La librairie indigène

Aimé Césaire : Une traversée paradoxale du siècle

Du Cahier d’un retour au pays natal (1939) jusqu’à son dernier recueil poétique (1983), Aimé Césaire n’aura eu de cesse de restituer à la Martinique sa part nègre et de dénoncer le fait colonial jusque dans l’Hémicycle. En raison de son règne sans partage sur les Lettres antillaises, il fut longtemps tabou de dresser l’inventaire littéraire et politique de son legs. Césaire, en somme, était à prendre ou à laisser. Or cette prééminence reposait sur un malentendu. En quoi le verbe du Rimbaud noir était-il plus nègre qu’héritier des humanités classiques ? Pourquoi l’interprète des  » malheurs qui n’ont pas de bouche  » restait-il sourd aux griefs indépendantistes ? Et quel obscur ressentiment nourrissait-il pour son île natale,  » terre stérile et muette « , comme pour sa langue, le créole ? Longtemps, Raphaël Confiant a porté en lui la parole libératoire de l' » accoucheur de cyclones « , avant d’envisager le sacrilège. Dans cette étude iconoclaste, il souligne les paradoxes du  » leader fondamental « , maire de Fort-de-France de 1945 à 2001. Mais de quels méfaits le roi Césaire s’est-il rendu coupable ? Principalement, en exaltant  » le vieil amadou déposé par l’Afrique  » au cœur des Antilles, d’avoir occulté l' » identité mosaïque  » du monde créole, réduit à la seule couleur nègre de son spectre. Mais aussi, de n’avoir conçu pour la Martinique qu' » un avenir de province française « , décourageant toute application du véhément Discours sur le colonialisme (1950).  » Fils de Césaire à jamais « , Raphaël Confiant reste le premier à avoir commis le meurtre symbolique de  » Papa Césaire « , tout en lui rendant l’hommage d’un essai magistral. Récusant à la fois les leçons de l’Europe et de l’Afrique, révoquant le paternalisme blanc tout autant que le remords nègre, son réquisitoire inspiré est un autre  » éloge de la créolité « , laquelle se refusera toujours à n’être qu' » un département de la négritude « .





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