Mieux nous comprendre 4

Face au pouvoir raciste qui oppose les Noirs et les Arabes, construisons l’unité de tous les anticolonialistes !

Le document qui suit fait partie d’une série de textes en préparation destinés à présenter d’une manière claire et accessible certaines prises de position adoptées à notre Congrès constitutif. En effet, formulées souvent de manière très concentrée, celles-ci nous ont semblé parfois mériter d’être explicitées plus précisément à l’intention notamment des sympathisants les moins expérimentés.

Qu’est-ce qui fait le plus peur à nos adversaires, racistes et colonialistes de tout poil ? Que les Noirs, les Arabes et les Musulmans s’organisent ensemble pour défendre leurs intérêts. Quelle est notre plus grande faiblesse, aujourd’hui ? Nos divisions. Ces divisions entravent nos luttes ; elles nous interdisent de constituer une puissance politique autonome, de nous représenter nous-mêmes et de pouvoir tisser des alliances avec d’autres franges opprimées de la population française.

1°) Diviser pour mieux régner

Qui ne connaît pas le fameux précepte « Diviser pour mieux régner » ? La formule est vieille comme le monde ; elle a toujours constitué l’un des moyens de la politique et de la guerre. Le colonialisme ne l’a pas inventé mais il en a fait un usage généralisé non seulement pour imposer son despotisme mais également pour détruire nombre de nos communautés et de nos peuples.

Nous pourrions citer une infinité d’exemples mais nous nous contenterons ici d’en évoquer un qui illustre parfaitement la perversité des tactiques coloniales, destinées à la fois à dominer et à bouleverser les sociétés colonisées. Cela se passe au Maroc, au début du XXème siècle. L’Espagne essaye alors de soumettre les tribus dans les zones qu’elle contrôle. A cette époque, au sein des tribus, l’une des méthodes pour résoudre les conflits – y compris les crimes – était le système des amendes. Les équilibres internes et la stabilité de la société s’organisait alors de cette manière que vont volontairement casser les colonisateurs pour semer la zizanie. C’est ce que reconnaissait tout à fait clairement un colonel espagnol du nom de Riquelme : « La tactique consistait à faire en sorte que les Beni Ouriaghel (une tribu marocaine) se trouvent dans un état constant de guerre et, cela, en ruinant le système des amendes. » Pour empêcher le payement des amendes, les Espagnols avait recours à leur « Arabe de service » au sein de la tribu. Le résultat ne se faisait pas attendre : « Dès lors, on en venait aux coups de feu tirés sur les marchés dont la tenue était interrompue. Il en résultait des vengeances, des dettes de sang, on tuait d’un village à un autre et jamais la tribu n’arrivait à s’entendre pour venir rallier ceux qui nous combattaient (« nous » les Espagnols). Nous avons pu aller ainsi bien des années. La guerre était toujours entre eux et jamais entre nous. »

2°) Une méthode toujours d’actualité.

En France, aujourd’hui, la tactique « diviser pour régner » a atteint un degré inégalé de sophistication. Le but n’est pas (pour l’instant !) d’instaurer un état de conflit meurtrier entre les différentes communautés issues de la colonisation, mais de les séparer, de les hiérarchiser, de les mettre en concurrence, d’empêcher, en un mot, qu’elles ne prennent conscience de leurs intérêts communs.

Cette entreprise s’appuie d’abord sur les histoires, les cultures et les religions différentes des communautés et en particulier sur les divisions qui datent de la déportation et l’esclavage des Noirs et de la colonisation. S’y sont ajoutées d’autres divisions nées du découpage souvent très artificielles des Etats et des nations lors de l’accession de nos pays d’origine à l’indépendance. Enfin, ces divisions ont été renforcées dans l’immigration en France par de multiples méthodes dont la principale consiste à donner aux uns plus de droits qu’aux autres, sur les plans politique, juridique, culturel, économique ou religieux.

Le résultat a été jusqu’à présent efficace : chaque peuple, chaque communauté, chaque groupe culturel ou religieux, s’organise séparément voire en compétition avec les autres. Du coup, les résistances et les luttes sont parcellisées, dispersées, et, en conséquence, impuissantes. Ainsi, des Musulmans se battent contre l’islamophobie, des Antillais agissent pour obtenir des réparations pour la déportation de leurs ancêtres, des Arabes manifestent leur solidarité avec la Palestine, etc. etc., sans qu’aucun lien ne s’établisse entre ces combats que tout devrait unir. On pourrait là encore multiplier les exemples à l’infini. Non seulement ces luttes se mènent séparément, chacun de son côté, mais, en plus, il y a parfois des oppositions en notre propre sein : ainsi, des Maghrébins qui se sentent d’abord arabes et des Maghrébins qui se sentent d’abord berbères.

Comme on l’a dit, le pouvoir accentue volontairement ces oppositions. Il cherche, plus particulièrement, à opposer Arabes et Berbères, Antillais et Africains, Musulmans pratiquants et Musulmans non-pratiquants ou de culture, Africains musulmans et Africains non-musulmans. On pourrait ajouter d’autres clivages que créé ou qu’entretient sciemment le pouvoir : immigrés sans-papiers et immigrés en situation régulière, immigrés et Français issus de l’immigration, anciennes et nouvelles générations, femmes et hommes, habitants des quartiers et « élites » issues de l’immigration, etc.

Mais la division la plus importante que veut renforcer le pouvoir, c’est celle qui sépare les Noirs (de toutes origines) et tous ceux qui sont considérés comme Arabes.

3°) Notre priorité : unir les Noirs, les Arabes et les musulmans !

On nous dit parfois « il faut faire un front de tous ceux qui veulent agir contre le racisme et les discriminations ». Bien sûr. Mais comment parviendrions-nous à construire un tel front si nous sommes incapables de rassembler ceux qui sont les principaux concernés par le racisme et les discriminations, ceux qui vivent au jour le jour et dans leur chair, les politiques menées par le pouvoir ? Pour faire un front avec d’autres forces, il faut d’abord exister pour nous-mêmes, nous unifier et conquérir notre autonomie politique. Il est vrai que dans la bataille politique, les choses ne sont pas toujours aussi simples, les étapes de la lutte se mélangent parfois, mais il est impératif que nos objectifs et notre ligne directrice soient bien établis.

Ainsi, dans le principal document adopté par le Congrès de fondation du PIR, intitulé « Principes politiques généraux », nous les avons énoncés de manière très claire. Nous avons souligné qu’un des enjeux majeurs aujourd’hui est d’unifier l’ensemble des communautés issues de la colonisation autour de leur intérêt commun : construire une force politique indépendante capable d’agir pour que se constitue une nouvelle majorité politique et culturelle en France, susceptible de mettre en œuvre un programme décolonial de lutte contre les inégalités raciales et le caractère impérial de la politique française.

Chaque communauté a bien sûr des revendications et des aspirations qui lui sont propres. Il ne s’agit pas de les oublier. On ne peut pas surmonter des divisions enracinées dans l’histoire en faisant comme si elles n’existaient pas. Notre parti doit donc refléter et permettre le développement et l’expression de toutes les communautés qui existeront en son sein. Nous avons déjà expliqué cela de manière détaillée dans un texte intitulé « La reconnaissance des « communautés culturelles » au sein du PIR » (Voir ICI) qui soulignait à la fois l’importance que chaque communauté puisse s’exprimer et l’importance qu’au sein de notre parti, aucune communauté ne soit privilégiée au détriment des autres.

Le PIR ne sera pas un parti arabe, ou africain, ou musulman ou antillais. Il sera le parti de toutes les communautés opprimées par le système racial et colonial et, en même temps, le parti de tous les indigènes et de tous ceux qui partagent notre combat, rassemblés sans distinction autour d’une identité politique décoloniale commune. Il sera pluriculturel, interculturel et égalitaire, comme la société que nous voulons construire.

Cela ne sera pas facile parce que nos adversaires exploitent la moindre différence entre les communautés, mais aussi parce que chacune de nos communautés a tendance à ne pas tenir compte des autres. Surtout, il faudra combattre en notre propre sein, et même en chacun d’entre nous, les idéologies racistes qui nous poussent à nous mépriser les uns et les autres.

Il est indispensable d’agir dans ce sens. Car, pour contrer les manœuvres de nos adversaires, pour constituer une véritable force, pour gagner en influence et réaliser ses ambitions, le parti des indigènes doit être capable de rassembler les différentes communautés et de développer une politique qui exprime l’unité de la condition d’indigène qui nous est imposée à tous, que nous soyons noirs, arabes ou musulmans. Ainsi, pourra-t-il proposer une perspective décoloniale qui corresponde à nos intérêts et à nos aspirations particulières et communes.

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