Argent de poche

Amnésies gabonaises

Je pensais avoir tout entendu en matière de mensonge et de manipulation politiques lors de cette dernière semaine passée au Gabon, mais en écoutant et lisant différents médias dès mon retour en France, je m’aperçois que j’étais loin du compte : comment peut-on aligner de telles idioties en si peu de mots ? Même en espérant une amnésie et une torpeur humaines (pas toujours naturelles) il faut croire que toutes dignité et honte ont déserté la civilisation.

Que les médias gabonais étouffés par la main de fer de feu Omar Bongo, se contentent de se lamenter sur son décès tout en louant sa grandeur d’âme et sa bonté, énerve certes, mais s’explique facilement.

Qu’un certain nombre de gabonais pleurent leur Papa se comprend aussi, même si tant de comédies sont décourageantes surtout lorsque la récompense pour les pleurnicheurs (plus souvent d’ailleurs “des pleurnicheuses”) n’est souvent rien de plus qu’un tee-shirt à l’effigie du grand Timonier. J’imagine après tout que feu Kim Il Sung et son fiston Kim Jong Il, les dictateurs fous de Corée du Nord, doivent avoir aussi leurs fans…

Mais que les politiques et médias du monde entier louent le fin tacticien qu’était Bongo, grand connaisseur de la géopolitique africaine mais pas seulement, et qu’ils passent au second plan, voire oublient complètement l’état lamentable dans lequel se trouve le Gabon aujourd’hui, ne dit rien de bon sur toutes ces crapules qui nous gouvernent et sont censées nous informer. En parlant de “crapule“, ce qualificatif colle finalement mieux au personnage que “stratège“. Voir ce qu’il a fait de ce petit pays en plus de 40 années de vente de pétrole, de bois en tout genre et de minerais à foison, vous laisse rêveur.

Si Omar Bongo Ondimba a su rester à la tête de son émirat tropical ce n’est pas par calcul complexe ou par génie machiavélique mais surtout et d’abord grâce au fait que le pays est faiblement peuplé. Selon des données officielles il y aurait un million quatre cent mille habitants au Gabon. Je crois même que ce chiffre est délibérément gonflé, entre autres pour des raisons de fraudes électorales à venir. Enfin peu importe, il n’est pas besoin d’user de tactiques complexes pour surveiller à peine plus d’un million de conspirateurs en puissance. L’argent suffit : pour corrompre, pour réprimer. Et comme des mirages et trouffions français ont assuré à Bongo gloire et sécurité, cela est vite devenu un jeu d’enfant.

En 1967 lorsque Bongo est arrivé au pouvoir le nombre de personnes sur le sol gabonais ne devait pas dépasser de beaucoup les 500 000. Ce fut sa chance, comme celle des pouvoirs français de l’époque avec à sa tête le Général de Gaulle, aidé par l’inamovible conseiller aux affaires africaines, Jacques Foccart. Où est ce grand calculateur connaisseur de l’âme humaine ? Tout cela est ridicule. Obiang Nguema, le président actuel de la Guinée Equatoriale, a aujourd’hui la même chance (beaucoup de pétrole et peu d’habitants), et celui-là n’est pas réputé pour sa finesse d’analyse.

Autre grandeur supposée de Bongo : il a maintenu son pays loin des guerres. La stabilité du Gabon, qui n’a jamais effectivement connu de conflits – ethniques (ces fameux conflits ethniques voire tribaux, tant servis et resservis par l’Occident pour expliquer tout ce qui ne va pas sur le continent africain) – s’explique sans doute aussi par cette faible population. Bongo n’a jamais eu besoin de diviser pour régner. A quoi bon ? Tout le monde est mis dans le même panier, arrosé par les mêmes billets ou les mêmes punitions. En fait de grand stratège on aurait plutôt affaire à un grand fainéant…

Et s’il est si fin diplomate pourquoi n’a-t-il jamais conseillé son beau-père, le président du Congo-Brazzaville Sassou Nguesso, au lieu de l’aider financièrement à tuer ses concitoyens congolais ? Non tout cela est ridicule.

Certaines petites anecdotes qui se racontent au Gabon sont délicieuses : A ses débuts à la tête de l’Etat, Bongo choisissait les hauts-fonctionnaires du pays parmi sa famille proche et peu importe que l’heureux élu soit illettré ou presque. Rien de bien surprenant. Enfin il paraît que c’est ainsi qu’il nomma l’Ambassadeur du Gabon au Canada. L’histoire dit qu’une fois sur place, ce nouveau représentant de l’Etat, un peu à l’étroit dans son grand bureau, alla se promener dans un des parcs d’Ottawa. A sa grande surprise il vit des écureuils courir devant lui sans crainte. Il remonta illico dans ses appartements, et prit munitions et fusil. De retour dans l’herbe il mit en joue tous les petits mammifères un peu trop confiants. La police royale intervint et la courte carrière du haut fonctionnaire se termina sans avoir commencer.

Je raconterais peut-être dans d’autres textes ce que j’ai vu du Gabon, en tout cas il m’autorise à croire sur parole cette petite histoire. Et à traiter d’escrocs ceux qui dissèquent en experts les stratégies de ce bon roi OBO (Voir mes précédents articles : Adieu Charlène, Des médecins pour OBO, UBU roi.).

L’ancien président français Valéry Giscard d’Estaing vient de déclarer qu’il avait découvert au début des années 80 qu’Omar Bongo finançait la campagne électorale d’un de ses concurrents à l’élection présidentielle, Jacques Chirac, et qu’il aurait appeler alors Bongo pour lui exprimer son agacement. Je pense que tout cela est faux et qu’il n’y a jamais eu de coup de fil car la précédente campagne électorale française de 1974 de Valéry Giscard d’Estaing a certainement aussi été financée par Bongo. L’inverse serait surprenant. De plus il n’a pas tout dit : un autre concurrent à cette élection de 1981, François Mitterrand, n’a pas dû être oublier par Bongo. Giscard a eu raison d’attendre qu’Omar Bongo soit mort pour bégayer une telle ânerie, au moins il ne sera jamais démenti. Peut-être que la mémoire joue des tours à Giscard, mais pourquoi tous les fins observateurs de la politique hexagonale boivent ce petit lait ? Et ces autres experts du stratège Bongo devraient se rappeler que le petit homme a toujours agit ainsi : distribuer de l’argent dans tous les camps et attendre le vainqueur, qui lui sera forcément reconnaissant. Voilà le grand tacticien. Une fameuse et riche canaille parmi les canailles, rien de plus.

Les richesses du sous-sol gabonais ne seront certainement pas éternelles et j’espère que les gabonais auront la chance de connaître un président plus honnête qu’Omar Bongo avant que celles-ci ne viennent à s’épuiser… Malheureusement la famille Bongo est nombreuse et ne se laissera pas détrôner sans quelques résistances. Et allez savoir, peut-être que nos bidasses donneront un coup de pouce aux rejetons de Bongo, histoire de ne pas changer trop vite les habitudes…

SylvainD

SOURCE : Balades’s Blog

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