Cravates et burqas

Burqa : une partie qui se joue à deux

Quand j’étais enfant, je me souviens, ma mère avait les cheveux courts et portait des pantalons. Dans l’album de famille, de vieilles photos d’identité : mon père, jeune immigré portait costume et cravate.

Mon père n’est plus. Mais dans l’une de ses dernières photos, il porte sa tenue de Hadj. Ma mère, elle, porte le foulard depuis près de 20 ans.

Comment diable, au lendemain de l’Indépendance, mes parents, Algériens, d’origine rurale (du douar), si traditionnels dans leurs pratiques, pouvaient-ils, dans leur apparence vestimentaire, ressembler tant aux Français ?

En vérité, ils ressemblaient à nombre de Maghrébins et d’Africains qui ont troqué leurs vêtements traditionnels, djellabas, pagnes, boubous et autres hayeks contre pantalons, costards, jupes et chemises.

Et donc ?

Une loi sur un vêtement va probablement être votée. Une loi républicaine pour bannir un vêtement de l’espace public (comme en Arabie Saoudite !). Certes, l’enjeu de cette loi ne porte pas sur la manière de se vêtir. Elle s’inscrit plus particulièrement dans le cadre de la mise au ban de l’islam et de ses diverses expressions. Pour l’heure, c’est une autre dimension du débat qui m’interpelle : celle de l’européocentrisme vestimentaire et de son arrogance.

Personne n’a jamais interdit la cravate et le pantalon dans l’Empire. Quels indigènes pouvaient s’opposer à la pénétration des vêtements coloniaux ? Comment pouvaient-ils résister à l’abandon des vêtements traditionnels ? Comment empêcher la terrible concurrence du vêtement civilisé ? En un mot du vêtement ?

Le burnous, le pagne? Qui les aura défendus ?

Combien se sont étonnés de l’adoption et de la généralisation des canons vestimentaires occidentaux dans l’ensemble des continents africains, asiatiques et du monde arabo-musulmans ? Combien pour saisir l’ampleur du dommage culturel que cela représente. Combien d’âmes pour s’émouvoir du traumatisme identitaire signifié par l’abandon des traditions vestimentaires, souvent centenaires, parfois millénaires ? Qui en connaît la valeur ?

Nous ?

Pas vraiment. Mais ça viendra peut-être.

Qui alors ?

Toi.

Tu en connais très bien la valeur.

Puisque tu connais la valeur de tes vêtements.

Tu connais l’importance de ton identité nationale.

Tu connais l’importance de ton intégrité culturelle.

Tu la défends et la protèges même au prix de débats ridicules.

Tu as d’abord voté la loi qui a exclu le voile de l’école.

Puis, tu as ardemment soutenu le projet de loi d’interdiction du voile intégral.

Parfois, tu l’as approuvé en silence.

Haro sur le niqab! Et rien ne te fera reculer, même pas ta Sainte Constitution.

Et pendant que tu construis ta forteresse, tu ne te gênes pas pour piétiner l’altérité des autres.

Tu t’exportes.

Tu exportes ta langue.

Tu exportes ta laïcité.

Tu exportes ton universalisme.

Tu exportes Descartes et Voltaire.

Tu exportes tes couturiers, ton style, ta mode.

Et lorsqu’un indigène se présente à toi avec une cravate, tu trouves ça normal. Sa ressemblance avec toi ne t’étonne pas. Curieusement, elle ne te flatte pas non plus.

Et tu sais pourquoi ? Parce que pour toi, c’est normal. NOR-MAL.

Mais s’il se présente à toi avec sa tenue, tu la toléreras si tu la juges folklorique ou inoffensive. Si elle défie ta norme, tu la marginaliseras, si elle résiste, tu l’écraseras.

Soit.

Mais fais gaffe. Ce jeu, c’est une partie qui se joue à deux. Parfois, tu crois marquer des points mais ce que tu prends pour une victoire n’est que triomphe illusoire.

Souviens-toi…

La multiplication des foulards et l’augmentation des écoles islamiques, lorsque tu as voté la loi contre les signes religieux à l’école.

Le déferlement des drapeaux algériens sur le vieux port à Marseille et place de l’étoile à Paris alors que tu débattais sur l’identité nationale.

L’émergence des mouvements revendiquant la reconnaissance des crimes coloniaux et de la traite négrière lorsque tu as voté la loi sur l’œuvre positive de la France dans ses colonies.

Certes, c’est toi qui frappes le plus fort. Mais reconnais que nos coups à fleurets mouchetés font aussi leur petit effet.

Tu sais quoi ? Rien ne t’oblige à continuer ce jeu.

Houria Bouteldja, Porte-parole du Parti des Indigènes de la République

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