CFCM

Des fatwas républicaines aux Lumières des Imams

L’émergence du CFCM (Conseil Français du Culte Musulman) censé être la solution à tous les problèmes que rencontrent les musulmans, a validé l’idée que les musulmans pouvaient être malléables à volonté. Un projet qui avait officiellement pour vocation de reconnaître aux musulmans le droit de s’asseoir à la table de la République, d’une certaine république. Un projet qui reprenait les injonctions étatiques, en d’autres temps. Il fallait être moins protestant, moins juif, moins polonais…pour être plus français, plus républicain. Aujourd’hui, il faut être moins musulman pour être plus républicain.

Bien que nous ayons été un certain nombre à dénoncer l’instrumentalisation des états (Etat français et Etats étrangers), et l’inefficacité de la démarche initiée en 2000 par le très républicain de gauche Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’intérieur, nous constatons avec grande tristesse que l’inévitable est arrivé. Une institution inutile, contre productive. Des représentants complètement en dehors de la logique d’actions et de pensée des citoyens à jour des aspirations nationales.

Des représentants qui fonctionnent avec des modes de pensée dépassés même dans leurs pays d’origine. Une incessante pratique de la soumission au nom de la dignité de l’islam et des musulmans. Entre désir de reconnaissance et sentiment de crainte de l’Etat, l’esprit colonisé par la peur, continue de reproduire les « schèmes » d’individus non-émancipés. Incapables de penser la politique en dehors de la reconnaissance des représentants de l’Etat, des détenteurs du pouvoir, du dominant. La notion de souveraineté populaire est travestie par la notion de soumission aux pouvoirs au nom de la raison, de la sagesse, du dialogue des civilisations, au nom d’un islam tolérant, d’un islam ouvert tellement ouvert qu’on ne sait plus où sont les portes et où sont les fenêtres.

Des représentants de nos faiblesses, de nos lacunes, de nos manquements. Qu’ils soient représentants au niveau local, national ou international. Ils sont à notre image. Des musulmans incapables de se penser société, de se penser citoyen. Des représentants à la solde de tous les intérêts exceptés ceux des plus concernés. Des représentants ignorants de leurs propres conditions, de leurs propres références. À défaut de légitimité, auprès de ceux dont ils parlent sans cesse, ils se déploient sur tous les registres pour avoir accès au grand public et parfois pour avoir accès à la notoriété. Tous les registres deviennent légitimes. En tant qu’imam, il faut laver plus propres les consciences des fidèles devant une caméra de télévision. En tant que militant politique, il faut relativiser tout dérapage raciste. En tant que citoyen tout court, il faut voiler sa conscience en attendant le jour où le soleil se lèvera au Sud.

Face à l’islamophobie, face aux dénis du droit, face aux trahisons des idéaux républicains, certains musulmans proposent des fatwas de secours, des concepts qui égaleraient les Lumières dont l’islam et les musulmans auraient tant besoin. Des intellectuels et des imams, qui, par leurs expressions, confirment bien qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Si on discute autant de l’islam et des musulmans c’est qu’il y a un problème. Le seul tort de la société est d’avoir été trop tolérante.

Des intellectuels et des imams spécialistes du terrain, spécialistes du texte. Des Lumières pour leur communauté. Des notables devant assumer le rôle d’éclaireur pour cette communauté non intégrée, ignorante des valeurs et des principes. À force de les entendre nous le dire, on finit par croire qu’on n’est pas chez nous. Il faut faire profil bas. En attendant que les choses s’arrangent, il faut continuer à raser les murs. Il faut se faire discret. Ne pas faire peur, ne pas offusquer, ne pas déranger, ne pas être visible. Etre dans l’ombre de l’autre. Vivre avec le coeur de l’autre, vivre avec l’esprit de l’autre. Vivre au rythme de l’autre. Une manière qui explique entre autres cette fuite en avant permanente. Fuite du pays, fuite des problèmes, fuite du quartier trop arabe, trop noir, fuite de l’école trop métissée, fuite de soi.

Notre incapacité à se penser en tant que possible alternative trahit notre manque de confiance en nous, notre manque de confiance en l’intelligence de l’autre qui comprendrait tôt ou tard que nous sommes une chance pour le monde en tant que diversité. Que nous sommes la valeur ajoutée d’aujourd’hui et de demain. Que nous sommes une force vive (parmi d’autres), donnant du souffle au monde. Que nos douleurs, nos humiliations sont la source de notre victoire sur nous-mêmes.

Soyons fiers d’être des Français d’origine « difficile » car la difficulté affine et forge les idées. Soyons fiers d’être à la marge d’un monde si son centre est injustice. Un monde qui a besoin d’être enrichi d’idées et de projets. Des projets et des idées qui peuvent paraître insignifiants aujourd’hui mais que le débat peut rendre très utiles demain.

Mais faut-il en être convaincu ? Faut-il être convaincu que nos coeurs et nos intelligences sont au service d’un principe au-dessus de tous les principes : celui de la justice. Sans justice le vivre-ensemble est un vœu pieux. N’ayons pas peur de la quête de la justice. Sans justice, la République, se ment à elle-même. Car la République, c’est le vivre-ensemble dans la liberté de penser et d’être d’aujourd’hui, dans l’égalité des droits d’aujourd’hui et dans la fraternité entre citoyens d’aujourd’hui.

Si l’aggiornamento est nécessaire pour l’islam et les musulmans, il est tout autant nécessaire pour une certaine idée républicaine de la domination, comme il l’est tout aussi nécessaire pour une relecture du monde.

Si cette République est la nôtre en tant que musulman aussi, elle ne doit pas être colmatée par des fatwas quand elle est malmenée.

Si cette République est la nôtre, on ne doit pas être des supplétifs du corporatisme et du communautarisme dominant qui la mine.

Si cette République est la nôtre, ne laissons pas certains, nous lire l’Histoire aux lumières de leurs histoires.

Si cette République est la nôtre, ne laissons pas des « fatwas » saper nos luttes, nos principes, notre droit.

Fouad IMARRAINE

22/10/09

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