Grand Satan

Hamé : « La condition des Noirs américains est abominable »

Hamé, le rappeur du groupe La Rumeur, a passé une année aux Etats-Unis où il a étudié le cinéma à la Tisch School Of the Art. Pour leJDD.fr, il revient sur son expérience américaine, évoque les élections, Barack Obama et le système d’intégration à la française. Réflexions croisées sur la condition noire, les minorités et le communautarisme des deux côtés de l’Atlantique…

Vous avez vécu une année de campagne électorale. Impressions ?
Je suis rentré en juin dernier, donc j’ai surtout vécu les prémices avec les primaires. J’ai vécu les rendez-vous des Super Tuesday, c’est écrasant, envahissant, vertigineux, un incroyable spectacle. J’avais l’impression de me retrouver face à une énorme grand-messe. C’est très solennel, et ce n’est pas vécu sur le mode de la dérision, comme on pourrait avoir tendance à le percevoir en France. C’est presque comme un instant de crise, un truc extrêmement grave et inquiétant qui va déterminer une année zéro, en particulier sur cette élection. Dans la sphère universitaire que je fréquentais, les gens étaient démocrates à quasi 100% et à 70-80% pro-Obama. Mais je trouve qu’il y a un surinvestissement sur la figure d’Obama sans doute proportionnel au désir de changement des Américains. Moi, je n’y crois pas une seconde.

Il ne serait pas autant porteur d’un renouveau dans la vie politique américaine ?

Il représente, incarne, cristallise une évolution dans les lignes de fractures au sein de la société américaine. Mais il ne fera pas de miracle, il ne va pas bouleverser la vie des Américains au point où on semble vouloir l’entendre, une sorte de mise à plat de toutes les violences internes à la société US. En tout cas, l’engouement autour de sa personne marque la cristallisation d’un besoin réel de rompre avec la précédente administration, cette politique « fascisante » à l’intérieur et à l’extérieur, ce sont des mots que j’entendais de la part d’étudiants et de professeurs. Donc oui, il y a ce besoin de changer de vision, de politique, d’attitude. Et la figure d’Obama est le réceptacle de tout ça.

On oppose souvent le modèle d’intégration américain au système français…

Il s’agit de deux systèmes basés sur des mythes différents. En France, c’est le mythe d’une nation une et indivisible, un modèle très centralisateur, bref jacobin. Avec une sorte de méfiance et de suspicion par rapport à l’altérité et à l’hétérogénéité. On a toujours ce besoin de vouloir faire entrer dans le même moule des choses complètement différentes, quitte à les éradiquer, les nier. Aux Etats-Unis, il n’y a pas cette dimension d’une intégration par l’individu. L’intégration se fait à partir de sa communauté. Et surtout à partir du fric. Ce qui a changé pour les Noirs, c’est qu’en trente ans, il y a eu une formidable diversification sociale et une infime frange de la communauté noire a pu accomplir une ascension sociale fulgurante. A tel point qu’aujourd’hui, parmi les plus grandes fortunes américaines, on trouve des Noirs américains. Une partie de la communauté noire a prouvé qu’elle pouvait aux affaires être plus efficace que ses congénères noirs.

Et en France ?

En France, démographiquement, ça n’existe pas. Aux Etats-Unis, le poids économique que ces Noirs représentent se traduit ensuite dans la visibilité politique et la présence d’un candidat noir à la présidence. C’est une répercussion normale. En France, ce n’est pas le cas, le fameux « plafond de verre » n’a pas encore explosé. Je ne sais pas si ça va avoir lieu, je ne sais pas s’il faut lutter dans ce sens, se livrer à l’exercice du lobbying. Je n’en sais rien. Certains semblent le penser, il existe des tentatives en ce sens… Mais c’est un aveu cuisant d’échec et d’hypocrisie révélée de ce système d’intégration au mérite, comme on le conçoit en France… Ce système a échoué. Mais la condition globale des Noirs américains, elle est juste abominable. J’ai pu le constater à Brooklyn, Staten Island, il existe une sous-humanité où les Noirs sont sur-représentés. Il suffit de se référer à la réalité du système pénitentiaire américain où les afro-américains représentent 80% de la population carcérale.

Un candidat noir aux USA, cela ne risque-t-il pas d’aiguiser les revendications communautaires en France?

C’est déjà le cas, sur le thème: « pourquoi ce qui se passe là-bas ne pourra jamais se produire ici? » Une question qui n’aurait pas pu être posée il y a deux ans. Par ricochet, on en revient à nous et le problème de la surreprésentation des minorités au bas de l’échelle, aux étages inférieurs. Du coup, ça interroge notre système de manière structurelle, vu qu’appartenance raciale et sociale bien souvent se superposent. Est-ce qu’on n’a pas loupé un train ? Y-aurait-il en France une question raciale qu’il s’agirait d’appréhender avec la même crudité qu’aux Etats-Unis ? D’autant que le système US a toujours servi de repoussoir pour justifier et vanter les mérites du système à la française, ou la conception que l’on se fait de l’altérité et de l’égalité. Ce vernis, il est en train de se craqueler. Donc oui, la candidature d’Obama, c’est un levier incroyable dans la tête des gens et des minorités… Donc est-ce que les « Beurgeoisies » et les « Blackgeoisies » locales vont être cooptées par les mêmes qui il y a quelques années fermaient les portes? Je n’en sais franchement rien.

Et les nominations de Rachida Dati, Fadela Amara, Rama Yade?

C’est une manière assez habile de déplacer le débat, on leur souffle leurs textes. Ce sont des figures qu’on monte en exemple mais pour mieux refermer et verrouiller les portes. Je ne trouve pas ça très ambitieux comme politique d’ouverture. Les problèmes sont collectifs et sociaux, y répondre par des promotions individuelles, c’est déplacer le problème. Il ne s’agit pas de nommer un arabe ou un noir à des postes régaliens pour avoir dans le même temps une politique à destination des populations dont ils sont issus extrêmement rétrogrades, mener une politique complètement infamante en matière d’immigration, avec un renforcement toujours croissant du maillage répressif au sein des quartiers… On donne le change en faisant la promotion de quelques figures qui vont allègrement relayer un discours qu’ils n’ont pas produit, mais le problème est entier et il s’est même aggravé depuis les émeutes de 2005.

Et vous comptez retourner aux Etats-Unis?

Oui l’année prochaine, je m’y suis créé des opportunités, on m’en propose d’autres, j’y retourne. Je n’ai pas une vision monolithique des Etats-Unis. C’est le pays par excellence du contraste et de l’anachronisme où une chose et son contraire peuvent se côtoyer. Ce qui est fascinant dans la vie américaine, c’est la multiplicité des niches… Dans le domaine de la création, des choses sublimes se font à partir de capitaux, de structures de production privées… L’Amérique, c’est un système fédéral, complètement décentralisé, multipolaire. Le culte de l’initiative individuelle qui produit beaucoup de désastres mais offre aussi de belles opportunités. Il y a des angles morts, ce que j’appelle des niches, et dans ces niches se créent des expériences artistiques d’une audace et d’une inventivité incroyables. Je suis très curieux de tout ça. J’ai encore le sentiment que les Etats-Unis restent un eldorado pour les gens qui se voient refuser des opportunités là où ils se trouvent. Un pays de tous les possibles, conformément à son mythe fondateur.

Source : http://www.lejdd.fr/cmc/elections-americaines-2008/200844/hame-la-condition-des-noirs-americains-est-abominable_161834.html

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