Quartiers Post-coloniaux

Foulard, Lutte des classes et Mouvement social des Quartiers populaires.

Nous accueillons sur notre site diverses tribunes et analyses des mouvements sociaux des quartiers populaires et de l’immigration post-coloniale. Mohamed BENSAADA de Quartiers Nord/Quartiers forts (Marseille) en fait partie et vous propose, ici, une intéressante analyse de ce que l' »affaire » Ilham Moussaïd relève en terme de colonialité des rapports qu’ont les partis politiques avec les quartiers et ce qu’il est convenu d’appeler la Diversité, c-a-d les Noirs et les Arabes.

La polémique en cours est révélatrice du malaise et de l’incompréhension qui tourne autour de la présence d’Ilham sur la liste NPA du Vaucluse. Les commentaires et les réactions qui répondent à ce texte enfonce le clou et me conforte dans l’idée que c’est bien la posture ethno centrée de cette réflexion qui est à l’origine de ce « malentendu ».

M’est avis que si nous voulons discuter de cette question il va falloir faire un énorme travail introspectif sur les valeurs d’universalisme auxquelles beaucoup se référent.

L’argument qui consiste à assimiler le port du foulard par Ilham comme un signe irréfutable de sa soumission à l’ordre phallocratique musulman est utilisé, souvent inconsciemment, pour exonérer l’oppression que notre système sociétal exerce lui-même sur les femmes. Il n’est qu’à voir l’inégalité du traitement salarial entre les sexes en France et dans le reste du monde non musulman pour comprendre que l’égalité homme/femme que prônent les détracteurs de cette candidature n’est encore qu’une tournure de style et un biais psychologique réconfortant .Il n’est qu’a voir aussi le nombre des violences faîtes aux femmes dans ce pays où une femme meurt tous les trois jours rouée de coups ! Il n’est qu’à voir le totalitarisme et la banalisation des violences et des pratiques humiliantes que distille l’industrie pornographique dans les mentalités et les comportements. Pour l’heure cet argument ne sert que de postulat de départ à la construction du discours islamophobe. Bien entendu toutes celles et ceux qui utilisent cet argument ne sont pas forcément islamophobes, parfois ils sont mêmes sincèrement convaincus qu’ils œuvrent, en bons féministes, à l’émancipation des femmes dans le monde. Pour autant il faut revenir en arrière et mettre en perspective tout le « relief » historique de cette question et se rappeler que la colonisation et son cortège de malheurs fût longtemps justifié par l’apport de la civilisation aux peuples indigènes et par la libération des femmes, il faut prendre en compte ce passif post colonial qui provoque chez les français de confession musulmane, et ce quelle que soit l’intensité de leur pratique ou de leur adhésion religieuse, une réaction épidermique de protestation. On peut continuer à ignorer les blessures de l’histoire et feindre de croire que le questionnement que suscite un épiphénomène comme la présence d’Ilham sur cette liste est surgit du néant. On peut mais c’est nier la réalité et ne pas raisonner avec le minimum d’empathie nécessaire. Parler de ce bout de tissu et contester à cette jeune femme le droit d’apparaitre sur une liste électorale, c’est se camper dans le déni et la négation même de son être, la condamner pour son apparence sans se soucier de ce qu’elle fait, de ce qu’elle est ou de ce qu’elle dit. Cette histoire de foulard, de voile entre autres accessoires « ostentatoires », résonne comme une cérémonie du dévoilement qui n’en finit pas…

On peut gloser à l’infini sur le « timing » et sur l’instrumentalisation que pourrait en faire le Nouveau Parti anticapitaliste ; J’ai directement posé la question à des camarades encartés au NPA et j’ai même discuté avec Ilham, pour savoir si elle aurait été présente sur cette liste sans son foulard, question anodine mais essentielle ; Et la réponse est indubitablement oui, parce que cette militante est avant tout anticapitaliste, féministe, écologiste et internationaliste et que c’est en tant que telle qu’elle se présente ! Partant de là, et si l’on évite la sempiternelle suspicion et l’accusation éculée du « double discours », rien ne s’oppose à sa candidature. La Laïcité n’est pas au cœur du problème parce que le foulard que porte certaines femmes de ménages n’irrite personne et que ce qui est en jeu dans cette histoire c’est encore une fois l’acceptation ou la visibilité de l’Islam dans l’espace public en général et dans le champ politique en particulier. Que les chose soient bien claires, Ilham dans son discours n’est aucunement prosélyte et ne mets pas en avant sa singularité ou une quelconque revendication d’ordre religieux, elle est donc de fait qualifiée pour porter un discours, qui par ailleurs est très cohérent, discours directement lié à son activité de militante sociale et politique de la cause des quartiers populaires. De plus, contrairement à celles et ceux qui prennent trop souvent la parole en lieu et place des habitants de ces quartiers, et s’autoproclament de facto comme portes paroles des quartiers populaires, Ilham veut juste faire entendre sa voix de citoyenne et de militante, lui refuser ce droit c’est à nouveau demander qu’elle soit traitée comme un corps d’exception.

Si cette candidature présente un intérêt, c’est surtout qu’elle déconstruit le schéma classique des relations entre le politique et les classes populaires. Lorsque je parle de classes populaires, je dis surtout les arabes et les noirs de ces quartiers ou pour être politiquement correct les minorités visibles. Il faut bien comprendre que la cinquième République dans sa lente agonie démocratique ne s’émeut pas du traitement post colonial infligé a cette partie de la population :

L’abstention étant devenu un sport de compétition dans ce pays, le mépris institutionnel et l’application de politique inadaptées aux problèmes de cette catégorie d’électeurs (ou de non électeurs) conduisent à un désespoir et à un désintérêt que le capitalisme entretient avec assiduité.

Pour faire bonne figure les exécutifs et les agences de communication ont mis au point un stratagème électoraliste de diversion massive qu’ils ont appelé Diversité. Cette diversité est un double levier politique, il permet d’une part de se lover confortablement dans la certitude que la France est un pays tolérant et qu’il s’applique les principes moraux d’Egalité et de Justice sociale dont il est le garant. D’autre part il promeut de façon paradoxale une Diversité homogénéisée ; Il y’a aujourd’hui des candidats et des candidates de la Diversité qui répondent point par point aux valeurs normatives d’un « standard type » de l’élu des minorités visibles. La qualité ou les compétences n’entrent que pour très peu dans cette grille de lecture basée sur les méthodes du casting, il faut à ce futur élu devenir la projection fantasmée du « bon prototype » comme dirait l’inénarrable Brice Hortefeux. Il doit bien présenter, dire ce que l’on veut l’entendre dire et faire ce que l’on veut qu’il fasse, il ne doit pas prendre d’initiative politique sans en référer au préalable à son Pygmalion politique et surtout il doit en période électorale être celui ou celle qui organisera des rencontres « sur le terrain » avec cette France qu’on renie le reste du temps mais avec laquelle il est de bon ton de partager quelques gâteaux au miel, un thé à la menthe ou pourquoi pas carrément un couscous républicain, c’est toujours très bon en terme d’image d’avoir accès à ces coins reculés de la France, cela démontre la proximité du politique et ça rajoute une note exotique toujours très « savoureuse ».

Ilham, et d’autres ne répondent pas à ces critères et le NPA vient tout bonnement (sans le savoir ?) de changer les règles du jeu. Pour faire de la politique dans nos quartiers il faudra dorénavant être soi même, que l’on porte un foulard, un boubou, un col Mao, un T-shirt, un costume gris ou un bleu de chine, l’essentiel n’est plus dans l’apparence et la communication mais dans l’épaisseur du discours politique, la fermeté de l’engagement, les convictions et le courage. Ces élus issus de l’immigration post coloniale existent déjà et certains font honneur à leur mandat, non pas qu’ils/elles soient les élus de telle ou telle communauté, mais simplement parce que leur promotion démocratique ne s’est pas accompagnée d’un reniement, ou d’un abandon des causes qu’ils/elles ont défendues !

A l’intérieur et à l’extérieur des partis une nouvelle offre politique voit progressivement le jour, à Marseille, Paris, Lyon, Lille et partout ailleurs, des collectifs d’associations se montent dans les quartiers et commencent à élaborer les prémices d’un socle commun de revendications ; L’unité viendra si les analyses et les objectifs sont les mêmes, il faudra alors parler de programme et d’organisation…Chaque choses en son temps.

Ce qui est clair c’est qu’aujourd’hui au-delà de la polémique stérile le NPA vient de signifier qu’il en était conscient et que la soumission n’est pas forcément là ou on la croit. Le mouvement social des quartiers populaires est en marche, il aura des alliés et des adversaires…A chacun d’assumer, mais l’histoire à un sens quoi qu’on en dise et la lutte des classes continue !

Mohamed BENSAADA

Pour Quartiers Nord/Quartiers forts

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