dans une cellule israélienne, se garde pourtant de jeter de l’huile sur le feu. Lui plaide pour la réconciliation à tout prix entre son parti et l’Autorité palestinienne. Mais il est sans illusion, estimant qu’elle est incapable de s’opposer aux pressions israéliennes: «Non seulement elle ne relâche pas nos prisonniers, mais elle arrête d’autres militants.»

De même, reconnaît-il, «le Hamas est incapable de mobiliser du fait que nous sommes la cible de la police palestinienne.» Aussi, ne prévoit-il pas une troisième intifada, un scénario qui inquiète pourtant l’état-major israélien. Le paradoxe est là: le Hamas est plus populaire que jamais. Mais encore sans forces.

Jean-Pierre Perrin

Source : « Libération »

REPORTAGE AUDIO : http://www.liberation.fr/monde/0601505-mediaJEAN-PIERRE PERRIN, envoyé spécial à Ramallah (Cisjordanie)

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