Depuis des semaines, il pariait pourtant sur un rendez-vous avec Nicolas Sarkozy pour ce vendredi, c’est à dire la veille du grand jour. Il n’en sera rien : en milieu de semaine, l’Elysée signifiait au commissaire que Sarkozy ne le recevrait pas (officiellement pour des raisons d’emploi du temps).
Sabeg avait annoncé la couleur à l’avance
Entre temps, il faut dire que Yazid Sabeg a grillé quelques cartouches, annonçant début mars qu’il préconiserait le passage aux statistiques ethniques dans le rapport qu’il devait justement remettre au Président. Or ce n’est pas lui qui sera reçu à l’Elyée cette fin de semaine, mais un fervent adversaire des statistiques ethniques, en la personne de Patrick Gaubert, député européen sorti du giron de Charles Pasqua et président de la Licra, à qui Nicolas Sarkozy avait offert en novembre dernier le Haut conseil à l’intégration (HCI).
Camouflet pour Sabeg, même si son entourage préfère dire pudiquement qu’il attend juste une date du président de la République. Ce chef d’entreprise d’origine algérienne n’a pourtant pas trahi : lorsque Nicolas Sarkozy a décidé de lui tailler ce poste sur mesure, ses positions en faveur des statistiques ethniques étaient notoires.
Le 6 mars, même s’il se veut rassurant, il annonce qu’il plaise en faveur de la statistique ethnique, mais précise que ce sera seulement sur la base du volontariat et dans les limites de l’anonymat.
Sauf que Nicolas Sarkozy, lui, n’a pas une position univoque sur cette question. C’est même le moins qu’on puisse dire, si l’on décrypte ses prises de positions, plutôt friables, depuis deux ans :
– Début 2007, le candidat Sarkozy se prononce en faveur des statistiques ethniques durant la campagne pour l’élection présidentielle.
– Septembre 2007, un amendement rajoute les statistiques ethniques au projet de loi sur l’immigration que le Parlement adoptera en octobre.
– Novembre 2007, le Conseil consitutionnel sanctionne l’article 63 qui concernait les statistiques ethniques, mais pas les tests ADN car « si les traitements nécessaires à la conduite des études sur la mesure de la diversité des origines peuvent porter sur des données objectives, ils ne sauraient reposer sur l’origine ethnique ou la race ».
– Avril 2008, Nicolas Sarkozy, qui n’a pas encore changé de position sur ce dossier officiellement, charge le comité présidé par Simone Veil de préciser si une modification de la Constitution sera nécéssaire pour procéder aux statistiques ethniques.
– Novembre 2007, le président de la République nomme au HCI Patrick Gaubert, adversaire connu des statistiques ethniques.
– 17 décembre 2008, Nicolas Sarkozy lance à grand renfort de médias le commissariat à l’égalité des chances, et nomme à sa tête Sabeg, grand défenseur des statistiques ethniques, tout en prenant acte du rapport que Simone Veil lui rend le jour-même, et qui se prononce contre.
– Janvier 2009, sur son portail, Luc Chatel, porte-parole du gouvernement, écrit explicitement : « Ce que vise la République en effet, c’est que chacun puisse accéder à une citoyenneté pleine et entière avec le sentiment d’appartenir à la Nation, ce creuset qui dépasse les particularismes pour ouvrir sur l’universel. C’est pourquoi on ne peut recourir à des critères ethniques ou religieux, car cela risquerait d’enfermer chacun dans son identité et son histoire, de réveiller de vieux démons ou de remettre en cause le principe de laïcité. »
– 6 mars 2009, alors que 55% des Français et bon nombre d’associations sont contre, Yazid Sabeg persiste et signe et annonce dans un entretien au Monde les statistiques ethniques à la française, avec toutefois des gardes-fous.
– 20 mars 2009, à Bruxelles une partie de la journée, Nicolas Sarkozy boude son commissaire à l’égalité des chances à la veille de la journée de lutte contre les discriminations.
Gaubert sûr de son ascendant
Sollicité par Rue89, Yazid Sabeg n’a pas souhaité s’exprimer. Son cabinet précise qu’il « réserve la primeur de ses déclarations au Président » et qu’il s’est « déjà suffisament exprimé dans la presse ». A-t-il remanié son rapport après ce camouflet ? « Ca ne regarde personne ».
Depuis ses bureaux du HCI, Patrick Gaubert, l’anti-stats’ ethniques, parie quant à lui qu’il aura le fin mot de l’histoire, sûr de son influence, là où Sabeg serait très isolé.
On peut dire en tous cas qu’il n’y a effectivement aucune trace de son commissariat sur le portail du Premier ministre, dont il dépend pourtant sur le papier. Son administration (« une dizaine de personnes au total », hébergées dans des bureaux du ministère des Finances, rue de Lille) n’a même pas de site web.
Et, du côté de l’Elysée, ce n’est pas le conseiller chargé de l’immigration et de l’intégration au cabinet de Nicolas Sarkozy qui répond du dossier mais un conseiller technique préposé à « la fonction publique, la réforme de l’Etat, la jeunesse et les associations ». A la veille de la grande journée anti-discriminations, ce dernier n’était pas disponible pour évoquer Yazid Sabeg et son rapport en souffrance.
Chloé Leprince
SOURCE : Rue89