Etudiant étranger, Palestinien de surcroît et état d’urgence

Mohamed Sharqawi, doctorant en sociologie à l’EHESS et ancien président de la GUPS – Union générale des étudiants palestiniens – à Paris, raconte les divers obstacles qu’il a rencontrés ces dernières années dans sa demande de nationalité française. Nous relayons son précieux témoignage et tenons à lui exprimer tout notre soutien.

D’origine palestinienne, en raison de mon inscription au sein d’associations soutenant la cause du peuple palestinien en France, ma demande de naturalisation a été rejetée en vertu d’accusations calomnieuses. Au-delà de mon cas, est-ce que le message que renvoie l’État est qu’il serait tout simplement plus raisonnable en France de choisir la clandestinité pour militer pour la Palestine?

Dans un courrier daté le 15 mars 2016, faisant suite à ma demande de naturalisation enregistrée le 6 décembre 2013, le sous-directeur de l’accès à la nationalité française, M. Cyrille Le Vely donnait suite à mon recours hiérarchique datant du 16 juin 2015 en substituant à une décision d’ajournement à deux ans, en raison d’un manque de ressources suffisantes et stables, une décision de rejet retenant l’«activisme au sein de l’Union Générale des Etudiants Palestiniens » (GUPS) ainsi que mon adhésion au « Palestinian Youth Movement » (PYM) accusé d’être une structure affiliée au Front Populaire pour la Libération de la Palestine, et revendiquant d’après son auteur la « résistance contre l’Etat d’Israël » . M. Le Vely m’accusait également d’entretenir des liens avec « des individus prônant la résistance armée et soutenant la cause du Hamas palestinien » lors de ce qu’il a appelé l’«entretien s’inscrivant dans le cadre » de ma demande de naturalisation. Il conclut que mon loyalisme envers la France ne saurait être avéré, selon lui, en raison de mon activisme et de l’environnement dans lequel j’évolue.

Je répondrai évidemment à chacun des points retenus contre moi et en raison desquels M. Le Vely a rejeté ma demande. Je commencerai tout d’abord par soumettre aux lecteurs un bref aperçu de ma vie.

 

Arrivé en France à l’âge de 17 ans après l’obtention d’un baccalauréat au Lycée français de Jérusalem, j’ai eu une licence à l’université Descartes en Sciences Economiques et de Gestion puis un Master en Droit et Politiques du développement dans le même établissement avant de m’inscrire en 2015 en thèse de sociologie à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Tout comme mon parcours universitaire, ma trajectoire de vie dans son ensemble ne pouvait être linéaire. Né au Liban, vivant à Chypre jusqu’à ma cinquième année, puis en Algérie, je suis arrivé en Palestine, pour voir pour la première fois, à l’âge de 10 ans, ce que mes parents appelaient « notre pays ». Peu de temps après, j’apprenais que nous étions originaires de deux villes qui ne figuraient pourtant pas sur la carte des Territoires Palestiniens Occupés (TPO), ni sur celle de la Bande de Gaza. Tabariyyah (Tibériade) et Yafa (Jaffa). Nous vivions en Cisjordanie entre 1997 et 2004, date de l’obtention de mon baccalauréat. Jusque-là, tout allait bien !

Lorsque j’atterris pour la première fois en France en septembre 2004, il fallait aussitôt que l’étudiant étranger que j’étais (et que je suis resté depuis) s’acclimate. Ma banque par exemple, n’avait pas saisi dans sa palette de pays « Palestine » ou TPO, dans son système informatique. J’ai alors usé de la proximité géographique en demandant à la conseillère de mettre la Jordanie comme pays de nationalité pour ouvrir un compte. A l’inscription à l’université, c’était pareil. Mais je me rapprochais un peu plus de ma petite entreprise de reconnaissance puisque l’université Descartes avait la nationalité « Gaza-Jericho ». C’est à la préfecture que c’était le plus comique, la nationalité palestinienne n’étant pas reconnue en France en 2004. En rencontrant d’autres Palestiniens, j’apprenais que certains étaient, aux yeux de l’administration, reconnus comme Libanais ou Jordaniens en raison de leurs pays de naissance ; d’autres pouvaient avoir pour nationalité la mention « indéterminée » quand ils étaient réfugiés des pays avoisinant la Palestine, à savoir le Liban, la Syrie et la Jordanie ; pire encore, certains étaient israéliens parce que la Palestine n’existe pas après tout, on leur disait !

En décembre 2013, j’ai déposé une demande de naturalisation et n’ai reçu la première réponse qu’en juin 2015 relative à l’ajournement de celle-ci à deux ans. A l’occasion de mon premier recours, j’ai pu bénéficier du soutien d’élus PS, notamment un sénateur, un député ainsi que le maire de ma circonscription, pour soumettre mon dossier à un nouvel examen. Mais à la suite de cette démarche, neuf mois après, ma demande a été rejetée à cause de mon adhésion à la GUPS ainsi qu’au PYM.

Mais que sont au juste le PYM et la GUPS ?

Adhérer à la GUPS*, selon M. Le Vely, remettrait en cause ma loyauté envers la France. Cette dernière est pourtant une association étudiante inscrite à la Préfecture de police de Paris et en ce sens régie par la loi du 1er juillet 1901. Le nom de cette association ainsi que la seconde, le Palestinian Youth Movement, paraissent au journal officiel. A ce titre, elles sont toutes les deux reconnues par l’Etat, comme le sont d’ailleurs d’autres associations, des ONG, des syndicats ou même des partis politiques français. Quant au PYM, M. Le Vely considère qu’elle est affiliée au FPLP, ce qui en soi constitue une accusation dont l’ampleur est susceptible de restreindre une personne dans tous ses mouvements ainsi que dans toutes ses activités en France. Non, le PYM n’a jamais été affilié au FPLP ni à aucun autre parti ou mouvement palestinien.

Mais à supposer un instant que ces accusations soient tout sauf diffamatoires, ne suffisent-elles pas à rayer et pour toujours l’existence de ce type d’association en France ? Pourquoi bénéficient-elles au contraire de la reconnaissance de l’Etat? Plus encore, comment les autorités « compétentes » enquêtent-elles et d’où tiennent-elles leurs informations ? Je pense être aujourd’hui en droit de poser ces questions surtout qu’un ajournement, motivé par un manque de ressources suffisantes, avait précédé la décision du rejet alléguant des motifs différents, en l’occurrence militants. Finalement, l’enquête remontant à mes activités militantes, quand bien même celles-ci soient exercées dans le cadre garanti par le droit (ou la liberté) d’association de la loi du 1er juillet 1901, ne constitue-t-elle pas un excès de zèle, ou n’est-ce alors que l’exercice d’une prérogative mystérieuse dont peut jouir M. Le Vely et que lui assurerait aujourd’hui l’état d’urgence ?

L’autre remarque qui n’avait pas manqué d’impertinence est celle de mes présupposés liens avec des individus soutenant, je cite : « la cause du Hamas palestinien » ! En voilà une bonne !

Un avocat spécialiste m’avait d’ailleurs fortement déconseillé de contester cette décision devant le tribunal administratif de Nantes, notamment à cause du climat qui gagne le pays actuellement où la crispation a atteint un tel point que ce genre d’accusation, même fumeux, ne pourrait être remis en cause. Ce que l’avocat voulait me dire en fait, c’est qu’il importerait peu au jour d’aujourd’hui au juge d’enquêter sur le caractère fondé ou non de ces accusations dès lors qu’elles proviendraient d’une telle autorité, et qu’elles comporteraient des désignations du type : « appartenant à » telle, ou des « liens avec » des personnes soutenant telle autre organisation. Inutile donc de porter à l’attention du juge que le tribunal de l’Union européenne avait annulé sa décision de maintenir le Hamas sur sa liste des organisations terroristes en 2015 mais que les gouvernements européens s’obstinent à ce jour à le considérer comme telle.

 

Comment lire ce rejet.

Qu’est-ce qui pourrait bien conduire une personne aussi compétente que M. Le Vely à vouloir retenir, après une décision d’ajournement pour manque de ressources, des éléments tels que mon adhésion à la GUPS ou au PYM dans l’enquête « préalable » dont j’ai sans doute fait l’objet, pour justifier le rejet de ma demande ? Je suis en droit de penser, à juste titre, et ce jusqu’à preuve du contraire, que cette décision n’émanerait en réalité que du jugement purement arbitraire de son auteur. Je me permets également d’interpréter que ce pouvoir est opposé à l’encontre de tout individu, quelle que soit son origine ou son degré d’implication politique, dès lors qu’il s’exprimerait, et ce au sein même d’institutions françaises légales, contre l’Etat d’Israël.

 

Mohammed Sharqawi

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