Sortir de l'impasse

Il nous faut un antiracisme politique

La lutte contre le racisme en France est, à quelques rares exceptions, totalement apolitique. La plupart des organisations luttant contre le racisme nous offrent une lecture du racisme totalement dépolitisée, faisant fi des rapports de forces et restant coincé dans une lecture biologique plutôt que sociale de la notion de race, nous offrant un discours qui fait plus que sentir l’anti-racisme moral et qui fait passer au moins deux idées :

1. Le racisme apparaît quand on parle de race

2. Tout le monde peut être raciste puisque le racisme c’est une opinion véhiculée par des clichés, des préjugés, etc…

Ce sont là deux erreurs.

Ce n’est pas la race qui crée le racisme, mais le racisme qui créer la race.

Beaucoup disent qu’il ne faut pas racialiser les rapports sociaux autrement dit ne pas reconnaître l’existence ou la pertinence de la notion de race sociale pour combattre le racisme. Or, s’il n’est évidement pas question de reconnaissance des races biologiques, la reconnaissance de l’existence de la race sociale comme catégorie établissant une hiérarchie dans la société est nécessaire pour décrire le racisme et ses effets et surtout pour le combattre. Mais beaucoup font mine de confondre ses deux notions et clament que parler de races sociales c’est comme parler de races biologiques et c’est donc du racisme (on pourrait d’ailleurs se demander pourquoi tant de personnes ont des difficultés à concevoir la notion de race autrement que biologique, si ce n’est, parce qu’on fond, ils sont convaincus que la race est un fait biologique). Pour lutter contre le racisme, il ne faudrait pas parler de races sociales comme si son évocation créerai du racisme.

Entendre cela me laisse pantois, c’est comme si je vous disais que pour en finir avec la domination de classe, il suffit de ne plus parler de classe, que pour en finir avec le patriarcat, il faut éviter de parler de genre.

Mais me direz vous, comment faire pour mener une lutte de classe sans évoquer sa situation de classe ? Comment les femmes pourraient-elles mener leurs luttes de libération sans parler de leur situation de femme ? Et comment peut on lutter contre le racisme si ce n’est en parlant de ce qu’il génère : la race ?

La race sociale

C’est impossible. On pourrait se demander comment a fait le mouvement anti-raciste pour lutter contre le racisme depuis tant de temps alors. C’est facile en tournant autour du pot. Par exemple, le MRAP affirme, et il est loin d’être le seul, qu’il travaille à « promouvoir « le bien vivre ensemble » autour des valeurs d’égalité et de solidarité« , ce qui est tout à fait louable mais l’égalité entre qui et qui ça le MRAP, et il est loin d’être le seul, ne le dit pas.

Je veux dire, l’égalité se fait toujours avec au moins 2 partis. On dit bien que x = y mais jamais = tout seul ça n’a pas de sens. En fait en parlant d’égalité, le MRAP, comme tout le monde, sous-entend entre blancs et non-blancs. Or l’égalité, comme exigence politique, est toujours construite comme une égalité entre groupe de privilégiés et groupe de lésés (sans quoi il n’y a pas de privilèges), un groupe dominant et un autre dominé. Par exemple demander l’égalité homme femme, c’est dire que les femmes sont lésées et les hommes privilégiés, que les hommes sont dominants et les femmes dominées. Donc quand on parle, ou sous-entend, d’égalité entre blanc et non-blanc force est de reconnaître qu’il y a un rapport de privilégié/lésé bref un rapport de domination.

Reconnaître le racisme comme un rapport de domination est nécessaire car elle permet de sortir de l’impasse de l’antiracisme moral pour arriver à un antiracisme politique.

Un antiracisme politique pour en finir avec l’antiracisme moral

L’antiracisme, notamment depuis l’avènement de SOS racisme, à été construit comme une lutte contre les préjugés, contre les mauvais sentiments, en disant « ce n’est pas bien de dire ça ou de penser ceci ». Bref il s’agissait de faire la morale. Plus de 25 ans plus tard, il est temps de constater l’inefficacité de cette démarche en terme de lutte contre le racisme.

En toute honnêteté, les clichés je m’en moque éperdument. Savoir ce que ma boulangère pense de moi en tant qu’arabe ou musulman, au fond je m’en moque, ce qui me dérange c’est que ces clichés aboutissent à des votes de lois, à des discriminations massives, ont un impact sur ma vie et celles des autres non-blancs en France et dans le monde. Tout ceci n’est possible car ces préjugés sont munis du pouvoir politique, du pouvoir économique, du pouvoir militaire, du pouvoir médiatique, judiciaire, policier, etc… Bref du Pouvoir.

Effectivement, les non-blancs peuvent avoir des préjugés sur les blancs, parfois de la haine, certes c’est regrettable, ce n’est pas bien mais cela ne peut être du racisme car ces préjugés ou cette haine n’est pas muni de pouvoir.

Imaginons pour l’exemple que je sois convaincu que les blancs sont des voleurs, quel impact pour la vie des blancs en général ? Aucun. Je peux à la rigueur ennuyer autour de moi mais rien de plus. Par contre quand on dit que les arabes volent, que les noirs sont violents, que les musulmans sont des terroristes, cela va générer des lois, des discriminations racistes massives, des humiliations, des morts.

A mettre au même niveau dominant et dominé, on ne peut que renforcer la domination en la masquant et en faisant des victimes les bourreaux et des puissants les faibles. Admettre l’idée du racisme anti-blanc, c’est admettre que les riches peuvent être exploités par les pauvres, c’est accorder du crédit à l’idée de l’oppression des hommes par les femmes. Bref c’est nier l’oppression de classe et renforcer le capitalisme, c’est nier les privilèges des hommes sur les femmes et renforcer le patriarcat, c’est nier les privilèges matériels et symboliques dont jouissent les blancs et renforcer le racisme.

Il est d’ailleurs intéressant de constater que les personnes, tels qu’Eric Zemmour, qui soutiennent la thèse du racisme anti-blanc soutiennent assez souvent des thèses tels que le sexisme anti-homme ou encore l’oppression des plus aisés par les pauvres qui jouissent de prestations sociales. Au fond, les accointances de ses thèses ne sont guère surprenantes puisqu’elles sont basées sur un même principe : faire passer les dominants pour des dominés et les dominés pour d’affreux bourreaux et justifier aux passages les politiques répressives à leur endroit ainsi que l’ordre social en vigueur.

Les bienfaits de l’antiracisme politique

Cette analyse politique du racisme et la reconnaissance du privilège blanc sont non seulement une opportunité pour un renouveau de la lutte contre le racisme mais aussi les conditions sine qua none d’une solidarité saine entre blancs et non-blancs, c’est à dire une solidarité qui ne reproduit pas la domination raciale, ni la masque derrière une oppression économique, certes réelle, mais qui n’explique pas l’écrasement des non-blancs. Un antiracisme politique permet d’éviter un enferment communautaire (on ne reste qu’entre blancs, qu’entre noirs, qu’entre arabes, etc…) pour aller vers un positionnement politique : défends-tu ou combats-tu le maintien des privilèges blancs ?

Enfin, un antiracisme politique, contrairement à l’antiracisme moral, permet de lutter efficacement contre le racisme. L’antiracisme moral se contente de dire aux gens ce qui est bien ou pas bien de penser, ce qu’il faut penser et ce qu’il ne faut pas penser. Pour lui la question du racisme est uniquement limitée aux individus, il se contente de leur faire la morale comme si le racisme n’était qu’une question d’individus sans prendre en compte la société dans laquelle ils vivent . L’antiracisme politique quant à lui pose la question du fonctionnement de la société, de son organisation. Certes, il est louable de dire que le racisme est mauvais, que ce n’est pas bien, mais vouloir changer les mentalités des gens sans se poser la question du fonctionnement de la société où ils vivent est une impasse, où les gauches sont aujourd’hui piégées, et c’est précisément ces questions que soulève l’antiracisme politique

Atman Zerkaoui, membre du PIR

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