Chroniques de la Marche nationale des Sans-Papiers (3 octobre-16 octobre 2020)

Il y a une semaine exactement, des milliers de personnes ont manifesté dans les rues de Paris pour exiger la régularisation inconditionnelle de tous les sans-papiers, la fermeture des centres de rétention administrative ainsi que l’accès à un logement digne. Nous tenions à saluer de nouveau le succès de cette manifestation qui a été précédée d’une marche nationale des sans-papiers et de leurs soutiens, longue d’un mois et partie du sud, de l’est et de l’ouest de la France. À nos yeux, cette nouvelle étape de la lutte, baptisée « Acte 3 », mérite le qualificatif d’historique. Et c’est à ce titre, que nous avons décidé de compiler les chroniques quotidiennes que nous avons assurées pendant les deux dernières semaines de la marche.

Ces chroniques nous ont permis de saisir quelques caractéristiques de la dynamique actuelle de cette lutte. Elle est d’abord identifiable tant au niveau national que régional. La preuve étant la création de très nombreux collectifs là où il n’en a jamais existé. Par ailleurs, cette dynamique a trouvé ses ressorts objectifs et subjectifs dans la période du confinement au cours de laquelle les sans-papiers et leurs familles, qu’elles soient restées au pays ou qu’elles vivent en France, ont été plus durement percutés par les dangers sanitaires, économiques et policiers.

La publication des chroniques vient aussi répondre au quasi silence médiatique qui a entouré non seulement la marche mais également la manifestation. Cette absence des médias doit-elle être mise sur le compte de la suspicion qui recommence à poindre à l’égard des sans-papiers et des nouvelles menaces sur le droit d’asile, et qui annonceraient une confusion scandaleuse de la figure du « terroriste » et de celle du « réfugié » ?

Cette publication veut aussi participer modestement à laisser quelques traces sous forme de témoignages et d’analyses de la marche nationale, en complément entre autres des lives quotidiens de Decolonial News assurés par Abdel-Wahab, dont nous voulions saluer le travail tout au long de la marche.

Samedi 3 octobre, Lyon : « On sent une victoire« 

Aujourd’hui, c’est Saliou, militant à la Coordination 75 des Sans Papiers 75 (CSP75) qui inaugure cette chronique. Ce qui est remarquable chez lui c’est qu’il débute son engagement militant par cette marche. De sa voix éreintée mais déterminée, il nous donne quelques échos enthousiasmants de la manifestation qui a lieu à Lyon cet après-midi. Beaucoup de monde devant la préfecture. Peut-être 2000 personnes. Elle marque à ses yeux une nouvelle étape illustrant la force qui ne cesse de monter depuis le départ à Marseille le 19 septembre. Ce qui le frappe est le renforcement des soutiens de toutes parts et au fur et à mesure de leur route. Parmi ces soutiens, des militants d’associations et de syndicats mais également de plus en plus d’habitants qui viennent les saluer. A chaque étape, l’accueil est placé sous le signe de la chaleur et de la générosité. Pour lui, la force des marcheurs tient incontestablement dans le fait « qu’on ne sent pas seuls dans ce combat » et « on ira le dire à Macron« .

Dimanche 4 octobre, Lyon : « Une étape se prépare »  

Aujourd’hui nos amis ont eu une journée libre, bénéficiant de tickets journaliers pour se déplacer dans la ville et la découvrir autrement qu’en y manifestant. Tout de même, ils se sont réunis en début d’après-midi pour préparer l’étape du lendemain. Car oui, « une étape se prépare ».

Rendez-vous demain à 8h30 à la gare de Lyon-Vaise où les attendront trois bus en direction de Belleville. Ils seront 104 marcheurs au départ. Parmi eux, quelques nouveaux venant de Lyon mais aussi quatre membres du CSP du 20e arrondissement de Paris qui feront donc toute la marche jusqu’à son arrivée. Le billet est de 2 euros pour chaque voyageur, à la charge des collectifs. L’étape à pied reliera donc Belleville jusqu’à Macon, soit 30 km. Ils seront accueillis par un goûter. Deux sortes d’hébergement leur sont proposées : une quarantaine de marcheurs sera accueillie par des habitants solidaires quand le reste se rendra dans un camping municipal mis à disposition par la mairie à la demande d’associations. En ce qui concerne le déjeuner, quelques personnes se rendront en voiture sur le lieu prévu pour faire une halte afin d’y préparer le repas. De manière habituelle, ce sont soit les associations qui s’en chargent, soit les sans-papiers eux-mêmes. Tout au long de cette étape, comme des autres d’ailleurs, les gendarmes assureront une présence, remplacés dès l’entrée en ville par la police. 

La réunion du jour s’est certes occupée de toutes ces questions logistiques hautement importantes. Mais une place est déjà donnée à la discussion sur l’après 17, à commencer par la préparation de l’assemblée générale prévue le lendemain, dimanche 18 octobre.

Lundi 5 octobre, Mâcon : « Obligé par la dignité, je marche et je filme »

Aujourd’hui, c’est par le regard d’un filmeur que la Marche nationale des Sans Papiers nous est racontée. En l’occurrence celui d’Abdel-Wahab L. qui propose chaque jour des live sur la page Facebook du média Decolonial News. Dès l’annonce de l’événement, il a tenu à en être en tant que faiseur d’images indépendant cherchant à contribuer à sa plus grande publicité. Abdel-Wahab réalise ainsi deux lives par jour au cours desquels il donne la parole à des marcheurs et à des marcheuses en déambulant tout au long du cortège. A ses yeux, le live est une forme qui offre de vivre de manière peut-être plus intime et intense cette expérience. Est-il un journaliste ? Non, il récuse ce mot s’il désigne un métier ; tout au plus accepte-t-il la dénomination à condition qu’elle soit accompagnée de la mention « par nécessité ». Car c’est bien la nécessité qui explique sa présence. Celle que lui impose sa dignité et celle des siens. C’est précisément pour cette raison que ses images ne sont pas celles d’un simple journaliste. De ce fait, sa présence est aussi celle d’un militant antiraciste qui, lorsqu’il ne filme pas, marche avec les autres toute la journée. Qui marche pour les sans-papiers et pour lui-même en tant que descendant de générations de sans-papiers.  Si Abdel-Wahab ne pouvait pas rater cette marche c’est aussi parce qu’il a raté, né trop tard, une autre marche, celle pour l’égalité et contre le racisme en 1983.

D’une marche historique à une autre. Et s’il filme tous ces marcheurs pour le présent, rien ne nous empêche, en regardant ces live, de voir se constituer devant nos yeux des archives pour demain.

Mardi 6 octobre, Chalon-sur-Saône : « Nous marchons pour nous connaître, apprendre les uns des autres et nous renforcer »

Certes, la marche a des revendications bien précises : régularisation inconditionnelle de tous les sans-papiers, fermeture des centres de rétention administrative, droit à un logement décent. Elle comporte également d’autres objectifs qui lui sont intrinsèques et qui seraient peut-être moins aisés à atteindre si elle n’avait pas eu lieu.

C’est ce qu’explique très clairement Patrice, militant au sein du CSP75 alors qu’il marche entre Mâcon et Chalon-sur-Saône. Le temps de l’organisation de la marche, mais davantage encore pendant sa durée, se forment et se consolident des solidarités au-delà des régions et des nationalités. Ainsi, les collectifs de Paris, de Marseille, de Montpellier, de Grenoble, de Lyon et d’autres encore, ont commencé à établir des liens durables. Et il en sera ainsi durant tout le parcours jusqu’au 17 octobre. Ces rapprochements visent un meilleur partage des connaissances et des expériences militantes. Ce qui est d’une grande importance notamment pour les tout jeunes collectifs comme celui de Lyon. Mais parce qu’ils n’ont pas lieu lors de rencontres ou de meetings, mais lors d’une marche nationale, ces rapprochements prennent une autre dimension. C’est que par sa durée et l’épreuve qu’elle constitue, la marche offre en effet les conditions de liens nettement plus durables. Ce partage de ressources militantes s’effectue en même temps que le partage de moments de vie, de difficultés et de joies. Par ailleurs, une plus grande confiance s’établit entre tous ces collectifs.

Il y aura donc un avant et un après Marche, ce qui se verra déjà à Paris dans dix jours mais aussi lors des étapes suivantes de la longue lutte, qui n’a pas commencé le 19 septembre et qui ne fera pas le 17 octobre.

Mercredi 7 octobre, Beaune : « Nous forçons l’admiration par notre marche »

Il faut rendre à Marseille ce qui est à Marseille, car faut-il le rappeler, c’est le point de départ de la marche. Ils sont 15 du CSP 13, le Collectif de sans-papiers de Marseille, à marcher jusqu’à Paris. Comme le clame Francky, un de ses membres fondateurs, en marchant ainsi, « nous forçons l’admiration des gens« . Ce qui est certain c’est que ce collectif force l’admiration par son dynamisme alors qu’il n’a que quelques mois d’existence.

Il voit le jour fin avril, juste à la sortie du confinement. Avant son existence, il n’y avait pas de véritable collectif dans la ville. Ses membres ne se connaissaient pas avant de se rencontrer et de décider, autour d’un café, de la fondation du CSP 13. Depuis, ils se réunissent tous les dimanches pour discuter des difficultés rencontrées par les sans-papiers et du chemin à trouver pour leur lutte. Ce chemin les conduit à organiser, le 30 mai, soit seulement un mois après la création du collectif, une première manifestation. 3000 manifestants « mettent Marseille en ambiance » en parcourant toutes ses rues qui n’en revenaient pas. Aucun incident ni arrestation n’est à déplorer. Non content de ce succès fulgurant, le CSP 13 récidive le 20 juin en réunissant cette fois-ci 5000 personnes pour exiger la régularisation inconditionnelle de tous les sans-papiers. Et le 19 septembre, 8000 manifestants viendront saluer le départ de la marche. Le CSP 13 repose sur ses propres forces mais aussi sur celles de ses soutiens marseillais et au niveau national, parmi lesquels la Cimade, la Ligue des Droits de l’Homme, Solidaires, ou encore El-Manba.

La marche en cours est incontestablement une nouvelle étape dans le renforcement du collectif. Ses membres se découvrent, en compagnie des marcheurs des autres villes, des ressources qu’ils n’auraient pas imaginées. Et ils ont en pris conscience lorsqu’ils ont découvert que la pluie, loin de les décourager, a tendance même à les galvaniser. Souhaitons-leur tout de même peu de pluie jusqu’à Paris.

Jeudi 8 octobre Dijon : « 25 kilomètres, c’est tout petit pour nous! »

25 kilomètres est la distance du jour entre Beaune et Dijon. Et « 25 kilomètres, c’est tout petit pour nous !« . Pourtant, « c’est bien la première fois de ma vie que je marche jusqu’à Paris !« . Faut-il entendre de la malice de la part de Sylla, membre du collectif des sans-papiers de Montpellier ? Peut-être mais surtout l’incorporation, au bout de 19 jours, de tout ce que la marche exige : l’effort, la discipline et l’endurance.

L’effort, la discipline et l’endurance sont exactement ce que que toute lutte exige, et le collectif qui existe depuis des années le sait très bien. Membre de celui-ci depuis 2017, Sylla a accepté de s’en faire le délégué depuis quelques semaines pour une mission bien précise : prendre la parole lors de toutes les haltes. Et c’est ce qu’il a fait pour la première fois, lors du départ de la marche dans sa ville, devant 2000 personnes.

Si parler revêt une telle importance c’est que la situation que vivent les sans-papiers à Montpellier est très critique. Le 31 août, 200 habitants d’un squat ont été expulsés et se sont retrouvés privés du jour au lendemain de logement. Par ailleurs, la situation économique de la ville augmente les difficultés de trouver un emploi, les rendant encore plus vulnérables face à des employeurs sans foi ni loi. 

L’effort, la discipline et l’endurance resteront de mise après la marche et peut-être même davantage, car comme le proclame Sylla au nom de ses frères et soeurs de lutte et de leurs camarades, « notre petit collectif va devenir un grand collectif« . La soixantaine de membres a en effet décidé qu’après le 17 octobre allait être mise en place une réorganisation du collectif avec la désignation de délégués et de porte-paroles.

Marcher vers Paris tout en pensant déjà au retour.

Vendredi 9 octobre Vézelay « Le confinement nous a ouvert les yeux sur la nécessité de s’organiser par nous-mêmes »

Le confinement n’aura pas eu que des conséquences négatives. « Un mal pour un bien« , c’est ainsi que ses membres fondateurs parlent de cette bascule qui les a conduits à créer, le 18 mars, leur association Ensemble pour notre régularisation sans exception. C’est parti d’un simple live appelant à une régularisation inconditionnelle et qui sera relayé massivement sur les réseaux sociaux au niveau national. Leurs membres se trouvent d’ailleurs aux quatre coins de la France.

Les fondateurs de l’association s’organisent et décident aussitôt de leur participation active aux trois actes des 30 mai, 20 juin et de la Marche nationale, dont la date est d’une importance on ne peut plus symbolique. D’un 17 octobre à l’autre. Leurs membres sont présents sur les différents trajets au départ de plusieurs villes convergeant vers Paris, laissant derrière eux leurs familles et leur travail. Mais ce sacrifice en vaut le coup car il s’agit de se faire entendre. Quant aux militants de Paris, ils préparent activement l’arrivée des marcheurs en s’occupant de la logistique, en particulier l’hébergement et la nourriture. Par exemple, se sont déjà annoncées pas moins de 80 personnes de Marseille. L’association peut compter sur l’aide de quelques associations, comme Help me de Pontoise qui œuvre habituellement pour les réfugiés en France ou contribuent à la construction de puits en Afrique ou au Népal. Mais cette aide est encore insuffisante, d’où un appel aux bonnes volontés qui peuvent se signifier sur leur page facebook.

Comment comprendre toute cette énergie militante ?

Il faut tout d’abord revenir encore une fois au confinement et au choc qu’il a représenté. Les familles se sont retrouvées sans ressources; ou bien coincées dans une chambre d’hôtel social de 25 mètres carrés. Et surtout qui, si ce n’est les sans-papiers, a continué à travailler durant toute cette période. Emmanuel Macron a parlé de guerre contre le covid et, eux, en étaient les soldats envoyés au front. La colère, le sentiment d’injustice et la détermination n’ont fait que décupler et ont conduit tous les membres de Ensemble pour une régularisation sans exception à un engagement qui soit organisé pour défendre leurs droits.

Cette énergie, elle découle aussi de la réunion de personnes aux profils et aux horizons différents. Si une grande partie des membres vient des pays du Maghreb, d’autres sont issus de l’Egypte ou de pays d’Afrique centrale. L’association est aussi le lieu de rencontres entre des éboueurs, des médecins, des livreurs, des architectes, des techniciens, des étudiants. Appartenant à des générations différentes, certains habitent en France depuis peu quand d’autres y sont depuis plus de quinze ans.

Cette énergie se nourrit aussi des expériences militantes engrangées par certains dans leurs pays d’origine.

Créer Ensemble pour une régularisation sans exception répond à la volonté ferme de porter sa propre voix. Et d’affirmer qu' »on assume d’être venu en France, de s’y être installé, d’y avoir fondé sa famille, d’y travailler ». « On a fait le choix d’être immigré« . « On a une identité, mais ce qui nous manque est un papier, le titre de séjour« . Cette création répond aussi à la détermination d’aller jusqu’au bout. « Et si l’Élysée persiste à ne pas nous écouter le 17 octobre, nous avons un plan B ».

Samedi 10 octobre Joigny : « Le militantisme, je l’ai dans le sang »

Depuis le début de la Marche, Mariam se révèle une figure respectée et attachante. Membre de la Coordination des sans-papiers de Paris, le CSP75, elle participe avec une grande implication à toutes ses actions. Mais la marche constitue indéniablement une nouvelle étape dans son engagement. Sa présence depuis l’étape de Montpellier trouve également ses raisons dans la conjonction de plusieurs temporalités la concernant.

La toute première est celle du confinement et de son immédiat après. Pour elle, comme manifestement beaucoup de personnes sans papiers, le confinement a joué un rôle, non pas de révélateur, mais de moteur de la colère et de la détermination pour lutter contre l’injustice qui leur était faite tout particulièrement pendant cette période : vulnérabilité face à l’épidémie en continuant à travailler ou en vivant en foyer ou dans un squat; vulnérabilité face à la police; vulnérabilité face à l’absence de ressources.

Mariam a donc participé à la première manifestation sitôt le confinement levé, le 30 mai, décidée et préparée justement pendant le confinement et qui sera baptisée l’Acte 1. L’Acte 2 réunira le 20 juin encore plus de manifestants dans de nombreuses villes en France. Face à l’indifférence affichée du gouvernement à ces deux manifestations, que l’on peut qualifier sans outrance d’historiques, a été mis en place l’Acte 3. Le débat a porté sur deux modalités d’action: l’occupation d’un lieu symbolique ou une marche nationale. Cette dernière option a été retenue pour clamer dans tout le pays son indignation face à la persistance de tant d’injustices.

La deuxième temporalité de son engagement dans la Marche est relative à son adhésion à la Coordination des sans-papiers de Paris il y a deux ans, après près de 15 ans de vie en France. Mariam a découvert l’existence du CSP 75 grâce à des amis. Depuis, elle ne rate aucun rassemblement du vendredi sur la place de la République, pas plus que les réunions.

La troisième temporalité de son militantisme se trouve dans sa jeunesse, peut-être même son enfance. Car oui, « le militantisme, je l’ai dans le sang« . Elle est la fille d’un théoricien du régime nouvellement indépendant du Mali et dirigé par Modibo Keïta, tiers-mondiste et panafricaniste. Le rapport à l’engagement n’a donc pas commencé avec la lutte pour la régularisation.

C’est à la lumière de cette dernière indication biographique que l’on peut entendre son insistance à appeler les sans-papiers à rejoindre la bataille dans tous les collectifs existants car « un seul doigt ne peut pas ramasser une pierre« . « C’est un combat pour la vie, la dignité, la liberté de circuler et de se rendre là où on veut s’installer« . Ce combat doit être mené pour tous les sans-papiers mais également pour les générations futures. Et en ayant bien en tête que c’est la politique de la France et plus largement de l’occident qui est responsable de l’immigration africaine ici.

Dimanche 11 octobre Metz : « Notre collectif de Montreuil est certes jeune mais très déterminé »

Sur les un peu plus de 700 membres du collectif de sans-papiers de Montreuil, 50 ont décidé de sacrifier leur travail, leurs salaires ou leurs congés payés pour rejoindre la Marche à ses différents départs. 5 se sont rendus à Rennes, 10 à Grenoble quand 35 ont opté pour Strasbourg. Ce sacrifice révèle la détermination de ce tout jeune collectif lui aussi né à la faveur de l’après-confinement. 

Hier, à l’étape de Metz, les marcheurs partis de Strasbourg le 4 octobre ont été rejoints, le temps d’une journée, par 5 autres membres du collectif, deux soutiens et trois sans papiers, parmi eux Anthioumane. Ils tenaient à assister au rassemblement effectué devant le centre de rétention de la ville. Faut-il rappeler que l’un des mots d’ordre de la marche est la fermeture de tous les centres. Beaucoup de monde et un accueil enthousiasmant. Demain une autre étape attend les marcheurs d’une grande importance symbolique : ils se rendront au cimetière de Verdun pour rendre hommage aux soldats africains morts pour les guerres de la France.

Ces membres du collectif de Montreuil font un apprentissage accéléré du militantisme à l’occasion de la préparation et de la tenue de cette marche. Ce qui est incroyable c’est que ce collectif voit le jour à la suite de la première manifestation, celle du 30 mai. Un certain nombre de sans-papiers montreuillois avaient été arrêtés et n’avaient aucune réponse à la question posée par la police : « à quel collectif appartenez-vous ? » Mais ce besoin d’être identifiés est très vite supplanté par celui de s’organiser dans une ville qui compte un trés grand nombre de sans-papiers vivant en foyers et dans des squats.  

Le collectif de Montreuil a bénéficié de l’expérience du collectif des sans-papiers voisin du 20e arrondissement de Paris ainsi que du CSP 75. Mais sans doute aussi celle de toutes les luttes historiques menées par les foyers de Montreuil. A ce propos, dès son retour, le collectif élargira sa lutte à leur défense alors qu’ils sont de plus en plus menacés. 

Lundi 12 octobre, Repos à Joigny : « La lutte ne s’arrêtera pas au 17 octobre et il faut s’y préparer en y réfléchissant dès le lendemain »

Trois dates doivent être retenues à propos de la Marche nationale des sans-papiers. La première est celle de son arrivée, le 17 octobre, qui n’a pas été choisie au hasard mais pour rendre hommage aux martyrs algériens tués le 17 octobre 1961. La manifestation parisienne prévoit d’ailleurs une halte à cet effet. La deuxième est bien sûr son départ de Marseille, le 19 septembre, retenue parce qu’un mois auparavant. Enfin, et c’est celle qui nous intéresse aujourd’hui, le 18 octobre, soit le lendemain de cette grande manifestation qui s’annonce si prometteuse.

En effet, les marcheurs, sans papiers et soutiens, venant de toute la France ne comptent pas se reposer ce jour-là, alors qu’ils l’auraient bien mérité. A été décidée une Assemblée générale dont le lieu est encore à fixer mais dont on sait déjà qu’elle durera toute la journée tant l’ordre du jour est ambitieux. Il fallait l’organiser dimanche prochain car il fallait profiter de la présence, dans la même ville, de tous les collectifs existants, réactivés ou nouvellement créés de tout le pays.

Les objectifs de l’Assemblée générale nous sont très clairement exposés par Alioune, membre de la Coordination des sans-papiers de Paris, le CSP 75

Son premier objectif est d’établir durablement les liens qui ont été tissés entre tous les collectifs de sans-papiers par les réseaux sociaux pour préparer la Marche nationale et durant celle-ci. Se connaître est une nécessité pour assurer les conditions d’une confiance et d’une coopération sans failles pour les prochaines étapes de la lutte. Car celle-ci doit accéder résolument à une dimension nationale.

Son deuxième objectif est d’établir, dès le lendemain de son arrivée, le bilan de la Marche, concernant aussi bien sa préparation que sa tenue. Il s’agit d’identifier les difficultés et les réussites rencontrées. En d’autres termes, apprendre de ses expériences pour la prochaine étape de la lutte. L’enjeu est aussi de partager les expériences des collectifs plus anciens à l’adresse des collectifs récemment mis en place.

Son troisième objectif est de penser et de poser les structures d’une réorganisation de tous ces collectifs à l’échelle nationale tout en respectant leurs particularités et les dynamiques régionales. L’indépendance financière est aussi visée.

Le quatrième objectif de l’Assemblée générale est de penser les modalités de la lutte en élargissant l’éventail des modes d’action : manifestations, marches, grèves, etc. Et c’est sans doute dans ce « etc » que se trouvera une inventivité à la hauteur des enjeux présents et à venir.

Au regard de tous ses objectifs qui révèlent une puissance organisationnelle en cours, il est possible d’affirmer que cette Marche est déjà entrée dans l’Histoire.

13 octobre Aubervilliers, « Nous réclamons notre droit à l’accueil, légitimé par le sang et la vie de nos ancêtres »

La marche se rapproche de Paris ! 65 marcheurs partis de Strasbourg le 4 octobre sont arrivés aujourd’hui à Aubervilliers où ils seront reçus et hébergés dans un squat de la ville habité par un grand nombre de sans-papiers. Demain, ils se rendront à Aulnay-sous-Bois avant de rester quelques jours à Montreuil. A chaque fois, les rencontres militantes et amicales, nouées au-delà des kilomètres, se doubleront de gestes de solidarité concernant particulièrement leur hébergement.

La marche venant de l’est de la France est portée par le Collectif des sans-papiers d’Alsace, le CSPA. Son histoire toute récente révèle combien le confinement constitue définitivement une bascule dans la lutte pour la régularisation. Et combien l’énergie militante qui y est déployée est remarquable.

Revenons un instant à la naissance du collectif en plein confinement. L’initiative en revient à un ancien sans papiers, régularisé il y a dix ans, et qui a appelé à sa création depuis Le Cap Vert où il était coincé. Le premier qui répond à son appel, Billel Saadi, se charge de contacter le maximum de personnes, parmi lesquelles, Allioune Ndiyae au long passé de syndicaliste. A quelques-uns, ils vont à la rencontre de sans papiers, là où ils se trouvent, pour appeler à un rassemblement place Kléber à Strasbourg le 1e mai. Certains d’entre eux avaient été rencontrés lors de maraudes effectuées par des mosquées. Le soir même, est décidée la fondation du Collectif des sans papiers d’Alsace.

Ici aussi, comme dans d’autres villes de France, il n’existait pas de collectif organisé par les sans papiers eux-mêmes, mais des soutiens. Parmi eux, l’association Mama Road, qui vient en aide aux personnes sans papiers et sans abri, met à disposition du CSPA ses locaux pour les réunions devenues vite régulières. Il bénéficie également du soutien actif de D’ailleurs nous sommes d’ici, qui, notamment, déclare à la préfecture la manifestation du 30 mai. Suivront la manifestation du 20 juin et la préparation de la Marche nationale comme autant de baptêmes de ce tout jeune collectif.

Cette énergie militante trouve sans doute une de ses origines dans la situation d’isolement et de vulnérabilité des sans papiers vivant dans la région. Beaucoup venus du Sénégal, du Mali, de Guinée, du Soudan, du Maroc, de l’Algérie. Beaucoup de familles venues, quant à elles, de Géorgie, Tchétchénie, Slovénie, Serbie, Moldavie. Si certains vivent en squat, et Strasbourg en compte un grand nombre, d’autres vivent sous des tentes en forêt.

Cette énergie militante tire sa force également dans leur sentiment de légitimité à faire valoir leur droit à l’accueil dans un pays où les sans papiers ont toujours été « sur la première ligne« , mais davantage encore pendant le confinement. Et dans un pays où leurs ancêtres ont payé « de leur sang et de leur vie » le droit que leurs descendants soient respectés de manière inconditionnelle. Moment d’émotion ce lundi 12 octobre en allant justement se recueillir au cimetière de Verdun pour rendre hommage aux soldats africains. Et constat amer de ne voir figurer le nom d’aucun d’entre eux sur l’ossuaire de Douaumont, monument à la mémoire des soldats morts à Verdun en 1916.

D’un hommage aux ancêtres à l’autre : de Verdun, 1916 à Paris et autres villes de banlieue, 1961.

Mercredi 14 octobre Evry-Courcouronnes, « On n’est pas venus en Europe pour la visiter« 

Les demandeurs d’asile sont aussi de la Marche nationale même si leur présence n’avait pas encore été évoquée dans les chroniques passées. Un groupe de cinq d’entre eux venus de Dijon, et qui seront rejoints à Paris par d’autres frères de lutte, mérite toute notre attention. Hassan, leur délégué depuis trois ans, nous éclaire sur leur situation et leur lutte.

Dijon compte un grand nombre de demandeurs d’asile, des familles et des hommes seuls, venus tout particulièrement du Tchad, mais aussi du Soudan, de Guinée et du Mali. L’arrivée des tout premiers réfugiés dans la ville daterait de 2011. Laissés à eux-mêmes, ils n’ont d’autre solution que de s’installer dans un squat. A partir de cette date et jusqu’à aujourd’hui, ne cesseront de se multiplier les expulsions sans aucune proposition de relogement, les obligeant à chaque fois à investir un nouveau lieu.

Dans le squat actuel se côtoient, outre des nationalités et des générations différentes, des demandeurs d’asile présents en France depuis un an quand d’autres le sont depuis dix ans ! Certains d’entre eux, mais malheureusement pas tous, sont autorisés à travailler. Heureusement quelques soutiens, particuliers ou organisations leur viennent en aide dans la limite de leurs moyens. Parmi eux, SOS Refoulement qui est lié à la Ligue des Droits de l’Homme. C’est justement cette dernière qui est venue annoncer le départ de la Marche nationale aux demandeurs d’asile réunis dans le squat et leur soumettre la possibilité pour eux d’accueillir les marcheurs lors de l’étape de Dijon. Non seulement, ils s’attacheront à exprimer leur solidarité, mais cinq d’entre eux décideront même d’y participer, à partir du 9 octobre, en vue de porter leur propre voix. L’enjeu est en effet d’évoquer les particularités de la situation des réfugiés, aussi bien dans l’attente de l’examen de leur demande d’asile que face à son rejet. Mais de signifier également qu’ils partagent la même situation que les autres sans papiers face au déni de leurs droits.

La marche constitue aux yeux de ce groupe un événement rare qu’il ne fallait pas rater et qui va assurément « changer quelque chose ». En l’occurrence, le projet sera, dès leur retour célébré par les leurs, de constituer un collectif avec un nom qui leur soit propre. Prélude de nouvelles étapes de la longue lutte qui s’annonce. Car comme le souligne avec pertinence Hassan, « nous ne sommes pas venus en Europe pour la visiter, mais pour fuir des persécutions, des guerres. Et bien d’autres encore viendront jusqu’ici pour les mêmes raisons ».

Jeudi 15 octobre Montreuil, « La marche m’a épuisée physiquement mais enrichie moralement »

Dans les chroniques précédentes, il a été souligné à plusieurs reprises combien le confinement a pu constituer une bascule subjective pour les sans papiers de toute la France, au point qu’un grand nombre d’entre eux ont commencé à manifester et à s’organiser à l’occasion de la Marche nationale. Mais cet engagement naissant ne doit pas occulter qu’il est précédé d’une combativité de tous les instants exigée justement par une vie de sans papiers. C’est ce dont veut témoigner Soumia, jeune femme marocaine, qui a décidé de participer à la Marche parti de Strasbourg le 3 octobre.

Son combat débute à son arrivée en France en février 2019. Elle a abandonné une vie stable et indépendante pour rejoindre son conjoint qui malheureusement exercera des violences sur elle. Elle commence alors à se battre pour faire reconnaître ses droits pourtant inscrits dans la loi. En dépit d’une ordonnance de protection et d’un suivi juridique, il lui sera refusé de déposer un dossier de régularisation. Elle décrit ainsi un des processus de fabrication administrative d’une existence de sans papiers qui repose précisément sur le déni des droits. Sa combativité la conduit  à chercher du travail, toujours non déclaré, en exerçant différents emplois, comme auxiliaire de vie à domicile ou serveuse. Et lorsqu’elle obtient enfin un contrat, elle devra faire face aux abus d’un employeur contre lequel elle ne pourra pas porter plainte. Soumia fait donc l’expérience de  ce qu’elle nomme judicieusement la « profitation » généralisée des sans papiers. Sa combativité, elle va également l’exercer face à l’Université Paris 8 auprès de laquelle elle dépose un « dossier vert » réservé aux étudiants sans papiers qui doivent passer un test de français et présenter une lettre de motivation. En dépit de son trés bon niveau de langue vérifié et de la cohérence de son projet d’études, une commission anonyme décrétera un manque de motivation pour tout refus. Le confinement exacerbe sa vulnérabilité car il n’est pas possible d’obtenir une attestation de déplacement pour un emploi non déclaré. Elle en profite pour faire des recherches sur Facebook en tapant « sans papiers d’Ile-de-France ». Elle découvre alors des échanges auxquels elle participe trés vite de sans papiers à propos de leur condition, accompagnés de conseils en toute matière. Se mettent en place des solidarités, particulièrement pendant le ramadan, tandis que circule des appels à manifester le 30 mai. Soumia s’y rend seule et décide de rejoindre la mobilisation nationale pour la régularisation. A l’invitation du collectif d’Alsace, elle décide de participer à la marche depuis Strasbourg, en compagnie d’une autre Marocaine qu’elle ne connaissait pas. Cette dernière a certes une carte de séjour mais se bat contre l’injustice qui prévaut lors de ses renouvellements angoissants et qui peuvent fabriquer de nouveaux sans papiers.

La combativité à l’oeuvre dans sa vie de sans papiers depuis près de deux ans a sans doute préparé la combativité militante qu’elle s’est découverte à l’occasion de la Marche. Et finalement, ces deux combativités finissent par se révéler comme ce qui légitime à ses yeux le droit à vivre dans ce pays. « Cette marche m’a épuisée physiquement, mais elle m’a enrichie mentalement. C’est grâce à la marche que j’ai compris que ma vie est là. On peut être d’une autre nationalité tout en étant bien de ce pays. Nous demandons notre régularisation car c’est notre droit, et nous irons le dire à Macron. Macron pas plus que l’Etat n’est la France ».

Vendredi 16 octobre Saint-Denis, Vitry, Créteil, Centre de rétention de Vincennes, « Nous sommes prêts »

« Nous sommes prêts » est le leitmotiv de la dernière chronique publiée à la veille de la manifestation nationale des sans papiers, qui avant même d’avoir eu lieu, peut être qualifiée d’historique au regard de ce qui l’a précédée : le succès des marches qui ont convergé de toute la France. Cette phrase, c’est celle que nous répète Anzoumane Cissoko alors qu’il nous présente sa préparation ultime, lors des tout derniers jours. Il le fait en tant que porte-parole de la Coordination des sans papiers de Paris, le CSP75, et membre de la Coordination internationale des sans papiers et des migrants.

– Jeudi aura été marqué par une conférence de presse, qui, conditions sanitaires obligent, s’est tenue par vidéoconférence et a réuni peu de participants et de journalistes. A cette occasion, les marcheurs venant de différentes villes, et qui ont commencé à arriver en Ile-de-France depuis mercredi, ont pu raconter l’organisation de la marche et les rencontres qu’elle a permises pendant tout le trajet.

Il a bien sûr été question du parcours de la manifestation qui partira à 14h de la place de la République pour rejoindre la place de la Concorde. La préfecture a interdit ce mardi ce parcours, proposant à la manifestation de rejoindre un autre cortège prévu. Le juge en référé va être saisi mais sans grand espoir au regard de ses décisions qui confortent habituellement la préfecture de police. Pour l’heure, le trajet est maintenu en dépit de tout, car « nous sommes prêts face à toutes les situations« . Par ailleurs, si Concorde doit être maintenue comme arrivée c’est qu’elle est la seule place pouvant accueillir le grand nombre attendu de manifestants.

Jeudi, les marcheurs ont continué à se réunir et à marcher pour appeler à la grande manifestation, depuis Choisy-le-Roi ou Versailles vers Vitry, depuis Aulnay-sous-Bois jusqu’à Montreuil, de Saint-Denis jusqu’à un squat d’Aubervilliers. 

– Vendredi n’est pas un jour de repos puisque l’appel se poursuit par le biais de différentes marches : de Vitry jusqu’à Créteil; de Montreuil jusqu’au centre de rétention de Vincennes; une déambulation dans Saint-Denis. Toutes ces marches jusqu’à la dernière minute témoignent du fait que « nous sommes prêts« .

L’appel prend aussi une autre forme : des vidéos réalisées dans toutes les langues africaines et en arabe et qui ont circulé par tous les réseaux possibles, instagram, whatsapp, facebook. Cette diffusion s’adresse directement aux habitants des foyers de Paris et la région parisienne, au sein de groupes ou de personne à personne. Ayant déjà fait ses preuves pour les manifestations des 30 mai et 20 juin, cette circulation a été largement ampifiée et se fera jusqu’à la dernière minute.

– Samedi, différents cortèges afflueront entre 12 et 14h sur la place de la République, départ, rappelons-le de la manifestation. Depuis la Porte de Paris, un départ aura lieu à 10h pour saluer les habitants d’un campement de réfugiés et les inviter à rejoindre les manifestants. Ils seront tous accueillis par leurs soutiens du 18e arrondissement de Paris à la Porte de la Chapelle. Les manifestants partis de Montreuil continueront à mobiliser entre autres les habitants de la rue d’Avron et du boulevard de Belleville. Quant à ceux qui partiront de Vitry, ils arpenteront l’avenue de l’Italie en direction de Bastille avant d’arriver au point de ralliement, où les attendront les cars venus de toute la France.

Cette journée du 17 octobre est déjà historique avant d’avoir eu lieu. Elle l’est par sa dimension nationale et son exigence de la régularisation inconditionnelle de tous les sans papiers, accompagnée de la fermeture des centres de rétention et d’un logement digne. Elle l’est également, et c’est important, par les échos qu’elle aura le jour même dans plusieurs villes européennes où se tiendront des rassemblements de solidarité. La dimension nationale ne devant pas faire oublier la dimension européenne de la situation des sans papiers dont les droits sont déniés partout. Et conséquemment, la dimension européenne de la lutte pour leurs droits.

Rédaction

Crédit photo @lobjectifdechris

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