Islamophobie

La porte et la laïcité

Comme Dounia Bouzar, spécialiste de la laïcité dans les entreprises, l’avait signalé dès le départ, le licenciement d’une puéricultrice portant un foulard par la direction de la crèche Baby-Loup est contraire au Code du travail. La porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, affirme que « le principe de laïcité » ne doit « pas s’arrêter à la porte des crèches » et annonce la possibilité d’une loi. Rappelons que la Cour de cassation a affirmé non seulement que ce principe n’est nullement en cause mais que ce licenciement constitue « une discrimination ». C’est ce qu’avait déjà affirmé la Halde avant que la dérive ultra-droitière de Sarkozy normalise cette institution. Pour Mme Vallaud-Belkacem, le « principe de non-discrimination » doit-il s’arrêter à la porte des crèches ?

Dernièrement, un ami me racontait qu’ayant mis son fils dans une école privée sous contrat (donc financée à plus de 80% sur fonds publics), ce dernier, à la fin du premier jour de classe, lui avait déclaré: « Tu sais papa, c’est une école musulmane. » Raison d’un tel constat, qui ne troublait nullement l’élève : il y avait dans l’établissement « plusieurs dames voilées ». Il s’agissait naturellement de bonnes sœurs. « Il n’y a pas de raison de traiter différemment les crèches et les écoles », a déclaré la ministre, ne se rendant même pas compte qu’elle prononçait ainsi une phrase totalement boomerang. Il y a, en fait, des portes ouvertes et des portes fermées ! Et l’ignorance ministérielle dévoile beaucoup de choses.

Rappelons encore que le Conseil constitutionnel a officiellement indiqué, il y a peu, que la loi de 1905 s’arrête à la porte de l’Alsace-Moselle. C’est d’ailleurs ce qu’avait signifié le candidat Hollande lui-même quand il avait proposé de constitutionnaliser cette loi… seulement jusqu’à la ligne bleue des Vosges. Il existe, pourtant, un consensus : la loi de séparation des Eglises et de l’Etat est au cœur de la laïcité française alors que la laïcité n’a jamais impliqué une neutralité religieuse des personnes qui ne représentent pas l’Etat laïque.

Toute conception extensive de la neutralité avait été refusée par les parlementaires en 1905 comme contraire à la « loi de liberté » (A. Briand) qu’ils étaient en train d’élaborer. En indiquant explicitement que « l’islam est aujourd’hui au centre des préoccupations », l’UMP François Baroin a proposé, lui, en 2003, dans un rapport au Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin, qu’une « nouvelle laïcité » devienne une « valeur de droite ». Pour Baroin, avec cette « nouvelle laïcité », la droite allait faire coup double. D’une part, elle allait se démarquer du Front national (on était un an à peine après le second tour de 2002), car jamais le FN n’invoquerait la laïcité. D’autre part, la droite pourrait ainsi mieux combattre la gauche qui, précisait-il, est favorable à la « promotion des droits de l’homme ». Or, selon lui (et appréciez l’aveu !) : « à un certain point la (nouvelle) laïcité et les droits de l’homme sont incompatibles ».

Dix ans plus tard, Baroin s’est trompé dans son diagnostic sur le FN : Marine Le Pen s’est engouffrée dans la nouvelle conception de la laïcité qui hypertrophie la neutralité, aux dépens de la séparation. Faudra-t-il également dire que Baroin s’est mis le doigt dans l’œil quand il pensait que la gauche défendrait toujours une laïcité reliée aux droits humains ? Les historiens de 2050 ne pourront pas ne pas se poser la question.

Jean Baubérot

Source : Médiapart

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