Reconduites volontaires "à l'insu de leur plein gré”.

Brice le prestidigitateur (suite et pas fin)

Le ministre de l’Immigration et de l’identité nationale, Brice Hortefeux, a affirmé dimanche soir sur BFM TV que les retours volontaires devraient atteindre “37 à 38%” des “reconduites à la frontière” (sic) d’ici la fin 2008, contre “7% en 2006” (voir dépêche AFP du 12 octobre).
Avec sa baguette magique – ou la peur que sa police suscite chez les sans papiers – il aurait subitement amené 8 700 “irréguliers” sur les 25 000 “reconduites” de “sans-papiers” à partir par leur plein gré, avec l’aide de l’Etat (l’aide au retour ).

Ce discours est une supercherie. Comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer ce dimanche soir sur l’antenne de France info, en réalité, la soi-disant augmentation des retours “volontaires” correspond grosso modo aux 7 000 Roms roumains ou bulgares qui, avant le 1er janvier 2007, constituaient le tiers des mesures de reconduites à la frontière (les vraies).

Depuis qu’ils sont citoyens européens, ils ne peuvent plus aisément faire l’objet de cette mesure (sauf s’ils troublent l’ordre public ou constituent une charge déraisonnable pour le système d’assurance sociale). D’ailleurs ils ne peuvent en aucun cas être considérés comme des “sans-papiers” ou des “irréguliers” puisqu’un citoyen européen n’a plus l’obligation de détenir un titre de séjour en application d’une loi… Sarkozy de 2003 (ils ont une obligation de déclaration après 3 mois de séjour en mairie).

L’astuce trouvée par les préfectures s’appelle l’aide “humanitaire” que les associations ont rebaptisé les “retours humanitaires forcés“.

La technique est simple: la police arrive sur un camp de Roms avec des agents de l’ANAEM et des bus. Les intéressés ont le choix entre le commissariat et le bus avec la fameuse aide au retour “humanitaire” de 153 euros/adultes. Face à cette alternative réjouissante, ils embarquent dans le bus (voir par exemple ce reportage du Parisien du 29 août 2008).

Mais comme ils sont des citoyens européens, bénéficiant à ce titre de la liberté de circulation, rien ne les empêche de revenir dès le lendemain en France.

Mais Brice a tout calculé : la loi “Hortefeux” du 20 novembre 2007 a prévu la création d’un fichier biométrique des bénéficiaires de l’aide au retour volontaire (L. 611-13 du CESEDA ).

C’est donc une supercherie de compter les 7 à 8 000 aides au retour “humanitaires” dans le total des mesures d’éloignement.Donc si vous entendez Brice Hortefeux se vanter d’avoir dépasser l’objectif de 26 000 “reconduites à la frontière” fixé par la loi de finances, sachez que vous pouvez défalquer de ce chiffre un tiers des mesures…
Tout ce la est connu. Nous l’expliquions dans le détail dans un papier publié en juin sur le blog Claris suite à une conférence de presse dans laquelle le ministre de l’Immigration se prêtait au même type de tout de passe passe.

Espérons que les médias ne se laissent pas bluffer cette fois-ci par les talents de prestigitateur de Brice…

Voici un extrait du billet du 27 juin 2008

L’évaluation de la baisse de sans-papiers ou l’art divinatoire d’un ministre de l’Immigration noté sur des critères fallacieux
(…)
Les « reconduites » médiatiques : Il en est de même pour le second indicateur, c’est-à-dire ce que le ministre de l’Immigration appelle improprement les « reconduites ». Selon lui, il s’agirait des « sans-papiers présents en France raccompagnés dans leurs pays d’origine ». Il précise que « plus de 120 000 étrangers clandestins qui ont quitté, de manière volontaire ou contrainte, le territoire national et ont été reconduits dans leurs pays depuis 2002. Depuis un an, (…) 29 729 clandestins ont été éloignés ».

Ce chiffre médiatique de 29 729 « reconduites à la frontière d’irréguliers » englobe en réalité diverses mesures d’éloignement ayant des finalités diverses et ne concernant pas toutes des sans-papiers.

On y trouve aussi bien :

– les classiques arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière notifiés directement au sans-papier (APRF),

– les OQTF qui, depuis le 1er janvier 2007, concernent des étrangers ayant reçu une décision de séjour négative ;

– les victimes de la « double peine » (arrêté d’expulsion et interdiction du territoire français qui peuvent concerner des personnes titulaires d’une carte de séjour régulière) ;

– des réadmissions (mesures prises dans le cadre du droit communautaire qui ne concernent pas spécifiquement des sans-papiers)

– et, aussi et surtout, des aides au retour prétendument « volontaires » ou « humanitaire ».

Ainsi, en 2006, sur les 23 831 mesures exécutées, seules 16 616 concernaient réellement des sans-papiers (soit 70%).

De prime abord, le plus étonnant, est la comptabilisation aides au retour parmi les mesures de « reconduites volontaires » (sic) de « clandestins » (sic). La première forme, les aides au retour « volontaire » est un dispositif ancien, héritage de la politique menée dans la fin des années 70 et qui figure dans le Code des étrangers. Ce dispositif n’a jamais fonctionné. Seuls quelques milliers de sans-papiers en instance d’éloignement bénéficient de l’ARV chaque année (1 991 en 2006).
La seconde forme, l’aide au retour « humanitaire » (sic) a fort opportunément été mise en place peu avant l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’Union européenne le 1er janvier 2007 (circulaire du 7 décembre 2006).

C’est l’ARH qui a spectaculairement augmenté ces 3 dernières années (548 personnes en 2006, 757 du 1er janvier 2007 au 31 août 2007 et donc plus de 6500 de la mi 2007 à la mi 2008).

Comme l’ont dénoncé les associations (les « retours humanitaires forcés »). Elle consiste lors d’interpellation de Roms roumains ou bulgares, entre policiers et agents de l’ANAEM, de ne leur laisser à ces concitoyens européens d’autre alternative que d’accepter l’aide au retour et de monter dans les bus spécialement affrétés.

Certes, on pourrait se réjouir que le ministère de l’Immigration a l’honnêteté de comptabiliser ces aides au retour « à l’insu de leur plein gré » dans les quotas de « reconduites à la frontière ». Ce faisant il reconnaît qu’il s’agit bien de mesures d’éloignement et non des départs spontanés.

Sauf qu’il les comptabilise parmi les mesures d’éloignement de « clandestins ». Or, tout citoyen de l’Union européenne bénéficie de la liberté de circulation. Il n’y a plus d’obligation de détenir un titre de séjour depuis la loi de 2003. Qualifier un citoyen de l’Union européenne de « clandestins » est tout simplement une absurdité juridique alors que la liberté de circulation est un droit du citoyen européen qui ne peut faire l’objet de discrimination selon la nationalité. Mais la difficulté pour le gouvernement est que depuis le 1er janvier 2007 il est devenu extrêmement compliqué d’éloigner un Rom roumain ou bulgare. Une circulaire du 22 décembre 2006 avait bien prévu une méthode mais elle a été partiellement annulée par le Conseil d’Etat dans deux arrêts du 19 mai 2008 SOS Racisme et LDH).

Grosso modo, l’éloignement n’est possible que si le citoyen de l’Union européenne constitue une charge déraisonnable pour le système d’assurance sociale ou cause un trouble à l’ordre public. Et encore, dans le cadre de la procédure d’OQTF, il a un mois pour organiser son départ et saisir le tribunal administratif d’un recours suspensif.

Ces difficultés expliquent donc la stratégie de contournement qui consiste à contraindre les Roms à prendre l’ARH…

On remarquera d’ailleurs que si le ministère de l’Immigration n’a pas atteint en 2007 l’objectif chiffré de 25 000 « reconduites à la frontière » c’était que, précisément, en 2006 les Roumains et les Bulgares représentaient 6 300 APRF (soit la quart des mesures d’éloignement).
Or, comme par magie, Brice Hortefeux annonce lors de sa conférence de presse que « le nombre de départs volontaires a presque été multiplié par 4 en un an : nous sommes passés de 1 760 départs à 8 349 ». Soit 6 589 « départs » en plus. Il oublie juste de préciser la nationalité des 6 589 personnes concernées. Mais est-ce vraiment utile ?

Quant à l’augmentation de 80% du nombre de « reconduites » (sic) sur les cinq premiers mois de l’année 2008 par rapport à la même période de l’année 2007, il oublie juste de rappeler que le début de l’année 2007 avait été marqué par une forte diminution des mesures d’éloignement à cause de la campagne présidentielle, de la réorganisation de l’administration du fait de la création de son ministère et, surtout, de la baisse du nombre de… Roumains et Bulgares éloignés en raison de leur intégration dans l’Union européenne.

Pourtant ce sont l’ensemble de ces explications qui avaient été fournies au début de l’année 2008 pour justifier que l’objectif des « 25 000 reconduites » n’avait pas été atteint en 2007. Ces mêmes considérations ont aussi amené François Fillon à ramener l’objectif pour 2008 à « 25 000 reconduites » et non pas à 26 000, comme cela était prévu dans le cadre de la loi de finances pour 2008.

On comprend dès lors que si on « gomme » les 6 premiers mois de 2007, Brice Hortefeux puisse annoncer que « du 1er juin 2007 au 31 mai 2008, nous avons reconduit (sic) dans leur pays d’origine 29 729 immigrés clandestins (sic) ».

Source : http://combatsdroitshomme.blog.lemonde.fr/2008/10/12/reconduites-volontaires-a-linsue-de-leur-plein-gre-brice-le-prestigitateur-suite-et-pas-fin/

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