« La décolonisation chez nous est la meilleure manière de soutenir la lutte palestinienne » (Tasnim Mahmoud)

Les mobilisations massives à travers le monde en soutien au peuple palestinien et la défense acharnée de l’Etat génocidaire d’Israel par le camp occidental nous ont convaincus de la nécessité d’internationaliser notre regard, et de solliciter des réflexions stratégiques et politiques de mouvements menés ailleurs qu’en France. L’ambition de la présente série d’entretiens est de contribuer au croisement de nos expériences, au service d’un mouvement international en soutien à la Palestine et contre le sionisme, le racisme et le colonialisme.

Nous avons réalisé le troisième entretien de cette série avec le Dr. Tasnim Mahmoud Sammak, professeur associé à l’université Monash en Australie et militante palestinienne membre de Free Palestine Melbourne. Originaire de Yaffa en Palestine occupée, ses recherches portent sur les nouvelles subjectivités politiques et les imaginaires dans les Etats coloniaux depuis le 11 septembre 2001. Elle contribue à plusieurs revues, dont Overland et The Funambulist.

English version below

1) Comment était le mouvement de solidarité pour la Palestine dans votre pays avant le déclenchement de cette nouvelle Nakba ? Quelle était son histoire, ses composantes principales, ses forces et ses faiblesses ? 

Le mouvement de solidarité avec la Palestine ici en Australie a changé radicalement de direction suite à une contestation grandissante de la souveraineté blanche et du pouvoir impérial au sein de la colonie capitaliste australienne. Historiquement, de nombreux défenseurs du mouvement Palestinien étaient engagés en politique, de la gauche au parti libéral. Les changements actuels se reflètent dans la manière dont le plus important réseau australien de soutien aux intérêts palestiniens, The Australia Palestine Advocacy Network a changé sa position politique officielle, en passant d’une solution à deux états à une solution à un seul état anti-apartheid, grâce au travail des militants Palestiniens.

Toute une série de tactiques ont prévalu jusqu’à présent dans le mouvement, mais il y a eu récemment un poussée populaire qui a remis en cause les structures de pouvoir au sein de cette colonie de peuplement qu’est l’Australie. L’une de nos forces a été de prioriser la solidarité internationaliste tout en investissant dans la construction d’un pouvoir décolonial, en cultivant la solidarité Afro-Palestinienne, ainsi qu’avec les Papous, les Asiatiques et les autres communautés diasporiques racisées.

2) Comment était organisée la lutte dès le début du génocide de Gaza ? Quels étaient ses buts, ses forces, contradictions et défis ? Est-ce que la lutte a déjà évolué, et si oui, de quelle manière ? 

Depuis le 7 octobre, nous manifestons chaque semaine à Melbourne, à une heure et un lieu précis – 12:00 devant la Bibliothèque d’État du Victoria. Les manifestations sont menées sous la bannière du collectif « Free Palestine Melbourne » mais sont organisées par un groupe flexible qui comprend surtout des militants palestiniens de différentes organisations ou bien non affiliés. Les Palestiniens qui se sont engagés à rejoindre la lutte ces cinq derniers mois ont été invités à rejoindre l’équipe qui organise le rassemblement, ce qui a renforcé le travail du mouvement. Ce fut difficile de maintenir les objectifs radicaux des protestations de masse car les leaders politiques et les médias invisibilisaient ces marches, malgré la présence de milliers de personnes dans les rues. Afin de surmonter cela, lors des manifestations, nous avons encouragé les manifestants à engager des actions pendant la semaine, dans cinq domaines majeurs : l’activisme universitaire, la pression sur les conseils de gouvernement locaux, le travail dans les syndicats, les piquets de grève devant Zim shipping, et pour la fermeture des usines d’armement. Au sein d’un conseil local, la coordination des habitants et des militants a amené le conseil à hisser le drapeau palestinien et à passer une motion de Boycott Désinvestissement et Sanctions (BDS). Cela a inspiré de nombreux autres groupes locaux à se former et faire campagne pour des motions locales similaires, à travers Melbourne et même régionalement. À l’Université, les étudiants se sont également organisés. On peut notamment citer les étudiants de la fameuse Université de Melbourne, qui se sont organisés contre le partenariat de plusieurs millions de dollars de l’Université avec l’entreprise de défense Lockheed Martin.

De plus, les étudiants ont mené les plus importantes marches universitaires pour la Palestine dans le monde. Les syndicalistes propalestiniens ont organisé un nombre important de piquets de grève qui ont retardé ou interrompu les opérations de Zim shipping dans le port de Melbourne. Un de ces piquets de grève syndical est devenu historique en imposant un blocus terrestre de quatre jours sur le terminal portuaire, avec l’aide conjointe des groupes de solidarités pour la Palestine, des groupes de gauche, et de l’Union des personnes noires. 

3) Quelle a été l’attitude des autorités, des partis politiques dominants et des médias dans votre pays ? Est-ce que le colonialisme israélien a des liens économiques et politiques avec votre pays, et si oui, sous quelle forme ? 

La Police a mis fin au piquet de grève communautaire au sein de l’entreprise Zim Ship de manière excessivement violente et brutale, suite à l’apparition du PDG de l’autorité portuaire dans les médias, qui s’est plaint que les militants propalestiniens coutaient des millions de dollars au terminal et à l’économie australienne, en laissant plus de 50 000 bloqués dans la baie. Cependant, l’Union Maritime Australienne s’est exprimée cette même semaine en déclarant que les lignes maritimes israéliennes n’étaient pas bienvenues sur les ports Australiens, donc malgré la répression policière et la volonté gouvernementale de mettre un terme au mouvement, les piquets de grève pour stopper le génocide en sont encore à leurs débuts. 

Nous nous organisons également pour interrompre la chaîne d’approvisionnement en armes. Le gouvernement du Victoria a un partenariat avec Elbit Systems, le plus grand fabricant d’armes israéliennes, que nous sommes déterminés à stopper. Pourtant, le gouvernement australien a annoncé récemment un nouveau partenariat avec le fabricant d’une valeur de $900 millions. Les militants ont traqué les liens entre l’industrie d’armement australienne et israélienne. Nous avons pu identifier, dans une banlieue peuplée en majorité par des communautés marginalisés orientales et musulmanes, une usine qui traite thermiquement des pièces pour les avions de combat F-35 utilisés par les forces offensives Israéliennes à Gaza. Nous avons donc protesté devant l’Usine Heat Treatment Australia pendant cinq semaines et cela a stoppé le travail de l’Usine pendant les jours où nous étions là. Cependant, la dernière semaine, l’Usine a repris le travail alors même que nous protestions encore, donc nous avons établi un piquet de grève massif à 5h du matin afin de stopper le travail des armes dans les banlieues. Nous avons distribué des brochures afin de mobiliser les employés de l’usine, et nombreux sont ceux qui nous soutiennent lorsqu’ils apprennent les faits.

Cette mobilisation pour stopper l’armement destiné à Israël a reçu une soutien à l’intérieur du Parlement avec le troisième parti politique Australien, Les Verts australiens, ayant fait campagne sous le slogan « Arrêtez d’armer Israël », qui trouve ses origines dans les espaces des mouvements radicaux. Ils demandent plus de transparence au gouvernement Australien en ce qui concerne les exports d’armes.

La réponse de la police s’étant intensifiée, nous avons entraîné une centaine de membres de la communauté à l’organisation de piquets et d’actions de terrain pour assurer une présence dans la rue collective et disciplinée. Les médecins et juristes ont également été avec nous en première ligne dans la majorité des actions, et il ont formé la communauté afin de lui permettre de remplir ces rôles cruciaux, maintenant que nous entrons dans une phase d’action à haut-risque. 

4 ) D’après vous, comment serait-il possible de combiner les forces des mouvements propalestiniens sur tous les continents ? Quel rôle la diaspora palestinienne et les organisations de résistance devraient-elles jouer ? 

Cet effort d’organiser la solidarité avec le peuple palestinien à l’international, à travers les nations capitalistes occidentales, implique un action de grande ampleur. Nous pouvons partager les connaissances et tisser à partir d’histoires internationalistes telles que celle du mouvement anti-Apartheid, qui a mis a genoux l’Afrique du Sud sous Apartheid ou bien celle de la coordination internationaliste qui a mis un terme à la guerre du Vietnam. La diaspora Palestinienne ici est engagé dans une variété de stratégies, mais l’effectivité de ces approches radicales a été dû en partie à la direction et à la participation de Palestiniens engagés dans des politiques anti-capitalistes et anti-impérialistes, qui ont formulé l’urgence d’un changement politique ici, en Australie, afin de mettre un terme au Génocide là-bas, en Palestine occupée.

La Palestine ne peut pas être vue comme un problème singulier, et nous devons continuer d’imaginer comment sous une autre Australie, une Australie sous souveraineté noire, la Palestine occupée aurait été soutenue. Ce sont les structures de gouvernance blanche actuelles qui ont placé l’Australie dans un positionnement pro-israélien, menant le Premier Ministre, Anthony Albanese à accroître l’armement d’Israël plutôt qu’à le sanctionner. Cependant, cette direction pro-génocidaire effrontée est ce qui a mené près d’une centaine d’avocats à le déférer à la Cour Pénale Internationale. C’est inédit pour un dirigeant occidental.

La décolonisation chez nous est la meilleure manière de soutenir la lutte Palestinienne. 

Tasnim Mahmoud Sammak

Entretien traduit de l’anglais par Hanna


« Decolonization here is how we can best support the Palestinian struggle » (Tasnim Mahmoud)

The massive mobilizations around the world in support of the Palestinian people, and the relentless defense of the genocidal state of Israel by the Western camp, have convinced us of the need to internationalize our gaze, and to solicit strategic and political reflections from movements outside France. The ambition of the present series of interviews is to contribute to the cross-fertilization of our experiences, in the service of an international movement in support of Palestine and against Zionism, racism and colonialism.

We conducted the third interview in this series with Dr. Tasnim Mahmoud Sammak, teaching associate at Monash University, Australia, Palestinian activist and member of Free Palestine Melbourne. Originally from Yaffa in occupied Palestine, her research focuses on new political subjectivities and imaginaries in colonial states since 9-11. She contributes to several journals, including Overland and The Funambulist.

1/ How was the Palestine solidarity movement like in your country before the outbreak of this new Nakba? What was its history and what were its components, strengths and weaknesses?

The Palestine solidarity movement here in Australia has been moving in a radical direction with a growing critical base contesting the Australian capitalist colony’s white sovereignty and imperial power. Historically, many advocates within the Palestine movement engaged in a range of politics, from left-wing to liberal. This is reflected in how the peak Palestine advocacy organisation, the Australia Palestine Advocacy Network only recently changed its official political position from advancing a two-state solution to an anti-apartheid one-state solution through the work of Palestinian activists. While a range of tactics have been prevalent in the movement, in recent years there has been more grass-roots organising that challenges power structures in this place, this settler colony. Moving towards prioritising internationalist solidarity has been a strength, with investment in building decolonialising power by cultivating Black-Palestinian solidarity alongside solidarity work with West Papua, Asian, African and other racialised diaspora communities.

2/ How was the struggle organized from the start of the genocide in Gaza ? What were its goals, strengths, contradictions and adversity? Has the struggle already evolved, and if so, what changes?

Since October 7th, we have been protesting weekly in so-called Melbourne, at a set time and place – 12 pm in front of The State Library of Victoria. The protests are hosted under the collective Free Palestine Melbourne but they are organised by a flexible group of mainly Palestinian organisers from different organisations or unaffiliated. Palestinians who have committed to join the struggle in the past five months have been invited to join this rally organising team, which has added strength to the movement work.

It has been challenging to maintain the radical objectives of mass protests as political leaders and media turn attention away from the Free Palestine marches despite the presence of thousands on the streets. To overcome this, at the protests, we have directed supporters to initiate liberatory actions throughout the week, which have resulted in action in five main areas: campus activism, local council change, union movement work, picketing Zim shipping and shutting down arms factories. In one local council area the organising of residents and activists led to the council raising the Palestine flag and passing a Boycott Divestment Sanctions motion. This inspired a flow of local groups forming to campaign for similar local council motions, with over 15 new groups working towards this across Melbourne and even regionally. At university students such as the world-recognised University of Melbourne students have been organising against its millions partnership with Lockheed Martin.

Meanwhile school students have held the largest school walk-out for Palestine in the world. Unionists for Palestine has organised a number of community pickets that have delayed or interrupted the operations of Zim ships in Port Melbourne. One of these unionist community pickets became historic in imposing a four-day land blockade of the port terminal, achieved with the co-leadership of Palestine solidarity groups, leftist groups and the Black People’s Union.

3/ What has been the attitude of the authorities, the dominant political parties and the media in your country? Does Israeli settler colonialism have economic and political links with your country, and in what form?

Police broke the Zim Ship Community Picket with excessive police violence and brutality, after the Port Authority CEO went on mainstream media to complain that pro-Palestine activists were costing the terminal and the Australian economy millions of dollars by leaving over 50,000 containers stranded in the bay. However, The Maritime Union of Australia has come out this week stating that Israeli shipping lines are not welcome in Australian ports, so despite the police crackdown and government desire for this area of movement work to end, picketing to stop the genocide is still in its initial stage.

We are also organising to interrupt the arms supply chain. The Victorian Government has a partnership with Elbit Systems, the largest Israeli weapons manufacturer that we are determined to end, yet the Australian government this week has announced a new partnership with Elbit Systems that amounts to $900 million. Activists have been researching links between the Australian arms industry and the Israeli arms industry. We have identified that in a suburb highly populated by marginalized, working-class Middle Eastern and Muslim residents, there is a factory that heat treats parts for the F-35 Fighter Jets used by the Israeli Offensive Forces in Gaza, so we have been protesting outside this factory, Heat Treatment Australia, for five weeks and this has stopped work at the factory for the days that we were there. However, in the last week, the factory resumed work during our protest, so this week we established a mass community picket at 5am to stop work on weapons in the suburbs. We are leafleting to engage workers in the factory-populated area, many who are supportive when they learn the facts.

This direction of stopping arms to Israel has been given a platform inside Parliament by the third Australian political party, The Greens, who have been campaigning on the slogan Stop Arming Israel that has origin in radical movement spaces. They are seeking more transparency from the Australian government on Australian arms exports. The police response is escalating, so we have been training 100s of community members with marshalling, picket line and direct action skills to ensure a disciplined, collective street presence. The frontline medics and legal observers have also been with us at most actions and have held training for community to expand its ability to fulfil these crucial roles as we enter a higher-risk stage of movement action.

4/ In your opinion, how would it be possible to combine the forces of movements supporting Palestine on all continents? What role should the Palestinian diaspora and resistance organizations play?

These efforts to take industrial action as Palestinian movement work can be exercised internationally across western capitalist nations. We can share knowledge and draw on internationalist histories such as anti-Apartheid movement work that brought Apartheid South Africa to its knees and internationalist organising that ended the Vietnam War. Palestinian diaspora here engages in a variety of tactics, but the effectiveness of these radical approaches has been in part due to the leadership and participation of Palestinians with radical, anti-capitalist, anti-imperialist politics articulating the urgency of political change here to bring an end to the genocide there in Occupied Palestine.

Palestine cannot be advanced as a single issue and we need to keep imagining how with another Australia, a Black sovereign Australia, Occupied Palestine would be supported. It is the current white governance structures that have positioned this state to stand with Israel, leading the Prime Minister, Anthony Albanese to expand arming Israel rather than sanction arms to Israel. But, this brazen pro-genocide leadership is exactly what has led over 100 lawyers to refer him, the only western leader, to the International Criminal Court.

Decolonisation here is how we can best support the Palestinian struggle. 

Tasnim Mahmoud Sammak

Translated into french by Hanna





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