Extrait de : pour une politique de la racaille

Fragments sur le champ politique blanc

Un militant du MRAP a eu la malencontreuse idée d’employer la formule « PS blanc », déchaînant une gigantesque campagne de dénonciation au sein de l’association antiraciste. Il n’y a pourtant nulle trace de racisme dans cette formule. Elle se contente de prendre acte de la nature postcoloniale du système politique et de ses différentes composantes. Le PS est blanc, comme est blanc l’ensemble du champ politique dont est exclue cette frange de la population qui a pour stigmate de n’être pas blanche ou de n’être pas considérée comme telle du fait de son origine coloniale.

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On pourrait, avec les mêmes précautions, parler de partis masculins. Dans un numéro récent de Politis, Joan Scott cite une formule tout à fait pertinente de l’historienne Michelle Perrot :

« L’universel est un cache-sexe qui ne recouvre le plus souvent que du masculin et qui a servi à exclure les femmes du gouvernement de la cité » [Politis du 20 octobre 2005].

Dire cela ne choque plus grand monde aujourd’hui – du moins, à gauche. Il est désormais largement admis que les institutions constitutives du champ politiques sont dominées par des hommes – ce qui est difficilement contestable – et qu’elles reproduisent des logiques de domination masculine. De manière similaire, comme on parle de partis bourgeois et qu’on pourrait parler de partis masculins, il est parfaitement légitime de définir comme blancs des mouvements qui contribuent à la reproduction des hiérarchisations ethniques de la société postcoloniale.

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Aux Etats-Unis, non plus, la nationalité américaine ne fait guère de sens pour de nombreux Noirs. Malgré la conquête des droits civiques, ils savent bien qu’ils n’ont qu’une place subordonnée dans le système politique. Malcolm X l’exprime parfaitement bien :

« Je ne suis pas démocrate, je ne suis pas républicain et je ne me tiens pas même pour un Américain. (…) Ces Hongrois qui viennent de débarquer, ils sont déjà des Américains ; les Polonais sont déjà des Américains ; les émigrants italiens sont déjà des Américains. Tout ce qui est venu d’Europe, tout ce qui a les yeux bleus, est déjà américain. Et depuis le temps que nous sommes dans ce pays, vous et moi, nous ne sommes pas encore des Américains. »

Ou encore :

« L’ “homme” (blanc) lui dit et lui répète : “vous êtes américain”. Mais mon vieux, comment pouvez-vous vous prendre pour un Américain, alors que jamais vous n’avez été traité en Américain dans ce pays ? (…) Supposons que dix hommes soient à table, en train de dîner, et que j’entre et aille m’asseoir à leur table. Ils mangent ; mais devant moi il y a une assiette vide. Le fait que nous soyons tous assis à la même table suffit-il à faire de nous tous des dîneurs ? Je ne dîne pas tant qu’on ne me laisse pas prendre ma part du repas. Il ne suffit pas d’être assis à la même table que les dîneurs pour dîner. »

Comment les Français issus de l’immigration pourraient-ils se reconnaître dans les institutions politiques françaises alors que celles-ci les invitent au mieux à s’asseoir à leur table mais que leurs assiettes restent désespérément vides ? Le reproche qui leur est fait de ne pas participer au système politique n’est en vérité qu’une expression supplémentaire de l’injonction paradoxale à l’« intégration ». On vous exclut et on vous somme en même temps de vous intégrer. Comme vous ne le faites pas, c’est bien vous le coupable et non pas le système politique. Et comme vous êtes coupables, cela prouve bien que celui-ci a raison de vous exclure !

Ce texte est le premier d’une série de quatre extraits du livre de Sadri Khiari, Pour une politique de la racaille.Immigré-e-s, indigènes, jeunes de banlieue, que nous recommandons vivement. Il est extrait, comme les trois textes suivants, du chapitre III, intitulé : « Le champ politique blanc ».

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