Moyen-Orient

Il faut que cessent les polémiques entre sunnites et chiites !

Nous sommes épouvantés. Depuis quelques semaines, une controverse d’une violence extrême oppose certaines sphères de l’islam sunnite arabe et des portes paroles plus ou moins officieux des autorités chiites iraniennes.

Cette querelle désastreuse a été provoquée par une déclaration du cheikh Youssef al-Qaradhawi s’inquiétant de ce qu’il considère comme une volonté iranienne de « convertir » à la doctrine chiite les jeunes arabes sunnites, au risque, selon lui, de déstabiliser les société arabes. Aussitôt, une agence de presse iranienne a publié un article dont l’objectif était de délégitimer la parole du savant musulman sunnite. Cet échange, excessif dans le contenu et outrancier dans la forme, a été immédiatement relayé par les médias, des milieux politiques aux intentions plus ou moins claires s’en sont rapidement emparés, et une spirale polémique s’est enclenchée dont les conséquences risquent d’être catastrophiques si elle se poursuivait.

N’étant pas dans le secret des Etats et des forces politiques qui déterminent le destin du Moyen-Orient, nous ignorons une grande partie des facteurs et des motivations réelles qui ont ouvert la voie à une telle discorde. Les déchirements politiques et les rapports de forces communautaires dans l’Irak occupé, au Liban ou dans l’ensemble du monde musulman, sont ce qu’ils sont. L’Iran aspire à s’imposer comme puissance régionale majeure et il se pourrait bien qu’elle en ait effectivement les moyens. Faut-il nous en inquiéter, nous qui tentons d’agir pour mettre un terme à la domination occidentale et sioniste ? Notre enjeu majeur, dans la conjoncture actuelle, est-il d’empêcher l’Iran de parvenir à ses fins ? Non. Ce qui nous inquiète n’est pas la puissance iranienne mais la déliquescence des Etats arabes ; c’est la destruction de la société arabe et de son potentiel de résistance dont la politique de ces Etats est responsable ; c’est la veulerie qui les caractérise face aux Etats-Unis et à l’Etat colonial qui a pour nom « Israël ». Non seulement ils ont renoncé à tout projet unitaire arabe et se sont jetés dans les bras de l’Etat sioniste, mais, pour certains, ils attendent avec une impatience à peine dissimulée que les bombes américaines et israéliennes s’abattent sur l’Iran. Ils sont même disposés à perdre des milliards de pétrodollars, en cas d’interruption du trafic maritime dans le détroit d’Ormuz, pourvu que l’Iran soit écrasée. En vérité, toute résistance les embarrasse et d’où qu’elle vienne. Tout ce qui les empêche de ramper plus encore devant les Etats-Unis et Israël doit être détruit. Tout ce qui leur interdit de présenter leur capitulation comme la condition de survie des Arabes doit disparaître. Et s’ils se permettent quelques pressions timides par rapport aux droits du peuple palestinien, ce n’est que pour une seule raison : ils espèrent qu’Israël consente enfin à quelques concessions « raisonnables » qui les autorisent à dire à leur peuple : « ça y est la cause palestinienne a été réglée ; le temps est enfin venu d’offrir notre âme au sionisme ». Voilà où nous en sommes aujourd’hui. Faut-il, parce que ces Etats sont à majorité sunnite, leur apporter un quelconque soutien ? Faut-il, fut-ce implicitement, regretter la force iranienne parce que le peuple iranien est à majorité chiite ? Faut-il, d’une manière ou d’une autre, faciliter l’offensive impériale contre l’Iran ? Avons-nous le droit, dans ce contexte, de semer la confusion et de diviser les rangs de tous ceux qui, quelques soient leurs raisons et leurs intérêts et même si ce ne sont pas toujours les nôtres, font obstacle à la domination américaine et sioniste au Moyen-Orient ? Certainement pas. Rien ne nous fait plus de mal, en Irak occupé, que d’assister, impuissants, à ces guerres intestines, aux manœuvres sournoises des uns et des autres, plus ou moins arrangées en collaboration avec les forces d’occupation, alors que nous espérions la constitution d’un front uni contre la colonisation. Rien ne nous fait plus de mal que ces compétitions sunnites/chiites ou arabo-perses qui empêchent la solidarité arabo-musulmane de se déployer pour faire face à l’ennemi.

Nous enrageons, oui nous enrageons de voir que cette polémique s’exacerbe juste au moment où les sanctions pleuvent sur l’Iran et où les puissances impériales préparent une effroyable guerre. Nous vivons, pour notre part, en France, un pays peuplé de plusieurs millions de musulmans pour la plupart d’origine maghrébine et africaine. Sans nous faire trop d’illusions sur l’impact actuel de nos mobilisations, notre dignité nous impose de tendre toutes nos forces pour développer la solidarité de nos sœurs et frères arabes, africains, iraniens, sunnites ou chiites peu importe, face à l’éventualité d’une guerre contre l’Iran. Mais comment pourrons-nous y parvenir si sunnites et chiites se déchirent au Moyen-Orient, si le message qui nous parvient de là-bas est que l’influence de « missionnaires » chiites dans les pays arabes est un danger bien plus grave que les bombes et les missiles américains et israéliens ?

Nous sommes bien présomptueux d’appeler à l’arrêt de ces dangereuses polémiques comme si nos mots pouvaient avoir la moindre valeur. Mais nous ne pouvons nous taire et que notre parole, jointes à d’autres voix, puisse contribuer à faire cesser la discorde.

Houria Bouteldja, Sadri Khiari

(Membres du Mouvement des Indigènes de la République)

Paris, le 28 septembre 2008

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