Controverse

Election d’Obama et faux espoirs. (Dé)mesure de la volonté de puissance….

Notre frère Mohammed Yefsah nous a envoyé le texte ci-dessous où il s’élève contre les « faux espoirs » sucités par l’élection d’Obama. Un avis partagé par la plupart des contributions que nous avons publié sur ce site y compris par celui de Lalla Fatma M’semer (MIR) qui, contrairement à ce qu’a pu comprendre Mohammed, tente simplement d’expliquer les ressorts de l’engouement de très nombreux indigènes pour le nouveau président américain ou, en d’autres termes, de souligner, après tant d’autres, l’aliénation coloniale qui en est à l’origine.

L’élection d’Obama semble susciter l’espérance d’un changement, si l’on se réfère à l’engouement des médias et de l’intelligentsia, y compris dans les rangs des indigènes de la république. La plupart des réflexions, sur l’espoir généré par cette élection, partent de l’individu Obama pour argumenter le changement qui devrait se produire. Cette explication culturaliste a ses limites. Tariq Ramadan pari sur « les multiples identités culturelles de Barack Obama » pour voir un « espoir sans naïveté». Les plus enthousiastes crient à la fin du racisme aux États-Unis d’Amérique, d’autres voient seulement une revanche de l’Histoire et espèrent de nouvelles lumières s’éclairer au-dessus de l’impérialisme sans partage de la première puissance mondiale.

Or rarement, l’on entend dire que Obama est l’expression de la crainte des jours sans lendemain, l’expression même d’une Amérique en crise, invitée par la récession à revoir sa politique sur l’échiquier mondial et local, qu’Obama est le publiciste d’une modération après tant de décennies d’agressivité. Mais modération, révision, réorientation ne signifient pas la fin de l’impérialisme des États-Unis, qui céderaient leurs intérêts en jeu dans la géostratégie mondiale. Bien au contraire, elle n’assouvira pas ses appétits impérialistes, quitte à y laisser sur ses traces de la poussière et du sang. Elle ne va pas abandonner son projet de « Grand Moyen Orient »([Voir à ce sujet l’excellent livre de Hocine Bellaloufi, Grand Moyen Orient : guerre ou paix ?, Ed. Lazhari Labter, Alger, Algérie, 2008. Cet ouvrage sera publie au début 2009 en France. )]et ses multiples stratégies de domination de l’Amérique du Sud et de l’Afrique, de l’Asie et le reste du monde. La position d’Obama sur la question palestinienne et son soutien sans ambiguïté pour Israël en est la preuve. Conscient de la perte de vitesse de son pays, du bourbier irakien, Obama tentera de sauver la maison en feu, en négociant le partage du gâteau avec les autres impérialismes du monde. Quel rôle la politique étrangère a joué dans son élection ? Il est probable que les américains aient été séduits par le discours modéré d’Obama. Toutefois, l’intérêt qu’il a suscité tient surtout à ses promesses d’amélioration des conditions sociales de la majorité, sur laquelle la crise a eu des effets de plus en plus apparents, durant le second mandat de W.Bush.

On constate donc que les articles sur Obama, en France, sont des éloges romantiques, insistant sur la symbolique plutôt que sur le fond politique. La libération est-elle réalisable par la simple symbolique ? L’Amérique a-t-elle fait sa catharsis ? N’est-elle plus raciste ? En abordant la question de la domination du point de vue de la symbolique, faut-il voir ce problème, sous cet angle, pour l’ensemble des pays ou non ? Pourquoi est-on si fier d’Obama en France alors que ce pays reste tranquillement indifférent aux politiques issues de la colonisation ? Restons logiques et soyons alors fiers de Rachida Dati, basanée qu’elle est, disons café au lait, alors qu’Obama est café au chocolat ! La politique de ce monde change selon les couleurs des saisons, les couleurs des cœurs et les couleurs des peaux.

On était tant assommé par des contre-vérités, ces derniers temps, que l’on ne distingue plus la vérité du mensonge. Il y a eu tant de présidents noirs (Obama ce n’est pas le premier dans ce monde, bien évidemment aux États-Unis oui, mais peu importe), de présidents jaunes, de présidents bruns, et de présidents colorés. Les couleurs n’ont pas changé les abîmes de la domination et de la répression. Mais selon le discours ambiant, cela est possible avec un seul homme, le nouveau messie sans messianisme. Dormons tranquille, la conscience en berne, en janvier, les missiles américains, par miracle noir, vont s’arrêter dans le ciel irakien, afghan, palestinien et ailleurs. Les opprimés américains, les pauvres d’Harlem, vont habiter dans les palaces de l’autre Amérique des riches, à côté de leurs frères blancs, bruns et café au lait. Le racisme, l’apartheid, les ghettos vont disparaître du jour au lendemain, apparemment en janvier 2009. C’est une nouvelle année qui commencera, un nouveau monde suivra. Il reste à faire la grande communion, Obama, le prêtre, l’imam (Hussein) ou le rabbin, sera le guide de la cérémonie ; « Que Dieu bénisse l’Amérique ! ».

Les prisons seront vidées des milliers de noirs incarcérés, la cocaïne ne fera plus ravage parmi les laissés pour compte des rues du Bronx, le mur qui sépare l’Amérique du Mexique sera détruit, les femmes seront libres comme jamais elles n’étaient, les ouvriers ne seront plus licenciés, les flics ne brutaliseront plus personne, les soldats vont retourner dans leurs casernes pour ne jamais ressortir, les médias ne seront jamais contrôlés, les indiens seront sortis des «réserves» où ils meurent à petit feu, la mafia sera pourchassée jusqu’à son extinction, la justice sera égalitaire, les Noirs et les Latinos seront les nouveaux rois de l’Amérique, la statut de la liberté sera peinte en noir et en blanc et en marron, Cuba sera un peuple frère, l’impérialisme n’aura plus de sens, le pays en finira avec la dictature du parti républicain et du parti démocrate, en finira avec la dictature du fric et des fliques, et la liste est longue, très longue.

On rêve, mais un rêve n’est jamais innocent ; et il peut toujours tourner au cauchemar. Parfois, quand on ne sait plus quel chemin suivre, il suffit de voir où vont les puissants pour se rendre compte de la solution, du moins comprendre qu’il ne faut pas aller dans la même direction. De la droite à la gauche, en passant par les Indigènes de la république et les médias, le consensus est chanté en chœur sur l’élection d’Obama. Attendez, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. C’est l’heure de se poser des questions. Il faut savoir se mettre en veille et rallumer la machine pour mieux voir ensuite. Depuis le début de la campagne électorale, l’intelligentsia française ne cesse de répéter que la présence d’Obama à cette élection est la preuve de la fin des démons du racisme en Amérique. Maintenant élu, c’est la catharsis. Pour boucler la boucle de ce nouveau rêve, il serait bien qu’à la prochaine présidentielle, l’Amérique élise un président indien, pour la suivante, un président d’origine portoricaine, ainsi de suite. Cachons ce que nous ne voulons pas voir chez nous. Quand sa propre maison brûle, il serait mieux donc de voir les façades de la maison de son voisin pour dire qu’elle tient, qu’elle est jolie et bien bâtie, alors que le feu la consume de l’intérieur. Si les indigènes considèrent que l’élection d’Obama est une fierté, transparente et innocente, ils se gourent ; ou alors poursuivant cette logique jusqu’au bout et soyons alors fier de Rama Yade, Fadéla Amara, et surtout de Sarkozy (il est juif et d’origine hongroise). Et pourquoi pas de Bonaparte; Vive la Corse libre !

Par la réception de l’élection d’Obama à l’Hexagone, il est probable que la France tente de faire sa thérapie par procuration, sur le divan de l’Amérique. Oublions les enfants de la colonisation, ceux des banlieues, et faites leur rêver d’être tous des présidents à tour de rôle. Demandons une présidentielle pour tous les jours, comme ça on passera le maximum de présidents pour régler les vrais problèmes, pas les faux, les vrais de vrais…Depuis que Zidane a gagné la coupe du monde, touché ce magique objet lourd d’or, et devenu milliardaire, rien n’a changé pour les enfants issus de la colonisation. Bien au contraire, ils sont devenus plus en colère encore. Ils sont sortis dans la rue crier leur ras-le-bol de la stigmatisation et de la misère, de la répression et de l’arrogance du pouvoir. L’écrivain Baldwin, loin d’être un radical, disait que « être noir en Amérique, c’est être tous les jours en colère ». Malheureusement, il y a une minorité de noirs qui a cessé d’être en colère. Parmi les forces du capitalisme, il sait récupérer de juste cause, pour leur laisser, dans l’imaginaire politique, que le côté folklorique et moraliste. « Alors pourquoi, nous indigènes, sommes-nous si fiers ? Pourquoi, nous indigènes, avons-nous, quand même, le sentiment qu’Obama nous représente ? » C’est la question que se pose Lalla Fatma M’msemer, dans son article « Obama président. Pas un rêve, un mirage…», paru dans le numéro treize du mensuel des Indigènes de la république, et de porter une explication «magique», voir psychanalytique:
« La réponse est douloureuse : nous sommes fascinés par cette puissance même qui nous a soumis et nous réclamons notre part de cette puissance. Nous sommes fascinés par le G8, nous sommes fascinés par le Conseil de sécurité, par leur modernité et donc par celui qui va l’incarner pour nous. Obama président des States, c’est moi, c’est toi qui dirige le monde. Désormais, on fait partie de la race des seigneurs. Cet état de fait est au cœur de notre impuissance à nous libérer de la suprématie occidentale. Elle est constitutive de ce que nous sommes, nous la protégeons. Nous sommes ses sentinelles. Obama, c’est notre triste revanche sur l’histoire. J’ai pitié de nous. Voyez comment Ils, les Blancs, nous regardent d’un œil satisfait et sarcastique ! ».

Rêve pieu de puissance, rêve qui peut, rapidement, tourner au cauchemar. Et c’est un peu « peau noir, masque blanc ». On veut reproduire les mêmes recettes du maître, car fasciné par sa puissance. Se considérer archaïque cherchant la modernité, c’est avouer un complexe vis-à-vis de l’occident. C’est l’esclave qui aime son maître et qui pleure quand son maître est malade. Rachida Dati n’est-elle pas la patronne du saint puissant appareil judiciaire français ? Une force explosive que l’indigénat pourrait envier. Soldats de la puissance debout ! En d’autres termes, ce passage montre, d’une façon qui pourrait prêter à rire, le fantasme de la petite bourgeoisie à la recherche de la domination, la fascination pour les institutions de la république raciste.

Malcom X se serait retourné dans sa tombe en lisant toutes ces bêtises, lui qui ne cessait de critiquer Martin Luther King de vouloir « l’intégration » chère à Sarkozy et Cie, lui qui ne voulait pas que les Noirs de l’intérieur mènent les noirs de l’extérieur dans le poulailler. Malcom X considérait que la libération des Noirs ne pouvait se réaliser sans une libération sociale. Et au moment où une sorte de front unique germait, englobant les différents mouvements qui luttaient pour la libération de la domination, le régime américain a choisi la répression la plus sanglante et l’assassinat des leaders et des cadres de ces organisations. L’histoire reste à écrire et l’épisode n’est pas encore clos. Jusqu’à ce jour, des centaines de militants du Black Panther Party, du Black Muslims, du American Indian Movement rouillent dans les geôles et les couloirs de la mort. Mumia Abu-Jamal en est la figure emblématique. Le Sioux Leonard Peltier paie son engagement, en tant que prisonnier politique, depuis 31 ans, en moisissant dans les prisons du pays de la Statut de la liberté. Obama fera-t-il donc le geste de les libérer ? C’est le premier geste politique qu’il devrait faire pour reconnaître la lutte courageuse de ces militants et la reconnaissance de leur combat qui lui a permis, à lui, en tant que Noir de faire partie de la classe politique. Les libérer revient à admettre l’implication de l’Etat états-unien dans l’assassinat et la répression sanglante des mouvements qui luttaient pour la fin de la suprématie de la race blanche et pour l’émancipation sociale et culturelle de l’humain.

Vider un événement politique de son contenu social et de son histoire revient à vouloir que la terre tourne à l’envers et rapidement. Obama arrive dans un contexte de crise du capitalisme, parti de son propre pays. Il arrive tel un Bonaparte dans l’arrière coffre d’une banque où les puissants se disputent les billets et revoient les comptes, pour leur dire : « attendez de vous disputer. Doucement les enfants, je suis là, on recompte les billets et on partage sans léser personne de votre auguste assemblée, messieurs, dames. On a trop montré notre goût du luxe, on va se faire un peu discret ». Dans l’assemblée, une personne intervient pour répliquer : « mais je ne veux rien céder pour donner au gueux, c’est le fruit de mon travail pour ma famille. Par la bénédiction du Dieu, je vais défendre mes intérêts avec mes armes. Personne ne pourra me les prendre. La Constitution me donne le droit d’avoir des armes, et je n’hésiterais pas une seconde à y recourir …». Obama l’interromprait : « Si on continue comme ça, on va direct à la catastrophe et on risque de crouler avec les gueux. Jésus ne dit-il pas aimer ses proches et aider les pauvres ?! On va alors leur améliorer un peu le système de santé et leur accorder quelques miettes ». « Et des Noirs, que faire ? » se lève une voix. « Les Noirs ?! Hum, ils ont l’habitude d’attendre ; cela fait 500 ans qu’ils attendent. Ceux d’entre-eux qui ont défrisé leurs cheveux, ont réussi ; regardez ce général, contemplez cette charmante diplomate et soyez fiers de moi. De toute façon, on va demander à tout le monde de serrer la ceinture, sans distinction ni de race ni de couleur, ni de sexe, ni de religion. Alors du calme !».

Le vote, noir et blanc, Obama a montré, peut-être pour une première fois, avec un taux de participation historique, que les américains touchés par la crise se moquent de la couleur de la peau. Face à Mc Cain, Obama a eu un discours, qui promet de revoir la copie de l’ultralibéralisme américain, le plus social. C’est cela qui a fait que Obama a écrasé son adversaire. Le nombre de soutien qu’il a reçu, et les milliards de dollars injectés dans sa compagne électorale, expriment aussi la crainte de la bourgeoisie américaine de perdre ses intérêts, qui pourraient être emportés face aux puissances en marche dans le monde. L’Histoire enseigne qu’à chaque fois que le capitalisme est tombée dans une crise grave, c’est surtout la classe laborieuse, ceux d’en bas, qui paient pour les riches et souffrent de ses conséquences.

L’élection d’Obama ne changera rien aux problèmes des opprimés de l’Amérique et du monde. Elle n’assouvira pas l’appétit vorace de l’impérialisme. La maison blanche ne sera baptisée ni maison noire et ni maison brune par consensus. Il est urgent donc de redéfinir les couleurs politiques et de se soigner du strabisme idéologique. Les faux espoirs sont désastreux contrairement aux combats mélancoliques. Le véritable espoir, c’est que le mouvement social, les forces progressistes, les opprimés de l’empire se lèvent pour changer la face et le cœur de l’Amérique.

Mohammed Yefsah

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