Clémentine Autain : moins qu’une « camarade »

Le mot « camarade » ne fait pas partie de mon vocabulaire car je n’appartiens pas à la tradition de la gauche française mais je sais ce qu’il signifie dans la bouche de ses militants : c’est une appellation qui s’adresse à des égaux au sein des organisations progressistes et syndicales et par extension au sein de collectifs larges avec lesquels on partage des luttes communes.

À la question : « Houria Bouteldja est-elle votre camarade ? » Clémentine Autain répond « non »[i].

Pourtant et selon la définition ci-dessus, admise par le plus grand nombre, je suis bel et bien sa camarade sinon comment pourrait-elle expliquer le soutien d’Ensemble !  aux deux « Marches de la Dignité » qui ont eu lieu respectivement les 31 octobre 2015 et 19 mars 2017 ? [ii][iii]. En effet, le PIR faisait partie des deux comités organisateurs. De plus, j’ai le souvenir précis d’une Clémentine Autain battant le pavé et répondant aux journalistes à l’arrière d’un long cortège de plus de 10 000 âmes dirigé par des femmes non blanches de toutes origines, dont moi. Comment pourrait-elle expliquer le partage sur le site de son parti de cette conférence internationale contre l’islamophobie à laquelle Ensemble a participé[iv] ? Ou alors, cet appel commun contre les bombardements de Gaza[v] ou encore cette journée consacrée au centenaire de la déclaration Balfour, il y a à peine 3 semaines[vi] ?

Les actes passés ne peuvent pas s’effacer par un coup de baguette magique. Dommage pour Clémentine. Nous sommes objectivement ses « camarades » même si, pour utiliser cette expression consacrée et usée jusqu’à la corde pour se démarquer du PIR « nous ne sommes pas d’accord sur tout ».

Mais aujourd’hui, Clémentine Autain est devant un dilemme. Étant donné nos combats communs : violences policières, racisme et Palestine, son organisation doit trancher. En effet, dans le prolongement de sa réponse, elle explique : « Houria Bouteldja n’est pas ma camarade parce que, comme Angela Davis, je suis attachée à l’articulation des combats émancipateurs.» Je suis une militante anti-raciste (…) mais, dans le même temps, je suis féministe, je me bats contre l’homophobie et je me bats contre l’antisémitisme.»

On sent le brainstorming. La réponse a été étudiée au millimètre en hauts lieux car s’il faut sacrifier Bouteldja, il ne faut pas se fâcher avec la base indigène. D’abord citer Angela Davis. Seule une femme indigène est légitime pour en frapper une autre. La blonde Clémentine ne se sent pas de croiser le fer sans une caution tutélaire et indiscutable dans tous les milieux. Clémentine saura garder les mains propres. C’est cousu de fil blanc – quel intérêt de rappeler que Davis était à mes côtés pour fêter les 10 ans du PIR ou alors que mon livre est préfacé par Cornel West[vii], l’une des plus grandes consciences noires américaines encore vivantes ? – mais ça passe. Ensuite, créer une opposition entre un camp : celui de la noire Davis, main dans la main, avec la blanche Autain (rien que ça !), et celui de la pas-très-claire Bouteldja. Le premier articulerait toutes les luttes, tandis que le second, non seulement n’articulerait pas mais il se pourrait bien, à les entendre, qu’il puisse cautionner et l’homophobie et l’antisémitisme. La belle affaire.

Je ne vais pas perdre mon temps à tenter de démontrer qu’il s’agit là de calomnies et de mensonges à échelle industrielle qui, si la vérité avait une quelconque valeur, couvriraient de honte ceux qui les colportent. Est-il nécessaire d’expliquer que l’objectif de Valls, la Licra et consort est de réduire à néant toute tentative de convergence et de résistance entre la gauche radicale et l’antiracisme politique auto-organisé ? Faut-il faire la leçon aux ténors de cette gauche capitularde que les intérêts du système libéral d’une part et ceux de l’État nation d’autre part (que Clémentine Autain renforce par son alliance avec les forces nationales-républicaines de Jean-Luc Mélenchon) savent reconnaître leurs ennemis bien mieux que la gauche dite radicale qui, ne sachant plus identifier ses véritables adversaires, portent des coups à l’aveuglette au risque de frapper ses propres « camarades » ?

En dehors des tombereaux d’injures et d’infamies qui me prennent pour cible et pour lesquelles Autain et Mélenchon portent une lourde responsabilité (l’université de Limoges vient d’annuler une conférence à laquelle je participais sous la pression de « camarades » syndicalistes, des nouveaux « camarades » de la Licra et de l’extrême droite), il y a cette nonchalance et cette prétention de penser pouvoir se permettre, bien que tous les signaux soient au rouge, un tel gâchis et un tel mépris pour l’espoir que suscite l’antiracisme décolonial, l’une des plus grandes réussites politiques des 15 dernières années.

Dans l’introduction de mon livre, j’écrivais : « Les lignes qui vont suivre ne sont qu’une énième tentative – sûrement désespérée – de susciter cet espoir. En vérité, seule mon effrayante vanité me permet d’y croire ». Une vanité que la lâcheté des leaders de la gauche radicale nous fait payer le prix fort.

Chère Clémentine, peut-être qu’en dépit du réel, maintiendras-tu que je ne suis pas ta « camarade », en revanche, je peux t’assurer d’une chose qui t’indifférera peut-être dans l’immédiat mais que tu méditeras dans un avenir proche : si c’est la lutte qui fait le camarade, c’est bien l’ennemi qui fait le traître.

Houria Bouteldja, membre du PIR

Notes

[i] Clémentine Autain : « Si on veut combattre Daesh, alors prenons soin du débat démocratique »

[ii] Marche de la dignité et contre le racisme appel, 31 octobre 2015

[iii] Le 19 mars, une Marche pour la Justice et la Dignité

[iv] Conférence internationale contre l’islamophobie, décembre 2016

[v] Grande manifestation, « Urgence Palestine », 2 août 2014

[vi] « La Palestine après Balfour 1917-2017 100 ans de colonialisme / 100 ans de résistance », 5 novembre 2017

[vii]  Cornel West, La fin de l’innocence impériale

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