Communiqué du MIR

Il faut sauver le soldat Guy Môquet des griffes de Sarkozy !

La dernière lettre de Guy Môquet, résistant communiste de 17 ans, fusillé par les nazis après avoir été livré par la police française, sera lue aux lycéens le 22 octobre prochain. Afin, dit-on, de réveiller le patriotisme des jeunes.

Plutôt que de proposer une refonte de l’enseignement de l’histoire destinée à ouvrir l’horizon des jeunes sur le monde, à rompre avec les versions tronquées qui présentent la France comme la « lumière » de l’humanité, une nation qui aurait existé depuis la nuit des temps, glorieuse et héroïque, occultant au passage les crimes de l’esclavage et de la colonisation et, bien sûr, l’histoire des autres peuples, cette cérémonie s’inscrit dans le cadre d’une politique nationaliste et raciste.

En rendant hommage au jeune Guy Moquêt, mort pour la France, Nicolas Sarkozy cherche à réaliser une « Union Sacrée », chauvine, et à faire oublier qu’aujourd’hui ce sont les morts par la France qui sont absent des programmes scolaires. C’est d’autant plus scandaleux qu’au mois d’avril un arrêté visant à la refonte des programmes scolaires en primaire a rétrogradé la place accordée à l’esclavage dans les manuels.

Le patriotisme que veut promouvoir Nicolas Sarkozy en inculquant aux lycéens la « fierté d’être français » est le complément des multiples mesures destinées à stigmatiser l’immigration postcoloniale et les jeunes des quartiers populaires, la « racaille » qu’il présente comme une menace pour l’« identité de la France ».

Le Mouvement des indigènes de la République appelle les enseignants et les lycéens à contester ce qui représente un deuxième assassinat de Guy Môquet et à manifester leur refus d’une transformation de l’Ecole en lieu de propagande chauvine et raciste. Nous proposons que le 22 octobre 2007 soit lue et discutée en classe la lettre où Franz Fanon (disponible en cliquant sur le lien ci-dessous) , ce psychiatre antillais anticolonialiste, présente sa démission de l’hôpital de Blida, en Algérie, avant de s’engager dans la lutte de libération nationale du peuple algérien.

Le Mouvement des indigènes de la République (collectif IDF) Le 7 octobre 2007

La lettre de Frantz Fanon (1956)

Lettre au Ministre Résident

Monsieur le docteur Frantz Fanon Médecin des Hôpitaux Psychiatriques Médecin-Chef de service à l’Hôpital Psychiatrique de BLIDA-JOINVILLE à Monsieur le Ministre Résident. Gouverneur Général de L’Algérie Alger

Monsieur le Ministre,

Sur ma demande et par arrêté en date du 22 octobre 1953, Monsieur le Ministre de la Santé Publique et de la Population a bien voulu me mettre à la disposition de Monsieur le Gouverneur Général d’Algérie pour être affecté à un Hôpital Psychiatrique de l’Algérie.

Installé à l’Hôpital Psychiatrique de Blida-Joinvile le 23 novembre 1953, j’y exerce depuis cette date les fonctions de Médecin-Chef de service. Bien que les conditions objectives de la pratique psychiatrique en Algérie fussent déjà un défi au bon sens, il m’était apparu que des efforts devaient être entrepris pour rendre moins vicieux un système dont les bases doctrinales s’opposaient quotidiennement à une perspective humaine authentique.

Pendant près de trois ans je me suis mis totalement au service de ce pays et des hommes qui l’habitent. Je n’ai ménagé ni mes efforts ni mon enthousiasme. Pas un morceau de mon action qui n’ait exigé comme horizon l’émergence unanimement souhaitée d’un monde valable.

Mais que sont l’enthousiasme et le souci de l’homme si journellement la réalité est tissée de mensonges, de lâchetés, du mépris de l’homme.

Que sont les intentions si leur incarnation est rendue impossible par l’indigence du cœur, la stérilité de l’esprit, la haine des autochtones de ce pays ? La Folie est l’un des moyens qu’a l’homme de perdre sa liberté. Et je puis dire que placé à cette intersection, j’ai mesuré avec effroi l’ampleur de l’aliénation des habitants de ce pays. Si la psychiatrie est la technique médicale qui se propose de permettre à l’homme de ne plus se sentir étranger à son environnement, je me dois d’affirmer que l’Arabe, aliéné permanent dans son pays, vit dans un état de dépersonnalisation absolue.

Le statut de l’Algérie ? Une déshumanisation systématisée.

Or le pari absurde était de vouloir coûte que coûte faire exister quelques valeurs alors que le non-droit, l’inégalité, le meurtre multi-quotidien de l’homme était érigé en principes législatifs. La structure sociale existant en Algérie s’opposait à toute tentative de remettre l’individu à sa place.

Monsieur le Ministre, il arrive un moment où la ténacité devient persévération morbide. L’espoir n’est plus alors la porte ouverte sur l’avenir mais le maintien illogique d’une attitude subjective en rupture organisée avec le réel.

Monsieur le Ministre, les événements actuels qui ensanglantent l’Algérie ne constituent pas aux yeux de l’observateur un scandale. Ce n’est ni un accident, ni une panne du mécanisme.

Les événements d’Algérie sont la conséquence logique d’une tentative avortée de décérébraliser un peuple. Il n’était point exigé d’être psychologue pour deviner sous la bonhomie apparente de l’Algérien, derrière son humilité dépouillée, une exigence fondamentale de dignité. Et rien ne sert, à l’occasion de manifestations non simplifiables de faire appel à un quelconque civisme.

La fonction d’une structure sociale est de mettre en place des institutions traversées par le souci de l’homme. Une société qui accule ses membres à des solutions de désespoir est une société non viable, une société à remplacer. Le devoir du citoyen est de le dire. Aucune morale professionnelle, aucune solidarité de classe, aucun désir de laver le linge en famille ne prévaut ici. Nulle mystification pseudo-nationale ne trouve grâce devant l’exigence de la pensée…

Le travailleur dans la cité doit collaborer à la manifestation sociale. Mais il faut qu’il soit convaincu de l’excellence de cette société vécue. Il arrive un moment où le silence devient mensonge. Les intentions maîtresses de l’existence personnelle s’accommodent mal des atteintes permanentes aux valeurs les plus banales.

Depuis de longs mois ma conscience est le siège de débats impardonnables. Et leur conclusion est la volonté de ne pas désespérer de l’homme, c’est-à-dire de moi-même. Ma décision est de ne pas assurer une responsabilité coûte que coûte sous le fallacieux prétexte qu’il n’y a rien d’autre à faire.

Pour toutes ces raisons, j’ai l’honneur, Monsieur le Ministre, de vous demander de bien vouloir accepter ma démission et de mettre fin à ma mission en Algérie, avec l’assurance de ma considération distinguée.

Franz Fanon

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