Sous la pression de décisions prises à l’échelle européenne, des mesures législatives et des procédures diverses ont été mises en place mais il n’existe aucune volonté politique réelle d’engager les réformes profondes qu’exige le caractère systémique des inégalités raciales.
Ainsi, la loi de novembre 2001 relative aux discriminations aménage la charge de la preuve, et renforce le pouvoir des inspecteurs du travail en ce qui concerne les discriminations, reconnaissance des « discriminations indirectes » sans pour autant qu’une définition précise n’en soit donnée. La possibilité de porter plainte pour discrimination (loi L122-45 du Code du travail) se heurte aux multiples collusions entre pouvoir économique, pouvoir politique et pouvoir judiciaire. Quant à la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde) mise en place en 2004, elle n’est qu’une coquille vide, sans pouvoir réel ni désir d’agir.
Des discriminations massives qui affectent tous les domaines de l’existence
Discriminés à l’embauche, à la formation professionnelle, à l’affectation, au salaire, à l’évolution des carrières, recrutés dans des emplois déqualifiés souvent même lorsque nous avons acquis compétences et formation, premiers licenciés, précarisés, nous sommes également l’objet d’humiliations, de harcèlements, de mépris, qui ne sont pas seulement le fait de l’encadrement mais aussi parfois de nos collègues de travail blancs. Les inégalités de traitement concernent tout autant ceux qui ont des qualifications et des diplômes que ceux qui n’en ont pas. Ces discriminations sont encore plus terribles pour ceux d’entre nous qui ne sont pas français et sont privés de nombreux droits, y compris lorsqu’ils sont à la retraite, sans parler des travailleurs sans papiers contraints de vivre dans la crainte de l’expulsion, de travailler dans la précarité la plus grande, sans aucune protection, face à des patrons qui profitent de leur détresse pour leur imposer des conditions proches de l’esclavage. Les discriminations au travail se prolongent dans les multiples inégalités raciales à tous les niveaux de nos existences : au logement, à la formation, au loisir, à l’école en ce qui concerne nos enfants, face à la justice, à la police, etc. Que l’on soit français ou non, au travail comme dans la vie, être noir, arabe ou musulman, ou considérés comme tels, c’est être un indigène de la république. L’abjecte politique de la « préférence nationale » recouvre en vérité un système basé sur la préférence raciale.
Les syndicats divisent-ils la classe ouvrière ?
Pendant de très nombreuses années, nous avons espéré que la solidarité de tous les ouvriers face au patronat soit également une solidarité contre le racisme. Nous avons participé aux luttes sociales, nous avons mené de grands combats qui ont bénéficié à l’ensemble des travailleurs (une mémoire généralement occultée et qu’il nous appartient de restaurer). Mais, force est de constater que la cause anti-raciste a été marginalisée et qu’elle continue d’être considérée comme une question secondaire alors qu’elle est la condition de l’unité ouvrière qu’on invoque à longueur de temps pour délégitimer nos luttes spécifiques. Certains syndicats ont constitué des structures chargées d’enquêter sur les discriminations raciales, mené quelques campagnes de dénonciation du racisme ou se sont prononcés officiellement contre les nouvelles lois discriminatoires adoptées par le Parlement, notamment en ce qui concerne les sans papiers, mais si dans telle ou telle entreprise des combats ont effectivement été menés contre les discriminations raciales, les principales organisations syndicales refusent d’en faire un de leurs axes fondamentaux d’intervention. Bien trop souvent, ils considèrent que le racisme au travail se réduirait « seulement » aux comportements répréhensibles de quelques patrons ou chefs racistes. Que de fois n’avons-nous pas entendu dire que nous serions parano et même que, d’une certaine manière, nous serions responsables du racisme parce qu’« inadaptés» à la société « civilisée », trop attachés à nos « particularismes » voire « communautaristes ». Il faut le reconnaître, les syndicalistes comme les autres travailleurs blancs ne sont pas à l’abri d’un racisme qui traverse l’ensemble de la société et qui va, hélas, en s’aggravant, comme l’ont montré les dernières élections présidentielles. Comment expliquer sinon la très faible représentation des travailleurs indigènes dans les syndicats et dans les instances syndicales ? Comment expliquer les réticences des organisations syndicales à présenter leur candidature aux Prud’hommes ? Ils ne se syndiquent pas assez, nous dit-on. Et cela est vrai. Mais s’ils ne se syndiquent pas assez, comme du reste l’ensemble des travailleurs, c’est parce que leurs revendications spécifiques ne sont pas vraiment prises en compte par les syndicats et qu’ils ne peuvent se sentir représentés par des syndicats où les travailleurs issus des anciennes colonies ont les plus grandes difficultés à accéder à des responsabilités syndicales. Qu’on le veuille ou non, nous ne sommes pas considérés comme des militants comme les autres. Dans les syndicats, nous sommes aussi des indigènes de la république. Et de même qu’il faut décoloniser la République, il faut décoloniser les syndicats ! Il est impératif que les travailleurs directement concernés par les discriminations raciales s’unissent et prennent en mains leurs propres luttes dans les syndicats mais aussi en constituant des espaces de lutte autonome de travailleurs indigènes dans les entreprises où ce serait la seule possibilité de faire avancer notre combat.
Walou, mai 2007
Cet article est paru dans le n°8 (juin-juillet 07) de « L’Indigène de la république »